24 juin 2011

Val McDermid interviewée par Ian Rankin... Le luxe !

Une petite interview radio de Val McDermid ? Cliquez ici.

Bon, l'interviewer la classe entre Fred Vargas et Thierry Jonquet, je n'y aurais pas pensé...

Et puis, et puis, Val McDermid interviewée par Ian Rankin ? Pas mal, non ? L'interview d'origine se trouve sur mysteryreaders.org. Je l'ai traduite pour vous :

Ian Rankin: En Ecosse, nous n'avons pas vraiment de passé en termes de littérature criminelle. A votre avis, qu'est-ce qui a changé ces 15 dernières années ?

Val McDermid: En fait, c'est une combinaison de facteurs. Depuis que les débats sur l'autodétermination ont commencé à monter en pression dans les années 70, les Ecossais réfléchissent sur leur identité. Cela faisait tellement longtemps que nous vivions dans l'ombre des Anglais, que notre culture était marginalisée, notre identité brouillée, que nous avions tendance à nous définir en termes de ce que nous n'étions pas. "Nous ne sommes pas Anglais." Mais une fois confrontés à la possibilité de l'autodétermination politique, je crois que nous avons commencé à nous regarder d'un œil plus critique. Qui sommes-nous ? Quel genre de pays voulons-nous être ? De quel type de société voulons-nous faire partie ? Ce questionnement s'est manifesté, entre autres, par une renaissance littéraire. Dans le même temps, la littérature policière en Angleterre avait pris une place beaucoup plus grande, celle de la littérature de critique sociale. Au moment où la fiction littéraire devenait plus hermétique, moins préoccupée de narration, et beaucoup plus de théorie littéraire, les auteurs de littérature policière ont repris le flambeau et ont commencé à braquer les projecteurs sur le monde où nous vivons, et à le faire sous une forme où la narration gardait une importance primordiale. Les deux éléments se sont rencontrés, et bon nombre d'auteurs écossais ont choisi ce genre comme s'ils y étaient naturellement chez eux. A mon avis, il existe des différences essentielles de ton et de style entre la littérature policière anglaise et écossaise - nous avons tendance à aller vers le noir, l'exploration psychologique, à toucher là où ça fait mal, et en plus nous avons un sens de l'humour plutôt vicieux ... 

IR: Dans quelle mesure pensez-vous que votre éducation a influencé l'auteur que vous êtes devenue? Quand avez-vous commencé à comprendre que vous vouliez être écrivain, et comment avez-vous annoncé la terrible nouvelle à votre famille ?

VM: J'étais fille unique dans une famille ouvrière, où l'éducation était considérée comme la voie qui menait à une vie meilleure. On m'a toujours encouragée à lire, à lire de tout, de la BD, des livres de bibliothèque. Et comme je passais beaucoup de temps soit toute seule, soit avec des adultes, j'ai commencé à développer une vie secrète basée sur mon imaginaire. Je prenais ce que j'étais en train de lire et je m'injectais dans l'histoire, je la tiraillais dans toutes les directions, je la remodelais pour qu'elle s'adapte aux limites du monde que je connaissais, mais je m'autorisais de vrais accès de fantaisie. Il y a autre chose qui m'a marqué : très tôt, j'ai eu une conscience politique. Mon grand-père était un dirigeant syndical au syndicat des mineurs, il y avait parmi les amis de mon père beaucoup d'hommes politiques locaux, et je n'ai pas le souvenir d'une époque où je n'étais pas consciente qu'il fallait changer le monde ! J'imagine que puisque les livres m'avaient changée, je pensais qu'il s'agissait d'un des moyens pour y parvenir. J'ai voulu devenir écrivain dès que j'ai compris que c'étaient de vraies gens qui avaient écrit tous ces livres dans la bibliothèque, et qu'on plus ils étaient payés pour ça !
Je n'ai pas le moindre souvenir du jour où j'ai annoncé que je voulais être écrivain, mais je me rappelle parfaitement qu'à chaque fois que j'exprimais cette ambition, mes amis et ma famille réagissaient toujours avec une sorte de surprise dubitative. Les gens comme nous ne font pas des choses comme ça... Je suis le seul membre de ma famille à avoir manifesté quelques signes de capacités artistiques. Tous les autres sont soit des scientifiques, soit des gens très terre à terre. Et ils me trouvent encore bizarre.

IR: Vous préférez écrire des romans autonomes où des séries ? Pourriez-vous nous donner le pour et le contre de chaque, du point de vue de l'écrivain ? Vous pourriez peut-être me donner des idées, pour que je me fasse à l'idée que je peux rompre avec Rebus (l'interview date de 2003).

VM: Je n'ai pas de préférence. La plupart du temps, j'ai l'impression de ne pas avoir le choix... Chez moi, c'est toujours l'histoire qui vient en premier, et je sais très vite si cette histoire va convenir à mes personnages récurrents, où si elle va devenir un roman autonome.

L'avantage, quand on écrit une série, c'est qu'on démarre avec un noyau de personnages qu'on connaît. On sait ce dont ils sont capables, comment ils réagissent à toutes les situations, et en plus on a le plaisir de  retrouver de vieux amis. L'inconvénient est qu'il faut trouver le moyen de faire avancer le protagoniste dans l'histoire du livre, sinon on court le risque de stagner, de s'ennuyer, soi-même et les lecteurs avec. Et on ne peut pas emmener les personnages au-delà de leurs limites.
L'avantage, quand on écrit un roman autonome, c'est qu'on commence avec une toile blanche. On crée de nouveaux personnages, on explore certaines situations où on ne pourrait pas emmener des personnages récurrents. Littéralement et métaphoriquement, on peut aller dans des endroits où l'on ne pourrait pas se rendre s'il fallait que le personnage s'en tire suffisamment entier pour repartir pour un nouvel épisode. C'est excitant, effrayant, parce qu'il n'y a pas de filet de sécurité si vous perdez l'équilibre, mais c'est aussi un incroyable sentiment de liberté.

Je trouve aussi qu'en écrivant à la fois des séries et des romans autonomes, cela me permet de prendre de la distance par rapport à des personnages, et cela m'aide à les développer de façon plus lucide. Par exemple, je sortirai l'année prochaine un sixième roman avec Lindsay Gordon, Hostage to Murder. Cela fait longtemps que je n'ai pas écrit de roman de Lindsay Gordon, et c'est principalement parce que je ne voyais plus où je pouvais l'emmener. Puis une histoire a frappé à ma porte, et cette histoire offrait de véritables possibilités, elle me permettait de faire quelque chose de vraiment différent avec le personnage, et du coup j'ai pris beaucoup de plaisir à la retrouver.


IR: A quoi ressemble une de vos journées de travail ? Comment jonglez-vous entre les obligations de la vie de famille et les pressions qu'on impose à un auteur de bestseller (nous sommes entre parents, après tout !)

VM: Maintenant, mon bureau est en-dehors de la maison. C'est le seul moyen que j'aie trouvé pour arriver à travailler. En gros, je travaille de dix heures à 16h30, du lundi au vendredi quand je suis en cours d'écriture. C'est un véritable combat d'arriver à finir un livre avec un emploi du temps aussi serré, et vers la fin, en général, je donne un coup de collier, il m'arrive de m'éclipser le soir et le week-end. Mais c'est la vie de famille qui me donne la stabilité et la sécurité, c'est grâce à elle que le reste est possible. Être parent, c'est terriblement exigeant, mais les récompenses sont largement plus importantes que les inconvénients.

C'est difficile d'équilibrer le temps d'écriture avec les exigences de voyages et d'interventions en public, car en fait j'aime les deux. Comme disait Yeats, "Tout peut me tenter s'il s'agit de m'éloigner de mon travail..." Quand on atteint un certain niveau de réussite, c'est très facile de se laisser glisser, d'"être un écrivain" au lieu d'écrire. Mais je continue à trouver l'ensemble très séduisant, alors je me débrouille pour me ménager des périodes où je ne voyage pas, où je n'interviens pas sur des événements loin de chez moi.

IR: Pour qui écrivez-vous ? Avez-vous la moindre idée de ce qu'est le public, ce grand inconnu, quand vous construisez un livre ?

VM: Je ne voudrais vexer personne, mais je ne pense jamais aux lecteurs quand j'écris. C'est suffisamment difficile de se satisfaire soi-même, s'il faut en plus imaginer ce que les autres vont penser de cette montagne de mots... Je ne pense pas au "marché" non plus. J'ai toujours écrit les livres que j'avais dans le cœur et dans la tête, et j'entends bien continuer comme ça. 

IR: Je suis fasciné par l'impact que la vie réelle peut avoir sur l'univers de fiction, et, comme vous le savez, on m'a toujours rapporté des coïncidences bizarres en rapport avec les histoires de Rebus (certains cas imaginaires qui s'avéraient réels, de gens qui se reconnaissaient dans les livres...). Vous est-il arrivé ce genre de mésaventures? Vous avez des exemples ?

VM: Oui, cela m'est arrivé plusieurs fois, et parfois c'était vraiment glauque. Curieusement, cela m'arrivait plutôt avec les romans de Kate Brannigan qu'avec les autres. Dans Arrêts de jeu, je parle d'une organisation de voleurs spécialisés dans l'art dont le modus operandi consiste à voler une pièce sur commande, la commande venant de musées ou de collectionneurs. Ils s'introduisent par une porte ou une fenêtre, vont droit à la pièce convoitée, et sortent aussitôt. Quelques minutes suffisent. J'étais au beau milieu de l'écriture, je suis descendue un soir, j'ai regardé les informations et il y avait un reportage sur le vol du tableau de Munch, Le cri - le vol ressemblait trait pour trait à ce que je venais d'écrire...

Dans Crack en stock quand le livre commence, Kate et son petit ami Richard font semblant de vouloir acheter une voiture car ils veulent dévoiler une escroquerie. La voiture qu'ils ont "achetée" est volée. Deux jours plus tard, Richard repère la voiture, garée en plein centre ville. Il a toujours les clés, donc il  la récupère mais oublie d'en informer la police... qui bien sûr l'arrête alors qu'il rentre chez lui. On refuse de le croire, surtout quand on retrouve un sac de cocaïne dans la voiture. Il est donc inculpé d'intention de trafic de drogue... C'est exactement au moment où j'écrivais ce passage que des amis sont arrivés pour dîner. L'une d'entre eux était avocat de la défense, et elle m'a raconté ce qui était arrivé à un de ses clients. C'était un voleur de voiture, et il avait volé une voiture loin du centre ville. En s'enfuyant, il s'était fait arrêter par la police qui avait fouillé la voiture et y avait trouvé un sac de drogue sous le siège passager. Il avait été inculpé d'intention de trafic de drogue... 

Dans le genre moins léger, quand j'écrivais La fureur dans le sang, il m'est arrivé quelque chose de pas très agréable. L'un des personnages du livre s'appelait Kayleigh. C'était une ado disparue. La police n'avait pas pris sa disparition très sérieux, ils pensaient qu'elle avait fugué. C'est alors que j'ai entendu aux infos l'histoire d'une jeune fille, Kayleigh, qui avait disparu, et sa mère se plaignait de ce que la police ne prenait pas sa disparition au sérieux parce qu'ils pensaient qu'elle avait fugué. Je me suis dit : "Drôle de coïncidence", et j'ai changé le prénom du personnage, je l'ai appelée Donna. J'ai envoyé le premier jet à mon éditrice, et la première chose qu'elle m'a demandé, c'était de rectifier la scène où l'on découvre la jeune fille. A l'origine, le lecteur n'était pas présent. Elle me demandait d'écrire une scène où le lecteur était témoin. Un matin, je me suis assise, j'ai écrit la scène, j'y ai travaillé pour la rendre aussi puissante et immédiate que possible. Je suis descendue déjeuner, et à la radio on annonçait que Kayleigh avait été retrouvée assassinée le matin même. Cette histoire m'a vraiment terrifiée. 

IR: Je suis souvent surpris par le nombre d'auteurs de romans policiers qui ne savent pas ce que va devenir leur histoire quand ils commencent un roman. (C'est sans doute une des seules choses que je partage avec PD James). Que savez-vous avant de commencer à écrire ? Votre roman ressemble-t-il toujours à votre première idée ?

VM: Je suis une maniaque de la planification. Je suis incapable de commencer à écrire tant que je ne sais pas où je vais et comment j'y vais. Je retravaille l'histoire dans ma tête jusqu'à ce que je sois prête, j'essaie toutes les possibilités imaginables, j'écarte celles qui ne me conviennent pas. Avant de commencer, j'écris un synopsis très détaillé et je m'y tiens au plus près. En cours d'écriture, il m'arrive souvent de penser à d'autres façons de faire, mais je ne m'écarte jamais beaucoup. Une fois, je suis allée jusqu'au bout d'un premier jet, puis j'ai décidé que le meurtrier n'était pas le bon, qu'un autre personnage était beaucoup plus plausible. Cela m'a vraiment découragée, car je pensais que j'allais être obligée de tout reprendre et de réécrire des passages entiers. En fait, j'ai pu me contenter d'écrire une scène supplémentaires, qui introduisait le meurtrier cinquante pages plus tôt. A l'évidence, mon subconscient savait mieux que moi où devait aller le livre... Mais la plupart du temps, j'arrive là où j'avais prévu d'arriver. Cela me permet de terminer l'écriture avant d'en avoir assez de tout ça !

IR: Comment percevez-vous la situation de la littérature policière, avez-vous une idée de ce qu'elle va devenir ?

VM: A mon sens, la littérature policière ne s'est jamais mieux portée. La gamme des styles, des tons et des sujets embrasse tout ce qu'on peut imaginer, et c'est difficile de ne pas être optimiste. Ce qui est particulièrement réjouissant, c'est la quantité de jeunes auteurs qui choisissent la littérature policière. Cela garantit une certaine fraîcheur, de nouvelles expériences. J'adore lire les premiers romans : cela me permet de rester vigilante lorsque je m'aperçois qu'il y a beaucoup de jeunes talents qui ne demandent qu'à me doubler !

IR: Si on vous demandait d'apparaître à l'émission d'Oprah Winfrey, quelle légende voudriez-vous qu'on mentionne après votre nom : auteure de roman policier, auteure écossaise, romancière, bonne vivante ?

VM: Icone culturelle internationale, bien sûr ! Si je passais chez Oprah, ils pourraient bien écrire tout ce qu'ils veulent !

IR: Votre maison brûle, vous pouvez sauver deux livres seulement. Un de vous, un d'un autre auteur. Lesquels ?

VM: Quatre garçons dans la nuit, c'est celui que j'écris en ce moment. Ce serait terrible de perdre tout ce que j'ai déjà écrit...
Et puis The Chalet School in Exile, d'Elinor M. Brent-Dyer (auteur d'une série d'une soixantaine de livres pour enfants publiés entre 1925 et 1970 - NdT) . Ce livre est mon réconfort, mon livre de chevet et l'original est épuisé. Tous les autres livres, je les retrouverais facilement.

IR: Pour vous, que signifie le mot "mal" ? 

VM: Changer des couches, faire ses dents...
Plus sérieusement, je ne crois pas à l'existence d'une force abstraite qu'on appelle le mal. Certains auteurs écrivent sur le mal comme si c'était un virus qu'on peut attraper, ou encore quelque chose avec lequel on naît, ce qui nous déculpabilise totalement. Certaines personnes infligent à d'autres des choses terribles, on ne peut pas le nier. Mais pour moi, de tels comportements sont le résultat d'une expérience individuelle et des conditions sociales. La personne à qui on a fait du mal a tendance à perpétuer le processus, voire à l'intensifier. Mais cette même personne, exposée à des circonstances différentes, agirait tout autrement. Je crois en la possibilité d'une rédemption personnelle. Mais c'est très difficile, avec toutes ces barrières personnelles et sociétales qu'on nous impose. C'est une des raisons pour lesquelles je suis profondément contre la peine de mort.

IR: Vous échouez sur une île déserte. Trois objets que vous aimeriez y trouver (ni bateau, ni hors-bord, bien sûr !) 

VM: Un ordinateur solaire avec tous mes jeux préférés, un traitement de texte et une webcam reliée à ma cuisine, qui me permettrait de voir grandir mon fils ; un fût sans fond de Macallan 18 ans d'âge ; un guide de la flore et de la faune régionale pour savoir ce que je peux manger sans risque.

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