Après la chronique de La ballade de Kouski publiée la semaine dernière, je suis sûre que, comme moi, vous avez eu envie d'en savoir plus sur Thierry Crifo. Qu'à cela ne tienne, il a répondu à nos questions.
LBdP : Vous avez beaucoup écrit pour la télévision. D'autres auteurs estiment que l'écriture de scénarios pour le petit écran est soumise à trop d'impératifs économiques et commerciaux. Qu'en pensez-vous?
ThC : Rien ne me prédestinait à devenir écrivain... Jeune, je n'avais jamais été ni dans l'écriture, ni dans la lecture. Par contre le cinéma m'a toujours fasciné, depuis ma prime enfance, le cinéma, les acteurs, les histoires, les histoires de la vie...Ajoutez à cela mon goût pour les mots, les jeux avec les mots, les sons, les paroles des chansons, les dialogues, quand les circonstances de la vie (noires, sombres) sont arrivées, je n'avais d'autre issue, pour m'en sortir que de les coucher sur papier, sans préméditation aucune, sans ambition littéraire, ce fut d'abord des poèmes très adolescents, avec 10 ans de retard !!! Puis des textes plus longs, plus travaillés, et enfin un texte très autobiographique, qui quand je l'ai relu, m'a fait penser au premier chapitre d'un livre... Je me suis pris au jeu, et c'est devenu le point de départ, de Toile de fond, mon premier bouquin réedité depuis au Masque.
J'ai écrit une quinzaine de scénarios pour TF1, il y a une vingtaine d'années, des mini-fictions de 30 mn, dont les contraintes étaient très fortes, deux ou trois personnages, un ou deux décors, puis l'adaptation de Kouski en 2008 pour FR2, avec Serge Riaboukine et Florence Thomassin, qui n'a toujours pas été diffusé.
Dans les deux cas, les contraintes sont énormes, respecter le format voulu par la chaîne, se plier au budget, etc, etc. Le roman c'est la liberté la plus absolue...
LBdP : Pensez-vous que le caractère atypique de votre carrière est lié à la période durant laquelle vous avez commencé ? Plus clairement, pensez-vous que si vous aviez vingt ans aujourd'hui, vous auriez les mêmes choix et les mêmes opportunités?
ThC: Je pense que si aujourd"hui à 25 ans, j'étais dans le même questionnement et trouble (socio-émotionnel) qu'à la fin des 70's, mon parcours "d'écrivain" serait identique.
LBdP : La première chose que vous m'avez dite quand je vous ai rencontré, c'est : "Je n'écris pas de romans policiers, j'écris des romans noirs. Je n'aime pas les flics..." Pouvez-vous développer?
ThC: Dans la vraie vie, je n'aime pas les flics, je pense que l'abus de pouvoir et l'immunité ne sont jamais loin, même un banal contrôle de routine, peut vite tourner à la garde à vue... Je n'ai pas envie de faire de la fiction avec un flic, un de plus après tous ceux qu'on a déjà vus au cinéma ou lus dans les romans... Il y en a un dans mon premier roman, mais il est homo et cinéphile !!!, Un autre dans J'aime pas les types qui couchent avec maman, il n'est là que pour faire son boulot, poser des questions, il n'existe que par les dialogues, il n'y a aucune descripion. Enfin une troisième dans L'Effet carabin, c'est une flic de base qui se suicide...Je privilégie, pour ces personnages, l'aspect humain, fatal...
LBdP : Du coup, avez-vous tendance à penser que les auteurs qui mettent en scène des policiers sont plus ou moins inféodés à l'establishment ? Et que pensez-vous des flics "atypiques" qui sont nés ces dernières années (de Rebus à Harry Hole en passant par Wallander)?
ThC: Une des couleurs du polar est la criminalité, avec donc ses deux facettes, le "criminel" et celui qui le recherche. L'enquête est un des procédés les plus usuels, donc dans ce cas-là, le flic s'impose...Ils m'intéressent quand ils transgressent, quand ils dénoncent... Les flics chez Izzo et Vargas sont littéraires, et n'ont rien à voir il me semble avec ceux qui par exemple sont syndiqués chez Alliance... Quant aux flics que vous citez, je ne les connais pas... Pour résumer je préfère mettre en scène des personnages "lambda" qui ont comme point commun de traîner de sacrées casseroles, qui ont des doubles vies, de lourds secrets cachés au fin fond d'eux-mêmes, qui ont du mal à s'en sortir et qui choisissent parfois, la transgression.
LBdP : Pour vous, Paris semble être un contexte pratiquement irremplaçable. Même lorsque le roman commence à Grenoble, on se retrouve vite à Paris...
ThC: Paris est une source, un torrent inépuisable, j'aime son histoire, son passé, sa mythologie, j'aime faire revivre les années 50, 60, 70, les lieux disparus, les figures d'antan.
LBdP : Vos romans sont très sombres, mais toujours très réalistes. Etes-vous pessimiste?
ThC: Oui, je suis un pessimiste convaincu, me laissant prendre pourtant, lorsqu'ils arrivent, rarement, par les éclairs de bonheur.
LBdP : Le rôle des femmes dans vos livres est important, parfois singulier. Quelle est votre vision de l'évolution de la condition féminine ces... 30 dernières années? Et celle des relations entre les hommes et les femmes?
ThC: J'ai beaucoup écrit sur les femmes, je pense qu'elles portent en elles, (féminité, séduction, leur rapport aux hommes, au sexe, maternité, vie sociale, professionnelle) une complexité qui les rend, au réel ou dans la fiction, des êtres, des personnages fascinants, attirants, destructeurs, mais irremplaçables, quelque chose comme la beauté du diable !!!, avec en toile de fond, l'attirance et les brûlures.
Il me semble qu'il y a une trentaine d'années les rapports hommes-femmes étaient plus simples.
J'ai l'impression qu'aujourd'hui on assiste à une chasse à l'homme grand spectacle, qu'il ne peut plus y avoir de "drague", sans passer pour un lourdingue,un harceleur (suivez mon regard) que finalement, ce sont les femmes qui choisissent, toujours ; si une femme est assise à une terrasse et que dix types passent et lui sourient, 9 seront perçus comme de sales machos, le dixième, qui trouvera grâce à ses yeux aura lui, bonne presse. et ce n'est pas parce que les 9 premiers ont été sensibilisés par une présence, une féminité, voire une sensualité, que ce sont des violeurs en puissance... Les sales types et les goujats ont toujours existé...
LBdP : Dans une interview, vous dites que vous vous intéressez aux failles de l'individu. Mais ces failles personnelles ne sont-elles pas étroitement liées à l'état de la société?
ThC: Une certaine évolution de la société (chômage, perte du pouvoir d'achat, renaissance du racisme, des extrémismes) peut effectivement avoir des répercussions sur le malaise et l'exclusion d'un individu, mais la jalousie, la violence, la vengeance, la solitude, la perte au jeu, la perte d'un être cher, l'alcoolisme, la non-acceptation par l'autre ou les autres d'une sexualité différente, l'incompréhension face à une rupture, ont toujours existé.
LBdP : Dans La ballade de Kouski, la musique des 60s et des 70s joue un rôle prépondérant. Vous avez aussi, je crois, écrit des paroles de chansons. Pour vous, la musique fait partie intégrante de la vie. Continuez-vous à suivre ce qui se passe dans l'univers musical, ou restez-vous surtout attaché à la "grande époque"?
ThC : Je suis effectivement resté scotché à la fin des 70's. Je ne prête attention depuis qu'aux groupes ou chanteurs/chanteuses qui revisitent le swinging London, le garage, le pop rock et le blues toujours....
LBdP : Quels sont vos projets pour les mois à venir ?
Pour 2012, réédition d'Obsession Elle et de L'Effet carabin en Presse pocket
Un roman, fiction sur l'auto-fiction, très noir, Lignes croisées aux éditions Au-delà du raisonnable
Bibliographie et filmographie
Toile de fond. Éd. Jean-Luc Lesfargues, 1984, réédition au Masque en 2004, 214 p. (coll. "Le Masque" ; N° 2490)
La Ballade de Kouski. Gallimard, 1998, (coll. "Série Noire" ; N° 2490). Réédition : Gallimard, 2003 (coll. "Folio policier" ; N° 307)
Paris parias. Gallimard, 2001, (coll. "Série Noire" ; N° 2609). Prix Sang d'Encre des Lycéens 2001. Réédition au Masque, 2005, (coll. "Le Masque" ; N° 2497). Préf. de Jean-Hugues Oppel.
Vieux comme le monde : de 70 à 106 ans. Baleine, 2001 (coll. "Série grise" ; N° 10)
J’aime pas les types qui couchent avec maman, Le Masque, 2004, Prix des Terrasses du polar de Marseille 2004.
Obsession Elle. Paris, Éd. la Vie du Rail, 2004 (coll. "Rail Noir" ; N° 7)
Femmes dans la ville. Éd. l’Idée bleue, 2007 (coll. "Mots-Nambules").
Paternel à mort (titre d'origine : Daddy pas cool), le Masque, 2006. Prix Lion noir Neuilly-Plaisance 2007
Flambeur. Le Passage, 2006,
L'effet carabin Editions La Branche, Suite noire n° 25
Pigalle et la fourmi (série : Le Poulpe). Baleine, 2008 (coll. "Le Poulpe" ; N° 226).
Téléfilms
Thierry Crifo est l'auteur de plus de quinze scénarios de téléfilms pour TF1, sortis dans la série "Drôles d'histoires" ou "Histoires d'amour" et diffusés entre 1989 et 1996.
La ballade de Kouski a été adapté pour la télévision par Olivier Langlois, avec Serge Riaboukine dans le rôle principal et Florence Thomassin dans celui de Sandra. Le téléfilm n'a pas encore été diffusé, mais ne désespérons pas... D'autant qu'il avait reçu un accueil plutôt favorable lors de sa présentation en 2009 au festival Polar à la plage (Le Havre).
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