3 décembre 2011

"Le Bloc", de Jérôme Leroy. Le choc

Le Bloc vient de sortir en Série noire. C'est la première fois que Jérôme Leroy publie dans la mythique collection : on l'a retrouvé à la Table ronde, chez Fayard, aux Belles lettres pour ses nouvelles. Là, la couverture le dit : il s'agit d'un roman noir, c'est marqué dessus. Le Bloc, c'est aussi de l'histoire contemporaine avec de la fiction dedans. Je me pose une question : que dira ce livre à un lecteur de vingt ans, qui ne s'intéresse que modérément à la vie politique des 50 dernières années ? Car Le bloc, s'il est un roman noir, est surtout un roman politique et un roman à clés. C'est aussi un roman effrayant, voire un avertissement.
Antoine Maynard et Stanko sont du même bord, bien à droite. Le premier fait partie des intellectuels du Bloc, des stratèges, le second des hommes d'action. Et comme les contraires s'attirent, ils sont inséparables depuis leur rencontre, dans les années 60, les années lycée. Antoine est un littéraire - tendance Chardonne, Drieu, les Hussards - il aurait voulu être romancier. Stanko est issu d'une famille de mineurs polonais, et il a connu toutes les dérives possibles, du punk tendance facho au skinhead tendance brute. L'histoire se passe dans un futur incertain (2030? 2020?... 2012!), les quartiers sont en proie à d'incessantes émeutes, les morts - flics et émeutiers - sont décomptés sur le coin des écrans de télé. Et pour le coup, tout le monde est logé à la même enseigne, et ce n'est pas le moins inquiétant : les grands et petits bourgeois, les classes moyennes et populaires, tout le monde a peur. Tout le monde sait que la peur n'est pas bonne conseillère, et qu'elle rend bien des services aux cyniques de tout poil. La France a peur donc, tellement qu'à la veille des élections, le Bloc est en passe de se retrouver avec un paquet de ministres au gouvernement. Dirigé de main de maître par Agnès Dorgelles, la fille du fondateur historique, la femme d'Antoine Maynard, le parti n'a jamais été si près du pouvoir. Et ça n'est pas simple, car dans un parti qui depuis des décennies joue le jeu de la provoc et de l'opposition, on n'est pas nécessairement prêt pour le pouvoir. Et surtout, il faut veiller à mettre sous l'étouffoir tout ce qui n'est pas politiquement correct. Et il y a du travail au Bloc. Cela vous rappelle quelque chose ? Moi aussi... L'épuration est en marche, et ça ne fait pas de quartier.
Le livre est construit sous forme de chapitres où alternent les modes de narration. Les chapitres où s'exprime Antoine Maynard sont à la deuxième personne, comme si Maynard était apostrophé par une sorte de double, quelqu'un qui lui servirait de témoin, voire de conscience. Le livre commence par cette phrase : "Finalement, tu es devenu fasciste à cause d'un sexe de fille...". Il se termine par la même, car la boucle est bouclée et le destin scellé. Les chapitres qui racontent la vie de Stanko sont écrits, eux, à la première personne. Et parce que le présent et le futur s'appuient sur le passé, le roman raconte l'histoire des deux hommes, de leur amitié. Il raconte aussi les secrets d'un parti aux méthodes hallucinantes, les accointances nauséabondes, les perversions inimaginables et les débordements (euphémisme) de certains partisans tendance sado... Bien sûr, c'est une oeuvre de fiction. N'empêche, on reconnaît au passage, sous leur déguisement romanesque, des événements et des personnages bien réels. Et surtout Leroy décortique, au travers de cette étrange relation qui relie Antoine et Stanko, les motivations, les traumatismes, les émotions brutes qui peuvent conduire deux hommes vers un destin redoutable. Remarquablement bien écrit, à la fois élégant et violent, Le Bloc est un choc, c'est aussi, mine de rien, une courageuse entreprise : comprendre l'injustifiable, s'exposer à la vindicte de ceux qui trouveront le roman ambigu, voire complaisant (il y en a déjà), et nous forcer à penser nos peurs.
Le Bloc, de Jérôme Leroy, Série noire, Gallimard

2 commentaires:

  1. Il est certain que ce livre est très ciblé. Il ne plaira pas aux gens qu'il décrit, et n'intéressera pas, comme tu l'écris au début de ton billet, les jeunes qui se fichent pas mal de l'histoire récente de la France. J'évite souvent pour ma part ce genre de polars engagés parce que quand je lis, je n'ai pas envie de retrouver les problèmes sociaux et politiques dans lesquels on se dépatouille déjà au quotidien. Ceci dit, je n'entends parler qu'en bien de ce livre. J'ai lu dernièrement "La France tranquille" de Bordaçarre qui n'est certainement pas aussi fort et percutant que Jérôme Leroy mais qui manie une belle langue (élément parfois négligé par les auteurs engagés qui privilégient le fond).
    Je découvre ton blog avec plaisir.

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  2. Bienvenue, Ys ! Pour ma part, j'ai trouvé que "Le Bloc" faisait preuve d'une maîtrise de la langue et de la narration vraiment impressionnante. Après Marignac, je dois dire que je trouve cette rentrée réconfortante ceux qui, comme toi et moi, semblent penser que dans "littérature noire", il y a aussi le mot "littérature" !

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