En ces temps moroses où les professionnels se posent de sérieuses questions sur l’avenir de l’édition et surtout de la librairie indépendantes, l’aventure des éditions Krakoen a quelque chose de réconfortant et d’encourageant. Et montre que la passion et le talent ont encore de beaux jours devant eux ! Un éditeur associatif, qui met la créativité au premier plan, qu’il s’agisse du talent des auteurs ou des modes de production et de commercialisation, voilà qui méritait un coup de projecteur. Parmi les actualités, la naissance d’une nouvelle collection, Petit noir : "une nouvelle unique en 20 pages, format petit poche, 2,80 € à lire sur le zinc ou en terrasse le temps d'un "petit noir"...
Jeanne Desaubry est romancière, mais elle est aussi, avec Max Obione, le fondateur, un des piliers de l'organisation. Elle a bien voulu satisfaire notre curiosité.
Comment a démarré l’aventure Krakoen, et pourquoi ?
Max Obione a créé la coopérative d’édition en 2004, las de voir ses propres textes refusés par des maisons frileuses. Passionné par le genre noir et polar, il fréquentait le site de Patrick Galmel : « pol’art noir » sur lequel il a virtuellement rencontré le groupe de base. Il n’a pas tardé à embarquer un paquet d’amis à sa suite.
Sa volonté a tout de suite été, malgré le statut associatif de la coopérative, de professionnaliser l’aventure. Dès 2005, je me suis jointe à l’affaire et aujourd’hui, lui et moi co-animons Krakoen, avec Hervé Sard qui s’occupe de notre site et de ce qui touche aux parutions numériques.
Krakoen est une coopérative d’auteurs. Comment fonctionne cette coopérative ?
Une chose de base, aberrante au regard des standards d’aujourd’hui, est que notre objectif n’est pas de nous développer au sens commercial du terme.
Chacun d’entre nous participe, chacun selon ses goûts et ses disponibilités. C’est avant tout une affaire d’amitié et de sensibilités communes, avec l’énergie que donne le partage de la passion pour le livre, et pour le genre noir.
Le groupe de départ a peu changé. Quelques départs, et des arrivées, bien sûr, mais la passion reste le moteur essentiel. Nous mutualisons les relectures, les corrections, nous travaillons en amont la maquette pour réduire les coûts, Max négocie les prix chez l’imprimeur et ensuite, nous sommes distribués par une maison professionnelle « Pollen » qui permet à Krakoen d’être commandé chez n’importe quel libraire avisé de France et de Navarre.
Krakoen fonctionne avec un comité de lecture qui choisit les manuscrits. Comment est composé ce comité, est-il fixe ou bien faites-vous appel à des compétences spécifiques de temps à autre ?
Un camarade a un texte : il le fait tourner entre Max et moi, éventuellement nous prenons un troisième avis dans le groupe. Nous construisons alors ensemble tout le travail éditorial. Corrections, développement de telle ou telle partie, d’un personnage, ou au contraire recentrage sur le cœur du livre. C’est la partie qui, personnellement, me passionne le plus. Je m’implique dans les trois quarts des sorties annuelles.
De fait, aujourd’hui, nous fonctionnons un peu en circuit fermé, car pour garder la taille idéale de vingt coopérateurs nous ne faisons plus entrer de nouvel auteur. Parfois, et au gré des départs, un nouveau peut intégrer le groupe, mais aujourd’hui, c’est assez stable.
Quand un texte me fait douter, on échange beaucoup entre nous, par mail, ou en se voyant à l’occasion des festivals, par exemple.
C’est fou, je n’ai pas toujours raison…
Actuellement, Krakoen publie surtout, dans sa collection ”Forcément noir”, des romans policiers. Envisagez-vous de développer les collections du type de “Complètement à l’ouest”, et selon quelles orientations ?Une autre des constantes est notre façon de ne fonctionner qu’au « coup de cœur ».
Chez Krakoen, il y a un littérateur exceptionnel, dont les romans ne peuvent être véritablement qualifiés de polars, bien que certains apparaissent dans « Forcément Noir », tandis que d’autres figurent dans «Complètement à l’Ouest ». Il s’agit de Claude Soloy, dont la richesse d’écriture me séduit définitivement. Une inventivité poétique hors norme, une richesse, un foisonnement… Il y a Jan Thirion, qui publie aussi dans d’autres maisons (et c’est bien aussi) et aussi José Noce… Max Obione, bien sûr… Au gré de leurs créations et des parutions, telle ou telle collection sera plus ou moins développée, mais le cœur vivant de Krakoen (entre nous, on dit « K ») c’est le genre noir, auquel, d’une manière ou d’une autre, toutes les collections se rattachent, dans un arc en ciel un peu particulier.
La diffusion est-elle un des aspects les plus problématiques de votre démarche, comme c’est le cas pour beaucoup de petites maisons d’édition ?
Nous avons choisi l’impression numérique pour pouvoir sortir des petits tirages. Quelques centaines à chaque sortie, pour tâter le terrain. Pas de diffusion classique pour nous avec des mises en place de livres qui disparaîtraient immédiatement sous l’avalanche constante de sorties.
Nous fonctionnons grâce à des libraires amis, qui suivent nos sorties, nos auteurs, et aussi grâce aux organisateurs de festivals. Ainsi, tous nos livres finissent par nécessiter des retirages. Chez « K » on ne parle pas de best-seller. Nous préférons le concept de « long-seller ».
Une fois qu’on se met dans l’idée qu’aucun de nous n’attend de son activité littéraire qu’elle le rende riche, et que la structure « K » ne touche rien qu’un pourcentage ridicule qui paie les affranchissements et les frais de bureau…
A combien tirez-vous en moyenne vos titres ?
Premier tirage : entre trois cents et cinq cents selon l’air du temps. Chaque auteur étant «micro éditeur », nous calculons au plus juste le prix des livres pour lui éviter d’être perdant dans l’affaire. En général, il suffit de vendre la moitié d’un tirage pour rentrer dans ses frais. Ensuite, presque tous nos titres sont tirés de nouveau à quelques centaines par an. Tant qu’ils vivent, qu’ils sont commandés, qu’ils sont appréciés, aussi. Tout pour ne pas les laisser mourir sous le pilon… Brr, quelle horreur !
Vos auteurs constituent en quelque sorte une famille. Quelles sont les valeurs que vous partagez ?
Surtout pas ! La famille serait la pire des choses. Il n’y a qu’à voir le nombre de malheureux patients chez les psys à se plaindre de leur famille, justement.
Nous sommes un groupe d’amis assez soudés, néanmoins ouverts. Voir l’un d’entre nous édité dans une maison classique est une fierté. C’est bien la preuve que nous avions raison de mettre à leur service une structure éditoriale. Nous sommes plusieurs à continuer de faire vivre des textes via Krakoen tout en ayant des parutions ailleurs.
Il est clair néanmoins qu’il n’y aura jamais chez nous de partisan de l’extrême-droite, ni de raciste ou de xénophobe. Pas de trader, sans doute non plus. Mais la palette est vaste, qui va de membres engagés politiquement à d’autres plus en retrait. Je crois que nous prônons dans les faits, pas en catéchisant, la curiosité, l’altérité, l’ouverture.
Comment réussissez-vous à vous différencier des éditeurs “à compte d’auteur” qui se multiplient actuellement ? Est-il facile de faire passer le message de votre différence ?
Il y a fallu du temps, de la patience, et la faculté de digérer les couleuvres. De temps en temps, une administration tatillonne refuse encore de nous accorder sa considération… au regard du fait que nous signons à chaque livre, non pas un contrat d’édition, mais un protocole. C’est sûr, cela fait une très forte différence, n’est-ce pas ?
Maintenant, je mets au défi n’importe quel lecteur, bibliothécaire, libraire ou professionnel de l’édition, de distinguer notre production de ce qui se fait dans les maisons classiques. J’oserai même demander : depuis quand la parution à compte d’éditeur est-elle un gage de qualité ? Quand je vois certains bouquins… berk ! La différence entre les aigrefins qui exploitent les auteurs en puissance et nous est simple, je le dis depuis le début de cet entretien : Krakoen n’est pas une structure à visée commerciale : professionnelle, certes, mais pas commerciale.
Nos collections sont belles, il y a une unité graphique, des beaux textes… Tiens, je vais me la gonfler à l’hélium : s’il y a une différence ? Évidemment. En mieux ! D’ailleurs, aujourd’hui certains lecteurs s’étonnent en découvrant que notre maison d’édition est « différente ». Un beau compliment, le plus beau.
La popularisation d’internet a-t-elle favorisé votre développement ?
C’est une évidence. Notre groupe est éclaté sur la France entière, et sans internet, nous ne pourrions pas travailler ensemble. Par ailleurs, c’est aussi le canal qui rend compte de notre existence et de notre activité, comme un des éléments du paysage éditorial.
C’est aussi le canal qui prend en charge les nouveaux formats numériques. Nous sommes, à ce regard, aussi prêt que n’importe quelle maison française, peut-être plus que les grandes qui vendent les éditions numériques de titres récents à des prix prohibitifs.
Et le livre numérique ? Y allez-vous, comme beaucoup d’éditeurs, “à reculons” ? Craignez-vous que ce format menace le droit d’auteur ?
Il y a quelques jours, je m’intéressais à une parution en livre de poche.
Le livre était encore vendu sous format broché, 21 €. Existait le titre sous format numérique : 17 €. L’édition poche sortait à 7,50 €. Quelque chose m’échappe. Cette logique mercantile va tuer tranquillement l’édition, tout autant que la hausse de la TVA dont on peut remercier un État français qui bazarde la culture, faisant la place au tout financier
Pour le numérique, la France est très en retrait de ce qui se passe aux États-Unis. Je pense que ce retard se comblera progressivement, pour les formes courtes, en tout cas. Qui accepte encore de s’ennuyer aujourd’hui ? La multiplication des outils électroniques conduit à l’élargissement des fonctions qu’on leur attribue. Krakoen sort dorénavant tous ses nouveaux titres en format pdf, et e-pub. Ils sont commercialisés sur la plate-forme « i-kiosque ». Le catalogue sera progressivement numérisé.
Il y aura des pirates, c’est certains, mais c’est comme le vol sur les étals. On n’y peut rien, et cela reste l’expression d’un désir, non ? On se console.
Nous n’y allons pas à reculons, nous y allons c’est tout. S’il fallait retourner aux tablettes de cire, ce serait autrement plus emmerdant, non ?
Le site de krakoen
Le site de Jeanne Desaubry
La chronique de Dunes froides, de Jeanne Desaubry
L'interview de Jeanne Desaubry
La chronique de Morsaline, de Hervé Sard
Où rencontrer les éditions Krakoen et leurs auteurs dans les semaines à venir :
28 janvier 2012 : Salon du polar de Dainville Participants : Jean-Marc Demetz – José Noce – Maxime Gillio
4 et 5 février 2012 : Salon du polar de Drap (06) Participants : Françoise Laurent – Hervé Sard
11 et 12 février 2012 : Salon de Mery-sur-Oise (95) Participants : Antoine Blocier
26 février 2012 : Foire aux Livres de Grenade (31) – De 9 h à 18 h – Salle des Fêtes de Grenade Participant : Jan Thirion
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