Tout d'abord, la décomposition en 4 épisodes distincts avec rebondissement obligatoire à la fin de chaque partie et pléthore d'explications alambiquées pour justifier les événements, un peu comme dans le roman policier anglais (A noter : Sang maudit a paru en quatre épisodes dans Black Mask entre novembre 1928 et février 1929). D'ailleurs, le détective de cette histoire de vol de diamants dans une famille pour le moins ambigüe qui dégénère en drame est plus "soft" que dans le roman précédent, même s'il fait quelques victimes au passage. Ensuite le style, moins mordant et direct que dans le premier opus. Hammett a en quelque sorte acquis des lettres et cela se sent dans sa manière d'écrire plus travaillée avec une description psychologique affinée des personnages. Les dialogues plus importants sont visiblement ciselés avec soin. Même si à titre anecdotique, peut-être pour faire bisquer son éditeur, Dashiell Hammett s'offre quelques clins d’œil comme cette demi-page pendant laquelle il égrène des chiffres en faisant un décompte très précis de liasses de billets. Il y a du Balzac là-dessous, qui n'hésitait pas à tirer à la ligne pour remplir sa bourse!
La première partie de Sang maudit nous fait découvrir les protagonistes dans un environnement d'enquête plutôt traditionnel, avec une explication à la fin typiquement dans l'esprit Hercule Poirot, comme en témoignent la réunion de tous les personnages et la lecture d'une longue lettre d'aveux (mais ne vous y trompez pas!). En revanche, le deuxième épisode donne dans le feuilleton façon Arabesque. Évoquant le milieu des sectes religieuses, avec truquages, gaz hallucinogène, fantômes mystérieux et autres artifices téléphonés plutôt dans le goût des scénaristes de téléfilms des années 70. Curieusement, entre chaque épisode, Dashiell Hammett change totalement d'univers, comme s'il expérimentait ses capacités à nous décrire les divers aspects culturels et visuels de l'Amérique de la fin des années 20 (ghettos noirs, Temple-maison de repos louche, enlèvements sanglants, bord de mer pour touriste en goguette et grandes villes grouillantes...). Dans les troisième et quatrième parties qui tournent autour d'un rapt et de son dénouement, l'ambiance polar "made in USA", avec procureur perspicace, marshall ronchon, shériff adjoint jaloux et tutti quanti nous conduit vers une conclusion attendue (cela faisait un moment que je me doutais de l'identité du coupable, manquaient les justifications). J'avoue avoir eu du mal à aller jusqu'au bout du livre, peut-être impatient de la promesse du Faucon maltais, le suivant dans le recueil. Votre honneur, je confesse avoir peut-être tourné un peu vite certains feuillets, quitte à faire l'impasse sur une partie de ce texte qui satisfera certainement les archéologues du polar en quête d'exhaustivité. Je me demande ce que Pierre Bondil, qui m'a fait le plaisir de commenter mon premier message sur cette nouvelle traduction réalisée avec Natalie Beunat, a pensé en travaillant sur ce roman.
Ce que j'ai pensé, c'est que c'était le moins bon des cinq romans de l'auteur. Je ne comprends d'ailleurs pas pourquoi Gallimard l'a sorti en deuxième en Folio. Il auraient, me semble-t-il, dû publier avant "Le Faucon maltais" et "La clé de verre" puis ressortir "L'introuvable" qui est un peu meilleur que "Sang maudit" mais pas franchement génial non plus. Et donc finir par "Sang maudit". Ce qui manque à ce roman, c'est surtout un choix de ton et d'histoire. Hammett dérape vers le "whodunit" dont il vient de sortir le roman policier en écrivant "Moisson rouge". Il s'égare dans des épisodes qui frôlent la magie, entraîne son détective sans nom dans une affaire où l'occulte tient un grand rôle sans qu'il en soit rebuté, lui confère plus d'empathie et plus de psychologie, ce qui le rend presque mièvre à mon goût. Et tout cela frôle le mystère de chambre close pour se terminer par une révélation du "qui" sur fond de paysages convenus : la représentation de la société qui faisait l'une des forces de l'auteur n'a plus sa place. J'ai souffert sur la traduction d'autant que j'étais pris par le temps et que certains passages sont assez ennuyeux. Je l'ai faite seul et en suis assez satisfait car ce n'était pas facile. La co-traductrice a proposé ensuite plus de modifications fautives ou n'apportant pas de réelle amélioration qu'elle n'en a trouvé qui rendaient mon travail meilleur. C'est la vie. Mais quel écrivain ne s'est jamais trompé ? Et même dans les moins bons romans des meilleurs écrivains on trouve plus de choses que dans les bons romans des mauvais écrivains. Non ?
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