13 février 2012

Paroles de détenus : tranches de vie et de littérature du mauvais côté des barreaux

Nous autres, lecteurs de polars, à force de regarder les gendarmes jouer avec les voleurs, n'avons-nous pas tendance à oublier que dans la vraie vie, le dénouement se passe souvent derrière les barreaux ? Ce recueil de textes écrits par des prisonniers vient à point pour nous rafraîchir la mémoire. Rassemblés par Radio France sous la direction de Jean-Pierre Guéno, il s'agit de textes contemporains pour la plupart, dont la majorité sont signés par des inconnus et ont été écrits en prison puis recueillis auprès des prisonniers eux-mêmes ou de leurs familles.
Quelques signatures célèbres néanmoins, outre Jean Genet qui ouvre le recueil:  Jean Zay, Sacha Guitry, Paul Verlaine, Oscar Wilde, Guillaume Apollinaire, Charles Baudelaire, Albertine Sarrazin, Roger Knobelspiess, Pierre Rivière... Les textes ont été classés suivant le principe de la marelle : entre la terre et le ciel, sept cases pour les sept jours de la semaine, chaque jour symbolisant une thématique. Chaque texte est signé par son auteur ou par un pseudo.
Les textes sont de longueur variable, et de natures diverses : l'un décrit sa cellule, l'autre raconte son arrivée, la fouille, l'installation, l'horreur de la découverte de l'enfermement. D'autres préfèrent s'exprimer par la poésie, il peut s'agir d'extraits de lettres, de journaux intimes. Et même si la préface précise que le but du recueil n'est pas de faire le procès de l'institution carcérale, c'est bel et bien une charge contre la prison qui se construit au fil des pages souvent bouleversantes, révoltantes, effrayantes. On est frappé par la différence de ton entre les mots de celui qui connaît l'enfermement pour la première fois, et cet autre qui décrit consciencieusement sa petite cellule et la compare à celles qu'il a connues auparavant. Paroles d'hommes, paroles de femmes aussi. Paroles qui racontent comment le temps à l'intérieur n'a plus rien à voir avec le temps à l'extérieur, comment le temps s'arrête, et la vie aussi : "Le corps sort de cette aventure vieilli et las mais il n'a pas vécu." La violence sourde ou exprimée, la folie, les cris, les visites attendues souvent, dérisoires parfois, l'attente de la lettre qu'on fait durer, pour pouvoir en savourer pleinement la lecture. Ah oui, la lecture : "En prison, il me semble que c'est ceux qui ne savent pas lire qui sont le plus énervés (...) La lecture c'est le seul moyen légal d'évasion et c'est l'enrichissement personnel", écrit Jean-Claude. Il y a des écritures qui sortent comme un cri, d'autres dont on sent qu'elles ont été travaillées, reprises, d'autres encore d'une simplicité absolue, qui sont peut-être les plus dures... Oui, il y a de la belle littérature dans ce recueil, il y a de la vie réprimée, de la révolte, de la lassitude, du désespoir. Quand on le referme, quoiqu'on ait pensé avant de l'ouvrir, on ne pense plus la même chose, et ce n'est pas son moindre mérite.
Paroles de détenus, sous la direction de Jean-Pierre Guéno, France Bleu Librio. A noter : les droits d'auteur de ce recueil sont répartis entre l'Observatoire international des prisons et le budget de Radio France, radio de service public.

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