18 février 2012

RJ Ellory parle des Anges de New York

Plus que quelques jours avant la sortie du nouveau roman de RJ Ellory, Les Anges de New York (voir la chronique).  L’auteur a bien voulu répondre à nos questions. Merci à lui… et bonne lecture.

On ressent un véritable changement de style par rapport à vos livres précédents. Un peu moins de « ralenti », davantage de colère, de violence, des descriptions absolument stupéfiantes, des dialogues étonnants, des ruptures de rythme… En fait, on ressent New York dans ce roman. Etiez-vous conscient de cela en écrivant, ou est-ce venu spontanément à cause du (des) sujet(s) ?
Comme vous le savez, je cherche toujours les émotions dans une histoire. Pour moi, l’émotion est primordiale. Là, nous avons un homme en colère, désespéré, un homme poussé par son obsession qui l’oblige à faire ce qu’il peut pour aider les gens, à découvrir la vérité, l’écriture de ce livre me semble adaptée à son état mental et à son attitude envers la vie. Impossible d’écrire un livre comme Les Anges de New York avec le même style que Seul le silence… Cela n’aurait pas convenu aux images et aux sentiments que j’essaie de provoquer chez le lecteur.  C’est comme la musique. On écrira de belles envolées mélodiques pour orchestre symphonique si on veut évoquer tel sentiment, ou telle atmosphère. Ou bien on écrira une mélodie pour soliste, qui dira beaucoup mieux que trente violons et une section de percussions ce que l’on voudra exprimer. Le style que j’utilise me vient naturellement avec l’histoire que je veux raconter.

Dans vos romans, il n’y a pas de personnage récurrent. Et pourtant, l’Amérique du nord n’est-elle pas votre propre personnage récurrent?
Je pense que mon personnage récurrent, c’est "l’être humain ordinaire placé dans une situation extraordinaire". C’est ce qui me permet de faire passer ce personnage par des émotions multiples, et d’utiliser toute la gamme des réactions humaines et des obstacles psychologiques.  En fait c’est vrai – l’Amérique du nord est aussi un élément clé pour moi, car elle me donne toute la perspective nécessaire pour écrire une histoire très différente à chaque fois. Certains lieux dont je parle – comme par exemple ceux où se déroule Vendetta – deviennent de véritables personnages, aussi réels que les personnages eux-mêmes. Sans doute l’Amérique du nord  constitue-t-elle ma toile, et c’est pourquoi chacune de mes peintures, même si elles sont différentes, présente une texture, un toucher comparables.    

A choisir entre l’obsession, la relation père-fils et la maltraitance des enfants, quel est le sujet central que vous préféreriez voir souligner par vos critiques ?
L’obsession, assurément. Je ne fais ni synopsis, ni plan.  Au départ, j’ai une notion générale du type d’histoire que j’ai envie d’écrire. J’ai une idée relativement précise de l’époque et du lieu, car pour moi ces éléments sont déterminants pour le ton du roman. Enfin, la chose qui me tient le plus à cœur, c’est le sentiment que je veux provoquer chez le lecteur. Je change d’avis au fil de l’écriture. Je prends de nouvelles décisions concernant les personnages, le dénouement, toutes sortes de choses. Et je m’efforce d’écrire la meilleure histoire possible. A mon sens, le pire roman qu’on puisse écrire est celui dont on pense qu’il va plaire aux autres, et le meilleur celui qui vous plaira à vous. Ce qui me pousse à écrire sur les sujets que je choisis est simple : je pense que ces sujets sont ceux qui me donnent la meilleure opportunité de parler des « vraies gens » et de la façon dont ils réagissent à certaines situations réelles. Rien n’est plus intéressant que les gens, et l’un de leurs aspects les plus intéressants est leur capacité à vaincre les difficultés et à survivre. J’écris des « drames humains », et dans ces drames j’ai suffisamment de liberté pour couvrir tout le spectre des émotions humaines.. C’est cela qui m’intéresse. Quelqu’un a dit que l’objectif principal de la non-fiction, c’est de transmettre de l’information, alors que l’objectif principal de la fiction est d’évoquer une émotion chez le lecteur. J’aime les auteurs qui provoquent une émotion chez moi. Je veux ressentir quelque chose quand je lis un roman. Il existe dans ce monde des millions de livres, très bien écrits, mais dont l’intrigue et le style sont mécaniques. Trois mois après les avoir lus, vous ne vous les rappelez plus du tout. Ce n’est pas une critique : je reconnais qu’il faut beaucoup d’intelligence pour écrire ce genre de livre à l’intrigue sophistiquée, et c’est probablement  une chose que je ne saurais pas faire. Néanmoins, les livres qui comptent vraiment pour moi sont ceux dont je me rappelle des mois plus tard. Peut-être aurai-je oublié le nom des personnages ou les détails de l’intrigue, mais je me rappelle l’émotion qu’ils ont éveillée en moi. Voilà ce qui compte. Le lien émotionnel. C’est ce type de livres que je m’efforce d’écrire, et c’est aussi ce type de livres que je lis. Avec Les Anges de New York, c’est vraiment ce sentiment d’obsession que j’ai voulu rendre. Je voulais une histoire très noire – solitaire, dure et sombre pour le personnage principal. Mais je voulais surtout que le lecteur ressente que cet homme était littéralement emporté par son besoin de savoir.

Dans quel état d’esprit étiez-vous quand vous avez commencé à travailler sur ce roman ? Des trois thèmes précédents (l’obsession, la relation père-fils, la maltraitance) quel était celui qui a présidé au démarrage de l’écriture ?
L’obsession était l’élément prédominant, mais aussi une forme d’imagerie. J’ai commencé à écrire et – comme cela se produit avec tous les livres – c’est devenu quelque chose qui me consumait, auquel je pensais sans arrêt, et je travaillais comme un fou. Ma femme dit que je suis “poussé”, conduit par mon écriture, et elle a sans doute raison. Pour moi, c’est devenu une histoire importante qu’il fallait que je raconte, non pas que je sois imbu de moi-même, ou que j’aie la sensation d’avoir un « message » important à transmettre… En fait c’était tout le contraire. Etrangement, je me sentais humble, impressionné  Le fait d’écrire l’histoire de Parrish m’a fait prendre conscience du fait qu’il existe des milliers de personnes qui consacrent leur vie au service des autres, qui sacrifient leur sécurité personnelle, leur stabilité, leur famille,  leurs vacances – toutes ces choses qui nous paraissent inaliénables – pour aider d’autres personnes moins chanceuses. De temps à autre me revenait cette expression, “les victimes oubliées”. Mais au fur et à mesure que j’avançais, je pensais davantage aux « sauveurs oubliés ». Car ce sont eux, les vrais « Anges de New York », et d’ailleurs… Dans toutes les villes, tous les quartiers, des anonymes font ces sacrifices, et trop souvent on les critique ou on les méprise. Ces gens dont on dit qu’ils sont corrompus, ou qu’ils ne pensent qu’à leur propre intérêt, alors qu’en réalité c’est tout le contraire.

Après Washington dans Les Anonymes, votre dernier roman paru en France, vous vous attaquez à LA ville américaine : New York. Qu’est-ce qui vous a poussé à enquêter sur l’histoire de l’aéroport JFK ? 
C’est une histoire qui est racontée dans le livre de Nicholas Pileggi, Wiseguy sur lequel s’est basé Scorsese pour son film Les Affranchis. Cette histoire vraie est devenue un mythe, une légende. A l’époque, c’était le plus grand casse de l’histoire des Etats-Unis, et c’est une histoire fascinante en soi. Coïncidence, l’époque à laquelle j’ai situé l’arrière-plan des Anges se plaçait exactement à l’époque de cet événement. C’aurait été absurde de ne pas en parler.

Qu’est-ce qui vous a intéressé dans cette histoire ?
Le fait que pour entreprendre une telle action, il fallait un sang-froid incroyable, et aussi un courage un peu fou. A l’évidence, le vol est un délit et doit être condamné, mais aussi, bizarrement, il y avait quelque chose d’admirable dans cet acte et la façon dont il a été accompli. Ils étaient déterminés à le faire, prêts à se faire prendre et à assumer les conséquences, mais le gain potentiel était suffisant pour les convaincre d’y aller.

Comment avez-vous établi le lien entre cette histoire et l’histoire personnelle de Frank Parrish ?
Par son père, tout simplement. Le fait que si son père travaillait aux Services du crime organisé à cette époque, il était nécessairement impliqué dans l’enquête sur l’affaire Lufthansa.

Frank Parrish est un flic déprimé, alcoolique et solitaire, comme beaucoup de ses confrères en littérature policière. Et pourtant vous parvenez à en faire un personnage unique et très émouvant. Le lecteur considère Frank tout de suite comme une personne réelle. Aviez-vous quelqu’un de précis à l’esprit quand vous avez créé ce personnage ?
Oui, bien sûr : moi ! C’est une histoire entièrement autobiographique… Soyons sérieux… Je savais que j’empruntais des sentiers déjà arpentés par tous les auteurs de romans policiers de la planète, et pourtant, pour moi, Frank Parrish était tellement réel que j’étais persuadé que je pouvais lui conférer suffisamment d’humanité pour le rendre unique. Ma fascination profonde et persistante pour l’esprit humain, la façon qu’ont les humains d’affronter la vie, la façon qu’ils ont de prendre des décisions et d’être obligés d’en assumer les conséquences, tout cela m’a donné la volonté de creuser très loin dans la personnalité de mes personnages. C’est pour cela que je n’écris pas de séries. Je veux décrire autant de personnages que possible, et avec une série on est coincé avec la même distribution !

Dans le “reportage littéraire” que vous avez écrit pour la revue Alibi, vous évoquez ce moment où vous êtes resté sur le lieu où Catherine Sheridan est tuée dans Les Anonymes. Et on a l’impression que Catherine est une vraie personne, quelqu’un dont vous portez le deuil. Vos personnages font-ils partie de votre vie, de vos souvenirs et de votre culture une fois que vous les avez mis dans un roman ?
Exactement. Ils deviennent “vrais”, et je suis triste de les quitter. Mais je sais qu’il y en a d’autres, dans le prochain roman, et j’ai hâte de les rencontrer.

Frank est aussi un homme révolté. Il ne supporte pas les injustices auxquelles il est confronté dans son métier, il ne supporte pas la violence faite à ces jeunes filles, il sait que son métier est une mission mortelle, et pourtant cette mission est son seul mode de survie. Comment voyez-vous cette contradiction – un métier mortel qui le maintient en vie ?
En fait, c’est l’essence même de l’histoire. Cet homme meurt s’il fait ce qu’il doit, et il meurt s’il ne le fait pas. Il doit faire son travail, et pourtant ce travail le tue. Il le sait, il le comprend, et pourtant il ne peut pas faire autrement : il poursuit son enquête. A la base, il se préoccupe des hommes, et peut-être davantage des inconnus que de sa propre famille, ses amis, et lui-même. Il se préoccupe des gens parce que personne d’autre ne s’en préoccupe. Il persiste à chercher la vérité bien au-delà du point où les autres ont renoncé. Il pense que personne ne s’occupait des victimes quand elles étaient vivantes, et que le moins qu’il puisse faire, c’est de prendre leur mort suffisamment au sérieux pour parvenir à découvrir ce qui s’est vraiment passé. Voilà ce qui le fait agir, et il ne sait pas pourquoi, il sait juste que c’est ce qu’il est, ce qu’il ressent, et qu’il ne peut pas s’en empêcher. Il ne peut pas devenir quelqu’un d’autre. 
 
Comment les Américains réagissent-ils à cette relation d’amour/haine que vous entretenez avec leur pays ?
Mes lecteurs américains se montrent plutôt réceptifs et très enthousiastes. Ils ont toujours très bien accueilli mes livres, et même si aujourd’hui mon audience américaine n’est pas énorme, je suis sûre qu’elle grandira avec le temps.

Une étude récente sur les livres empruntés dans les bibliothèques anglaises montre que James Patterson apparaît 5 fois dans le top 10, aux côtés de 2 auteurs anglais seulement. Que pensez-vous de cette situation ? Compte tenu du fait que Patterson lui-même se considère comme le roi du marketing…
Eh bien c’est vrai, il est le roi du marketing ! Je  n’ai pas de problème avec James Patterson. Il consacre des sommes énormes de son argent personnel à vendre ses livres aux USA et en Angleterre, il a donc fait la preuve qu’en faisant beaucoup de marketing, on arrivait à gagner des lecteurs. Malheureusement, l’industrie de l’édition anglaise ne se porte pas bien en ce moment. Le déclin de la lecture en Angleterre est considérable, et c’est une chose très triste. Il n’y a pas d’argent pour le marketing et la promotion. Ces choses-là coûtent cher, et les livres ne rapportent pas assez d’argent pour qu’on leur consacre des budgets. Quand mes livres sortent en Angleterre, ils passent presque inaperçus, il n’y a pas vraiment de publicité ou de marketing. C’est dans la nature du marché en ce moment, et si quelqu’un a suffisamment de vision et de capacités financières pour créer ses propres méthodes de marketing, eh bien le monde est à lui.

Avez-vous votre mot à dire sur l’ordre de parution de vos romans à l’étranger? Pour certains auteurs, l’ordre chronologique de lecture est important. Pensez-vous être dans ce cas de figure ?
Non, je n’ai pas mon mot à dire. Je fais confiance à l’éditeur pour prendre la bonne décision et pour publier le titre qui lui semble le plus opportun..

Vous venez de publier Bad Signs en Angleterre, un autre roman sortira en 2012. Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
J’ai presque terminé le livre qui paraîtra en anglais en 2013. Il s’appelle The Devil and the River. Il se passe en 1974 dans une petite ville du Mississippi, et le personnage principal est un sheriff qui vient de rentrer du Vietnam. Il enquête sur un meurtre qui a eu lieu 20 ans auparavant et qui vient de ressurgir. Là encore, il s’agit d’une période très significative pour l’Amérique – la fin de la guerre du Vietnam, l’effondrement du gouvernement Nixon… Mais le thème central est la tromperie et la trahison à l’intérieur d’une famille corrompue. 


Romans de RJ Ellory en français
 Seul le silence, traduit de l’anglais par Fabrice Pointeau, Sonatine, 2008
Vendetta, traduit de l’anglais par Fabrice Pointeau, Sonatine, 2009
Les Anonymes, traduit de l’anglais par Clément Baude, Sonatine, 2010
Les Anges de New York, traduit de l'anglais par Fabrice Pointeau, Sonatine, 2012

RJ Ellory est aussi musicien. Il a enregistré un EP avec son groupe les Whiskey Poets. Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site du groupe

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