Aujourd'hui sort le nouvel album de Bruce Springsteen, Wrecking Ball, et il est, à ce qu'on dit, plutôt formidable et vigoureux. Rien à voir avec le polar?... Eh bien si, puisqu'on va parler du roman de Mikaël Ollivier, Quelque chose dans la nuit. Mikaël Ollivier est un auteur de polars reconnu, il est aussi le biographe de Springsteen et grand fan devant l'éternel. Il signe là la deuxième enquête des frères Le Guen, eux aussi addicts au "Boss", après La promesse du feu, paru en 2009 chez Albin Michel. Quant à l'histoire, il s'agit d'un tueur en série qui s'en prend à une bande de ... fans de Bruce Springsteen. Voilà, cette fois vous l'avez compris, Ollivier est allé jusqu'au bout de sa passion. Ceci dit, même si vous n'aimez pas Springsteen, vous aimerez sans doute ce roman bien ficelé, aux portraits psychologiques sensibles et fouillés, et peut-être même qu'après l'avoir lu vous aurez envie d'écouter le dernier album ! Ah, j'oubliais, le titre du roman est aussi celui d'une chanson de BS (Something in the night).
Guillaume le Guen est commissaire à Montpellier. Son jeune frère Damien est gendarme dans la même région. Tous deux? animés par la même passion pour la musique du Boss, font partie d'une bande de fans de la première heure qui écume les concerts en Europe, mais aussi aux États-Unis. Ils se retrouvent à chaque tournée, se fixent rendez-vous, organisent les réservations ensemble, bref se sont créé un petit monde à part où les profanes n'ont guère de place. Cette année-là, 2007, c'est la tournée "Magic", démarrée à l'automne avec la sortie du disque. Cette tournée passera par Madrid le 25 novembre et par Paris le 17 décembre. Tout commence donc à Madrid. Isabelle, une des fans du petit groupe, par ailleurs maîtresse depuis cinq ans de l'écrivain Grégory, marié, père de famille et... fan de Springsteen, fait partie de l'expédition. Manque de chance, la femme de Grégory, intuition féminine sans doute, a décidé que cette fois elle accompagnerait son mari en Espagne... Ambiance... Tout ce petit monde se retrouve dans le même hôtel. Sauf qu'Isabelle tombe du 8e étage et s'écrase sur le trottoir. L'enquête est rapide et conclut au suicide d'une femme amoureuse et désespérée. C'est le début d'une série de morts de plus en plus suspectes. Bientôt, le doute n'est plus permis, un serial killer est à l’œuvre, et les Le Guen ne seront pas trop de deux pour arrêter le fou furieux qui décime la petite bande.
Même si l'enquête est plutôt bien menée et le suspense habilement construit, l'essentiel du roman est ailleurs. D'abord dans les étranges relations qui unissent ces hommes et ces femmes très différents mais liés par une même passion. Des amis qui se voient peu, partagent leur passion avec quelque part au cœur un mélange de fierté et de honte, celle qu'on éprouve devant des gens qui ne comprennent pas qu'à cinquante ans encore, on puisse se comporter comme un ado exalté... Tous ceux qui ont connu des "fans", ou qui le sont, sauront de quoi je parle. Cela, et puis l'inévitable nostalgie qui va avec : tous ces gens connaissent par cœur la carrière de leur idole depuis ses débuts, l'histoire de ses tournées, toutes les chansons des albums, glosent sur l'évolution de l'artiste, ses compositions, ses hauts et ses moins hauts (on ne parle pas de bas...). Tout cela tisse une complicité authentique, mais malgré tout ces gens qui se retrouvent tous les ans ou tous les deux ans ne savent guère à qui ils ont affaire. Car il y a une vie avant et après les tournées de Springsteen. Et de cette vie-là, ils ignorent presque tout, les uns et les autres... C'est bien là le problème. Et puis il y a les digressions psychologiques qu'aime tant Mikaël Ollivier et qui sont plutôt réussies. La sensibilité des personnages est joliment évoquée, les deux hommes flics sont bien campés, leur mère fan de romans policiers est elle aussi une belle création, surtout que dans ce livre, elle passe de l'autre côté de la barrière et commence à écrire son premier roman. Et puis la musique omniprésente est un personnage à part entière de cette histoire, et là encore c'est plutôt réussi, ce qui n'est pas toujours le cas. Les romans dits "rock" se contentant trop souvent de citer en vrac quelques titres histoire de mettre un fond sonore. Là, les chansons contribuent au sens du roman, on sent bien qu'Ollivier est proche de ses personnages... Bref, ça sent le vécu et cela donne au roman une force d'émotion qui fait volontiers oublier les quelques faiblesses d'écriture, notamment dans les scènes de sexe, peu convaincantes. Un roman efficace, musical et sensible, ça n'est pas si fréquent...
Et puis tiens, pour finir cette chronique, je ne résiste pas au plaisir de vous offrir un lien vers la chanson du titre, Something in the night.
Mikaël Ollivier, Quelque chose dans la nuit, Le Passage, 2011
J'ai un faible pour l'album Magic (je me suis d'ailleurs arrêté à celui-là, mais je vais jeter une oreille sur le dernier). Et Springsteen a fait plusieurs petits polars musicaux pas piqués des hannetons comme Nebraska, par exemple... ( http://www.k-libre.fr/klibre-ve/index.php?page=evenement&id=154 )
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