30 juillet 2012

Des chiffres et des litres : Rachid Santaki passe à la vitesse supérieure

1998, Stade de France, black blanc beur, ça vous rappelle quelque chose ? Ça se passe à Saint-Denis, le Stade de France vient de sortir de terre. Qu'est-ce que ça change dans la ville ? Rien, rigoureusement rien... Hachim vit dans une cité avec sa famille, son frère, sa sœur et ses parents. Son frère Yazid est d'ores et déjà tombé dans la came et le deal. Lui, Hachim, a d'autres ambitions. Il est plutôt bon au lycée, il est passionné par le hip hop, il veut être journaliste, il écrit déjà. Et il a du mérite, vu le contexte... Car dans sa famille, contrairement à ce qu'on pourrait penser, il est le mal-aimé de son père, allez savoir pourquoi. Alors que Yazid, la petite frappe, s'en tire avec les honneurs.
Côté amis, il n'en manque pas. Il éprouve surtout un attachement particulier pour Houssine, sorte de grand frère ou de père de substitution. Manque de chance, Houssine est dealer... Comment peut-on résister ? C'est simple, on ne peut pas. Hachim va très vite basculer du mauvais côté, connaître les coups bas, les trahisons, la violence, la haine, la prison. Avec, toujours, la certitude que sa vie n'est pas là, qu'il a un chemin à accomplir, des tas de choses à dire et à faire. Mais comment se sortir de ce cycle infernal? De ce monde où ceux qui sont supposés faire respecter la loi profitent sauvagement de la situation? Quand il n'y a plus aucun repère, quand les amis trahissent et mentent, quand même la famille n'est pas au rendez-vous, comment ne pas tomber ?

Des chiffres et des litres est plus sombre encore que le précédent roman de Rachid Santaki, Les anges s'habillent en caillera (voir chronique ici ). Sans doute parce que cette fois le héros est un jeune garçon plein de promesses, à qui on a envie de souhaiter tout le bien possible... L'auteur reprend le système des extraits de presse qui ponctuent le roman, enracinant le texte dans le réel. Et si dans Les anges... on pouvait déjà observer l'usage du langage des cités, là on peut dire que Santaki se lâche et assume totalement cette langue et ces codes qui peuvent constituer une vraie barrière de compréhension pour le lecteur lambda. Il prend le risque, demande à son lecteur de faire l'effort, et ne cède pas à la tentation de la pédagogie et de l'ethnologie de bazar. Il nous laisse nous débrouiller tout seuls, et c'est probablement le meilleur choix qu'il pouvait faire. Dans ce roman extrêmement éprouvant, Santaki nous sensibilise à la situation d'impasse dans laquelle se trouvent les gamins des cités, la tâche insurmontable qu'ils ont à accomplir pour se sortir d'un milieu où tout semble joué d'avance, même lorsqu'ils sont doués, motivés et pleins de projets. Des chiffres et des litres, c'est aussi le roman d'une solitude terrible...
Rachid Santaki, Des chiffres et des litres, Moisson rouge, préface de Dominique Manotti



3 commentaires:

  1. L'intrigue me fait furieusement songer à l'excellent roman, très sombre aussi, de Thierry Jonquet, Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte".
    Très bonne chronique, je découvre un auteur que je ne connais pas, merci !

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  2. Très bonne critique. Celui-ci est dans ma liste de lecture pour l'été, mais j'ai beaucoup aimé "les anges…" (D'ailleurs en passant, le diable s'habille en Prada, et les anges en caillera). Quant à Jonquet, j’émettrai des réserves, Rachid Santaki aime ses personnages, alors que ce n'est pas le cas pour Thierry Jonquet, d'ailleurs c'est peut-être ce qui fait sa marque de fabrique, sa froideur.

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  3. Merci Hervé pour la vigilance, et désolée pour l'étourderie, réparée. Pour Jonquet, je ne trouve pas la comparaison évidente. Dans "Ils sont votre épouvante...", l'ambiance est moins plombée, moins étouffante, et l'approche sociale et politique est beaucoup plus explicite. Du coup, on reste un peu spectateur, d'où peut-être l'impression de froideur ?

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