29 août 2012

Dans Adieu Gloria, Megan Abbott nous offre deux femmes fatales pour le prix d’une


Malgré toute ma bonne volonté et mes a priori favorables, je n’étais pas tombée sous le charme de « mon » premier Megan Abbott, Absente (voir la chronique ici).  Cette fois, c’est autre chose. Ce n’est pas pour rien qu’Adieu Gloria lui a valu le prestigieux Edgar Award en 2008… Megan Abbott nous raconte l’édifiant parcours d’une jeune Américaine, comptable de son état, qui, lassée  par la routine de son travail pour une boîte de nuit, finit par céder aux instances de ceux qui voudraient bien qu’elle truque les comptes, juste un peu… Facile pour elle, elle a oublié d’être bête…
Mais elle est encore un peu jeune et naïve, et il s’en faut de peu qu’elle ne se fasse prendre en même temps que ses patrons. C’est le moment choisi par Megan Abbott pour nous présenter Gloria Denton, femme fatale vieillissante mais encore sublimement séduisante, professionnelle de haut vol, qui a repéré la petite et décide d’en faire son bras droit.  Gloria règne depuis plusieurs dizaines d’années sur le petit monde de la pègre : drogue, filles, courses de chevaux, bars et casinos, rien ne lui fait peur. Magnifique, élégante, des jambes interminables et un visage d’une froideur glaçante,  féline, mais effroyablement seule, Gloria se chercherait-elle une héritière en la personne de la jeune fille, de plus de vingt ans sa cadette, celle qu’elle appelle sa pouliche ? Toujours est-il qu’elle entreprend de faire son éducation. Et ça marche… La petite est douée, elle est fascinée par son modèle, elle veut absolument être digne d’elle, lui ressembler, et peut-être plus encore. Le grain de sable dans l’engrenage viendra de l’élément masculin, comme il se doit, en la personne du beau Vic, sexy au possible mais joueur invétéré et loser de première, toujours à la recherche de la liasse de billets qui lui permettra d’échapper, pour cette fois, à des créanciers pour qui la vie humaine n’a pas beaucoup d’importance. Vous l’avez compris, la pouliche tombe amoureuse, et pas qu’un peu ! Et c’est le début de la fin. Pour qui, je vous laisse le découvrir.
Dans Absente, j’avais trouvé appliquée et artificielle la reconstitution par Megan Abbott des années 40, années phare du roman et du film noir.  A vrai dire, ça sentait un peu l’universitaire qui s’encanaille ! Avec Adieu Gloria, Megan Abbott balaie d’un revers de main aux ongles laqués ces soupçons infâmes. Deux femmes aux prises avec un milieu d’hommes, deux femmes qui s’aiment et se craignent, une relation qui fait irrésistiblement penser au formidable Eve de Mankiewicz,  ce film où Bette Davis, comédienne et star, est confrontée à l’ambition cruelle de celle qu’elle a protégée et encouragée.  Abbott a le don pour évoquer la sensualité d’une étoffe, le bruissement des bas qui frottent l’un contre l’autre, le camouflage des sentiments sous un fond de teint de luxe… Elle sait que pour la femme fatale, le Beretta ou le couteau se cache souvent derrière les armes de la séduction. Elle raconte le sang, écœurant et fascinant, l’odeur de la mort, de la douleur, la violence extrême et la noirceur de la solitude. Elle raconte aussi le sexe, l’addiction au corps de  l’autre, les frissons qui animent les  hanches de la petite dès qu’elle voit approcher Vic, les jalousies, la jeunesse face à la vieillesse.  Tout cela dans un style maîtrisé, sans hystérie, avec une forme de cynisme littéraire qui, cette fois-ci, m’a vraiment bluffée.  Un détail dont vous ferez ce que vous voudrez : le roman, 256 pages, est écrit à la première personne par la pouliche, dont nous ne connaîtrons jamais le nom. D’ailleurs, elle l’écrit page 247 : « Personne ne connaissait mon vrai nom pour me retrouver »…

Megan Abbott, Adieu Gloria, traduit de l’anglais (USA) par  Nicolas Richard - éditions du Masque

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