3 novembre 2012

Donna Leon, "Les joyaux du paradis": mariage audio entre musique baroque et intrigue policière

C'est sous sa forme audio que j'ai découvert le nouveau roman de Donna Leon, Les joyaux du paradis. Publié par Audiolib, cet audiolivre bénéficie de la délicieuse diction de Sabrina Marchese, dont la voix modulée et l'accent chantant conviennent parfaitement à ce texte disons, élégant. Donna Leon fait une infidélité au commissaire Brunetti, qu'on prend habituellement plaisir à suivre dans ses enquêtes vénitiennes. On ne quitte pourtant pas Venise avec cette intrigue historico-musicologico-policière, puisque Catarina Pellegrini, musicologue à l'Université de Manchester, décide d'accepter le poste de chercheuse que lui propose une mystérieuse Fondation privée italo-allemande. Belle occasion pour elle de déserter la triste Manchester et de retrouver sa ville natale, Venise.
Sa mission ? Explorer les papiers découverts dans deux malles, à la recherche d'éléments susceptibles de faire la lumière sur les intentions testamentaires d'Agostino Steffani, musicien baroque né à Castelfranco Veneto en 1654. Ses commanditaires : deux cousins vénitiens à l'honnêteté douteuse, représentés par le très chic avocat maître Moretti, dont les charmes vont bientôt faire vibrer la sage Catarina. Les deux malles viennent d'être retrouvées à Rome, et rapatriées à Venise dans les bureaux de la fameuse fondation.
L'enquête documentaire vire bientôt à la recherche musicologique, puis au jeu de pistes policier, puisque nous sommes chez Donna Leon. Catarina se rend compte qu'en plus d'être un musicien remarquable, Steffani était surtout un homme d'église et un diplomate mêlé à des affaires d'Etat et peut-être détenteur de secrets inavouables, y compris sur lui-même. Steffani était-il un castrat? Etait-il mêlé de près à la tragique histoire de Marie-Aurore de Koenigsmark, maîtresse du futur roi de Pologne Frédéric-Auguste Ier qui termina sa vie à l'isolement dans une abbaye en 1728? On notera que Donna Leon égratigne au passage méchamment le roman de Pierre Benoît, Koenigsmark, qui fut le premier titre à sortir en Livre de poche en France. Ce qui s'annonçait comme une recherche universitaire se transforme bientôt en une dangereuse enquête, avec cambriolages, mystérieuses filatures, faux-semblants et faux-amis.
Ce n'est pas nécessairement une mauvaise idée que de partir de la biographie d'un personnage historique pour en tirer un roman policier. Matt Rees s'y est brillamment essayé avec Mozart, Iain Pears avec plusieurs artistes de la Renaissance italienne. Encore faut-il nous restituer l'atmosphère de l'époque, son esprit, son esthétique, ses lieux, ses odeurs et ses parfums. Là, rien de tout cela hélas. Nous ne quittons jamais Catarina Pellegrini qui, qu'elle soit assise derrière son ordinateur, vissée sur son siège de la bibliothèque Marciana de Venise ou au fond de son lit à éplucher une biographie de Steffani, ne réussit jamais à nous faire rêver. Certes on apprend des choses qu'on ignorait, mais Donna Leon n'a pas la passion contagieuse. D'ailleurs son héroïne elle-même l'avoue : Steffani l'intéresse, mais elle n'arrive pas à savoir ce qu'il cherche vraiment. Et du coup, nous non plus. Si encore Catarina était un personnage attachant, mais malheureusement elle est prodigieusement agaçante. Si elle est compétente en musicologie, franchement elle se comporte comme une gourde dans la vie contemporaine... Signant un contrat de travail sans se préoccuper de sa durée, tombant amoureuse comme une gamine d'un avocat sur la foi de son beau costume et de ses brillantes chaussures, infichue de deviner l'identité de l'homme qui la suit alors que nous, lecteur, l'avons comprise depuis longtemps... Sans parler de son insupportable snobisme et de son élitisme vaguement bas-bleu. Vous l'avez compris, j'ai eu  bien du mal à parvenir au bout de cette histoire téléphonée, à l'intrigue basique qui semble servir de prétexte à l'auteur pour assouvir sa bien légitime passion pour la musique baroque. Pourquoi diable Donna Leon n'a-t-elle pas écrit une biographie de Steffani? Peut-être aurait-elle alors réussi à nous communiquer son empathie pour ce musicien dont on pourra par ailleurs découvrir l’œuvre grâce à la sortie parallèle d'un CD de Cecilia Bartoli qui rend hommage à l’œuvre de Steffani.
Donna Leon, Les joyaux du paradis, texte dit par Sabrina Marchese, Audiolib
Version "papier" publiée par Calmann-Lévy dans une traduction de William Olivier Desmond

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