12 mars 2013

Avec "Un long moment de silence", Paul Colize tiendrait-il son grand roman?

Paul Colize est de retour. Cette fois, contrairement à Back Up, pas de musique, pas d'années 60, pas de complot mondial. En revanche, côté construction, on peut dire que l'homme a du savoir-faire. D'autant plus que son sujet est lourd, porteur d'émotions, de souvenirs familiaux, d'histoire.
Stanislas Kervyn dirige un cabinet de conseil en sécurité informatique prospère à Bruxelles. Il est aussi l'auteur d'un livre dans lequel il cherche à faire la lumière sur l'histoire de son père, abattu en 1954 au Caire au cours d'une fusillade qui fit 21 morts et une trentaine de blessés. Pourquoi, par qui a-t-il été abattu? Et que faisait-il au Caire?

Autant de questions auxquelles Stanislas Kervyn, père belge, mère polonaise, tente de répondre dans son livre. Le roman de Paul Colize s'ouvre sur une scène de plateau télé : Stanislas est invité à une émission littéraire, cornaqué par Pierre, son éditeur et ami. Il y parle de son livre, que l'animateur n'a pas lu... Au moment où il part, on l'informe qu'un inconnu l'a appelé, qu'il a des informations pour lui. Sans plus s'en soucier, Stanislas laisse son numéro de téléphone pour qu'on le communique à l'inconnu s'il rappelle. Et il rentre chez lui. Stan n'est pas le héros idéal: pas très sympathique pour tout dire. Brutal dans ses relations sociales - qui se limitent en gros à ses collaborateurs -, brutal dans ses relations avec les femmes, dans sa conduite automobile, brutal avec lui-même à vrai dire... Migraineux, autoritaire, irritable, pour lui les autres sont des esclaves ou ne sont pas. Et le principe s'étend à tous ses collaborateurs, de son assistante hyper-efficace à ses informaticiens de choc. Il tient son petit monde d'une main de fer, sans gant de velours. Il a bien un grand fils, Sébastien, quelque part, mais c'est un détail, voire un élément encombrant. On s'en doute, ce coup de téléphone ne sera pas sans conséquence : ce sera le passage vers la quête, la vraie, celle d'une vérité douloureuse après laquelle va courir Stanislas, en compagnie de sa traductrice Laura, italienne de choc qui a le bon goût de lui résister.

Nathan Katz a miraculeusement échappé à la Shoah et se retrouve à l'âge de 18 ans à New York, où il entre au Brooklyn College. Très vite, son intelligence et son courage le font repérer par les membres du Chat, association internationale qui s'est donné pour mission de retrouver, de juger et de punir les Allemands qui ont pris part à la Shoah. Quel itinéraire tortueux va amener les deux hommes à se rencontrer? De quelle vérité terrible cette rencontre va-t-elle accoucher? C'est ce que j'ai découvert en deux jours de lecture de cet impressionnant roman de 470 pages. Rarement le lieu commun du livre qu'on ne peut pas lâcher ne s'est autant justifié dans ma vie de lectrice qu'avec ce Long moment de silence. Souvent, quand on a affaire à une intrigue complexe, à une structure sophistiquée, c'est l'émotion qui en prend un coup. Là, rien de tout cela. Est-ce parce que l'on sent, dès le début, que ce roman occupe une place bien à part dans la vie de son auteur ? Paul Colize à la recherche de son histoire réussit à nous captiver comme s'il s'agissait de la nôtre. Et c'est un peu la nôtre en effet que cette histoire contemporaine-là, celle de l'horreur nazie, de la souffrance, de l'exil, de la séparation, de la haine et de la vengeance. D'autant que l'auteur rend son personnage principal, son double de fiction, particulièrement exécrable, notamment pour la féministe que je suis... Les scènes où il s'empare du corps de femmes de passage témoignent d'une froideur, d'un mépris incommensurable pour ses partenaires. Il n'y a pas une once de tendresse chez cet homme-là, et on comprendra pourquoi en allant au bout du roman.

Quant à Nathan Katz, dont on suit les missions vengeresses qu'il accomplit avec de moins en moins de dégoût, il pose de façon sobre et magistrale le problème de la vengeance et du pardon, montre un homme qui, avec le temps et la vie qui ne lui est pas tendre, perd peu à peu de son humanité. Un roman du bien et du mal, et aussi, surtout, de l'entre-deux, ambitieux, écrit sans pathos, avec sobriété et élégance. Références et allusions sans ostentation, chapitres courts et dynamiques, sens du suspense, Un long moment de silence est tout simplement une très belle réussite.

Paul Colize, Un long moment de silence, La manufacture de livres (disponible en librairie à partir du 14 mars)

3 commentaires:

  1. Bonjour Velda,

    Je me réjouis de la sortie du roman de Paul. Ta chronique donne très envie de le lire, là, tout de suite. Amitiés. Jean.

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  2. Merci Jean ! Tu n'as plus qu'à filer chez ton libraire préféré

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  3. Ok mais qui habite près du stutensee?

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