Écouter un roman d'Indridason, à vrai dire j'étais un peu sceptique. La narration lente, introspective, les descriptions, l'atmosphère lourde, lentement tissée à coups de mots précis, de réminiscences et de réflexions, tout ce qui fait la séduction insidieuse des romans de l'Islandais neurasthénique, je ne voyais pas comment une version sonore pouvait leur rendre justice. Divine surprise ! La version audio m'a accompagnée durant plusieurs trajets en voiture et m'a fait oublier les embouteillages et les sales têtes - y compris la mienne - de ceux qui, enfermés dans leur habitacle à moteur, n'avaient pas envie de se lever pour aller bosser.
Le talent du lecteur, Jean-Marc Delhausse, y est pour beaucoup. Sa voix traîne juste ce qu'il faut, le timbre est suffisamment profond pour inciter à la réflexion, et les changements de voix, utiles, ne sont pas exagérés, contrairement à certains autres titres où le comédien se croît obligé de prendre une voix de petite fille ou de vieille femme. Seul bémol peut-être, les courts intermèdes sonores entre chaque chapitre, qui en rajoutent un peu côté dépressif... Le plus surprenant, c'est l'effet que font les noms de lieux, ceux auxquels on s'habitue aisément quand on les voit écrits. Prononcés, ils retrouvent leur âpreté, leur étrangeté et leur noirceur.
L'histoire est en décalage par rapport à ce à quoi Erlendur nous a habitués. Il a quitté la capitale pour accomplir un de ses pèlerinages dans les fjords de l'est, cette région de son enfance où, par une nuit de tempête, il a senti glisser hors de la sienne la main de son petit frère Bergur. Bergur, perdu à jamais, dont on n'a jamais retrouvé le corps. Erlendur vit "à la dure", s'abrite pour quelques nuits dans l'ancienne ferme de son enfance, désertée depuis longtemps et ouverte à tous les vents. Il croise un chasseur de renards qui lui raconte l'histoire de cette troupe d'Anglais décimée par la tempête un jour, pendant la guerre. Et aussi celle de Matthildur, cette femme disparue le même jour alors qu'elle était partie voir sa famille à pied. Erlendur, sans doute pour s'efforcer d'échapper à sa propre quête et à sa hantise personnelle, se prend d'intérêt pour l'histoire de cette femme disparue.
Il est là, dans cette contrée désolée, abandonnée, froide, et il enquête sur la disparition de Matthildur, femme de Jacob, qui lui-même périra noyé quelques années plus tard. Il furète, interroge, inlassablement, les derniers témoins, la famille, les voisins, ceux qui ont entendu les rumeurs, ceux qui les ont répandues. Erlendur le limier reprend du service, bien loin des turpitudes de la ville, très près des horreurs des fjords de l'est. Du passé au présent, la narration oscille. Et Erlendur, obstiné, fouille méticuleusement le passé et le présent. Où trouvera-t-il ce qu'il cherche ? Et au fait, que cherche-t-il ? Ce roman du souvenir et de l'obsession est étrange, plus étrange encore que ses prédécesseurs. Il est lent, lancinant, froid. Et beau.
Arnaldur Indridason, Étranges rivages, Audiolib, lu par Jean-Marc Delhausse
Edition papier parue chez Métailié - Traduction Eric Boury
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