C'est toujours avec une certaine émotion que je démarre la lecture d'une enquête de l'inspecteur Chen. Exotiques certes, puisqu'ils se passent à Shanghaï, les romans de Qiu Xiao Long ont paradoxalement quelque chose de familier, presque intime. Au fil du temps, Qiu Xiao Long a réussi à créer un personnage, un univers humain et géographique qui s'ancrent profondément dans l'esprit et dans le cœur du lecteur, et ce n'est pas une mince réussite. L'inspecteur Chen a pris du galon, à son corps défendant presque, car on ne peut pas dire que l'homme soit porté par une ambition dévorante. Plus les livres se multiplient, plus on a la sensation aiguë que Chen n'est pas à sa place, qu'il est une sorte d'esprit mélancolique et libre dans une Chine où le capitalisme galopant n'a pas fait disparaître la bureaucratie, les classes sociales, et encore moins la corruption qui s'est emparée de toute l'économie chinoise, et en particulier de l'immobilier qui n'en finit pas de flamber.
L'internet aussi s'est mis de la partie, et malgré la surveillance des autorités, les blogs se sont multipliés, et les blogueurs ont acquis une compétence certaine pour faire passer leurs messages de protestation tout en se protégeant des menaces de la police. Quand le roman commence, c'est le dignitaire Zhou, directeur de la Commission d'urbanisme de Shanghaï, qui fait les frais de la vindicte populaire. Un blog a simplement diffusé une photo de Zhou avec, devant lui, un paquet de cigarettes, les 95 Majesty Supreme, un produit hors de prix. Le blogueur s'est contenté de poser la question qui tue: comment un dignitaire rémunéré par le peuple peut-il se permettre un tel luxe ? Bingo, la rumeur s'est répandue comme une traînée de poudre et Zhou est victime d'un véritable lynchage médiatique, à tel point que la police s'intéresse à sa personne. Il fait l'objet d'une crypto-garde à vue, le shuanggui. C'est-à-dire qu'il est assigné à résidence dans un hôtel de luxe, le temps que l'enquête se fasse. Toutes les autorités s'y mettent, et Chen est désigné comme conseil. Manque de chance, Zhou est retrouvé pendu dans sa chambre. Et Wei, le policier qui mène l'enquête, est malencontreusement renversé par une voiture au cours d'un improbable accident de la circulation. Tout ça à cause d'un paquet de cigarettes... On s'en doute, l'affaire est loin d'être aussi simple. Et Chen, qui n'est pas un grand spécialiste de l'internet, c'est le moins qu'on puisse dire, va solliciter l'aide d'une jeune et charmante journaliste experte en la matière pour mener une enquête d'autant plus difficile qu'on lui met des bâtons dans les roues.
Le personnage de l'inspecteur Chen est une vraie réussite. Cet homme cultivé, poète, traducteur à ses heures perdues, a réussi à grimper les échelons tout en restant parfaitement intègre. Ce qui ne l'empêche pas, mine de rien, de connaître toutes les ficelles de l'administration et tous les pièges à éviter. Solitaire ou esseulé, Chen vit seul et n'a pas de femme dans sa vie. Il a bien eu des histoires d'amour, mais quelque chose l'empêche de conserver une relation durable. Ses histoires d'amour, il les conserve en lui, il les traduit en poésie et en mélancolie. Sa mère, qui refuse de venir habiter chez lui alors qu'elle est malade, est l'objet de toute sa sollicitude et aussi d'un sentiment de culpabilité permanent : il ne lui a pas donné de petits-enfants... A chaque fois qu'une enquête de l'inspecteur Chen se termine, on éprouve une forme de tristesse. Certes, l'inspecteur Chen a réussi à démêler l'intrigue. Mais l'homme Chen, le poète Chen, donne toujours une impression de flottement, d'indécision, d'insatisfaction. C'est encore plus sensible à la fin de ce Cyber China: Chen se pose des questions, pense à reprendre ses traductions, remet en cause la vacuité de sa vie au sein d'une société de plus en plus absurde, de plus en plus étouffante. Qiu Xiao Long nous annoncerait-il une fin prochaine ou une évolution radicale pour notre héros ? L'avenir nous le dira... Si c'est le cas, je peux dire que Chen et ses citations poétiques me manqueront beaucoup.
Qiu Xiao Long, Cyber China, traduit de l'anglais par Adélaïde Pralon, éditions Liane Levi
Bon ! ... OK, je vais acheter celui-la pour voir!
RépondreSupprimerSans vouloir vous embêter, essayez donc un des premiers, qui vous familiarisera mieux avec le personnage et son univers. "Mort d'une héroïne rouge" par exemple, qui en plus existe en poche. Vous pouvez lire la chronique là : http://leblogdupolar.blogspot.fr/2011/04/qiu-xiaolong-la-chine-comme-vous-ne.html
RépondreSupprimerQuoiqu'il en soit, bonne lecture et merci pour votre fidélité.