George Pelecanos est un sacré bonhomme. D'origine grecque, il a vécu quasiment toute sa vie à Washington. A 17 ans, il habite un quartier difficile, comme on dit, et manque tuer un de ses copains au cours d'une bagarre. Miracle, George se reprend très vite et fait des études de cinéma. On pourra lire son nom, à la ligne "distribution", au générique de films de John Woo, Catherine Breillat ou des frères Coen, rien que ça. Et bien sûr à celui de The Wire, dont il est l'un des scénaristes et producteurs, et de la série Treme. Il publie son premier roman, Le chien qui vendait des chaussures, en 1994 (voir chronique ici). Et ne s'arrêtera plus d'écrire, pour notre plus grand bonheur. Pratiquement tous ses romans ont pour cadre la ville de Washington, qui joue un rôle capital dans ses histoires. Créateur de héros récurrents comme le détective d'origine grecque Nick Stefanos, il produit la série DC Quartet, où il met en scène les enquêteurs Dimitri Karras et Marcus Clay. Puis il crée l'équipe Derek Strange et Terry Quinn. En-dehors de ces séries, il écrit également des romans "autonomes" qui le classeront parmi les grands peintres de la société américaine, vue à travers le prisme de Washington que Pelecanos connaît comme sa poche et décrit comme personne.
Et voilà qu'en 2011, il décide de s'offrir un nouveau héros, dont nous allons faire la connaissance dans "Une balade dans la nuit" (The Cut). Spero Lucas est un ancien Marine. Après avoir servi en Irak, il a travaillé dans la sécurité, comme on dit.
Quand le roman démarre, il enquête pour l'avocat Petersen, et travaille un peu en "free lance". Ses spécialités: retrouver des objets perdus. Des colis de drogue, par exemple, malencontreusement égarés par des dealers étourdis. Cette fois, c'est pour le compte d'un client de Petersen, Anwan Hawkins, gros dealer qui fait un séjour en prison, qu'il doit se mettre à la recherche de ceux qui interceptent les livraisons destinées à son personnel. En l'occurrence, deux gamins, Tavon et Edwin, qui se sont fait souffler, pratiquement sous le nez, l'équivalent de 130 000 dollars.
Spero, 29 ans, est grand, beau mec, d'origine grecque comme par hasard, 1m80 pour 84 kilos, musclé, regard vert moucheté de doré... un vrai héros de cinéma ! Spero est aussi un homme hyper-organisé. Il ne se déplace jamais sans son Moleskine dans lequel il dessine des plans et des croquis des lieux qui l'intéressent, ni sans son Iphone avec lequel il fait des photos soigneusement cadrées de ces mêmes lieux. Dès le début, Pelecanos se permet un petit clin d’œil à Derek Strange lorsque Spero, au cours de ses repérages, passe devant le bureau de l'enquêteur... Pelecanos, fidèle à lui-même, fait preuve d'un souci du détail proprement étonnant : il nous décrit par le menu tous les itinéraires suivis par son personnage, les vêtements des protagonistes - et surtout leurs marques avec la symbolique qui va avec -, les véhicules... Spero a une hygiène de vie tout à fait recommandable : vélo, pompes, course à pied, et surtout beaucoup de sport en chambre. Car notre héros transpire la testostérone, et s'il est doué pour la séduction et le passage à l'acte, il l'est moins quand il s'agit d'entretenir une relation amoureuse. Mais en a-t-il vraiment envie ? Spero a encore l'âge d'être un bourreau des cœurs, et il ne s'en prive pas.
L'intrigue en elle-même n'a pas vraiment grande importance : elle est surtout un prétexte à la description des milieux de la drogue à Washington, des quartiers minables, avec des personnages à la fois redoutables et hauts en couleur. Un bon point pour le Marquis, un des "assistants" de Spero, ancien combattant en costume de soie, dont la jambe de pantalon flotte sur une prothèse. Des milieux où la vie de deux gamins n'a guère d'importance, où les flics sont loin d'être irréprochables, et où il vaut mieux savoir se défendre. Ça tombe bien, Spero sait. L'histoire se déroule à un rythme plutôt tranquille, même s'il s'en passe de belles au cours de cette enquête. Et puis tout à coup, l'enfer se déchaîne, et Spero va devoir utiliser son intelligence, qui est grande, et ses atouts physiques, qui ne sont pas minces, pour triompher de méchants vraiment méchants. Il y a chez ce nouveau héros une forme d'énergie du désespoir, de culte de la vie au jour le jour, mais aussi une force vitale étonnante, une séduction irrésistible. Et puis surtout, Pelecanos est toujours aussi bon quand il s'agit de nous entraîner dans ses virées urbaines, riches en musiques et en tumultes, et n'a pas son pareil pour donner de sa ville une vision à la fois microscopique et profondément lucide. On a hâte de savoir ce qu'il va advenir de Spero Lucas, et très envie de le retrouver dans un prochain roman.
George Pelecanos, Une balade dans la nuit, traduit de l'américain par Elsa Maggion, Calmann-Lévy, collection "Robert Pépin présente"
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