J'avais prévu de vous entretenir du drôle de petit livre sorti chez Points Seuil, Comment devenir écrivain quand on vient de la grande plouquerie internationale. Et puis je suis tombée sur le troisième volume de la série d'été des Petits polars du Monde, signé... Caryl Férey et illustré par Charles Berbérian. Du coup, vous aurez droit à deux Férey pour le prix d'un. Avec un point commun : quand Caryl Férey se lâche, il met son lecteur d'humeur folâtre, voire un peu hystérique!
Dans Comment devenir écrivain..., il donne exactement ce que son titre promet, à savoir un récit vitaminé de son parcours d'auteur, sans fausse pudeur, sans forfanterie, sans lamentations ni gémissements. Son texte part d'une nouvelle parue en 2006, L'âge de pierre, dans laquelle il raconte son enfance et surtout, surtout, son frère, à qui il dédie le livre. Sacré frère en effet que ce aîné d'à peine un an, qui le domine de sa haute taille - on sait que Caryl Férey n'est pas un géant - et lui fait en réalité la vie impossible. Avec le recul, Caryl raconte avec une tendresse infinie et un humour féroce les mésaventures d'un gamin qui a la malchance d'être petit et beau... Et puis le harcèlement exercé par un frère qui ne rate pas une occasion de le traiter de "pédé". On sait ce que le mot peut avoir d'insultant dans la bouche d'un gamin de 10 ans qui parle à son frère, mais on comprend vite pourquoi ce grand frère n'a de cesse d'humilier son cadet. Il n'a pas de bol, ce grand frère. En pleine Borgmania, il adule Connors, ce tennisman qui joue encore avec une raquette en fer, je vous demande un peu. A l'école, il est nul : il a une mémoire d'éléphant quand il s'agit de retenir les noms des footballeurs et de leurs entraîneurs, mais le souvenir volatil pour tout le reste. Les résultats s'en ressentent. C'est trop injuste... Il passe sa vie à être fou de rage, révolté face à l'injustice de son existence, et il se venge sur le petit, vous savez, le petit pédé...
Ce dernier, de son côté, se voit plutôt comme un renard. Une de ces jolies bêtes que les filles aiment tant cajoler. "Mon frère m'a aiguisé comme un silex; depuis, entre la combustion et l'étincelle, je consume les fées dégringolées et le vent comme autant de miracles improvisés." A partir de là va se dérouler, toujours dans le même style gonflé, monté sur ressorts, la carrière de l'auteur de Zulu et de Mapuche. Les premiers éditeurs fauchés, les premiers contrats, les déceptions, le RMI, l'hébergement chez les copains sympas... Et puis le premier voyage en Nouvelle-Zélande, le premier succès avec Haka, les tentatives ratées, les années sans... Les éditeurs défilent, avec leurs surnoms cocasses qui ne nous empêchent (surtout) pas de les reconnaître. Jusqu'à Mapuche, Caryl Férey fonce, se bat comme un beau diable, réussit, tombe, se relève, triomphe sans jamais, finalement, se prendre au sérieux, même si au bout du compte il atteint son but de jeune écrivain : être publié chez Gallimard... Dernière phrase : "(...) mon attachée de presse m'apprit la meilleure: quelqu'un au ministère de la Culture me recommandait pour devenir chevalier des Arts et des Lettres." On est content pour lui. Mais s'il y a une chose dont on soit certain, c'est que le petit renard a en tête d'autres rêves.
Chérie noire, tel est le titre de la nouvelle parue dans la collection des Petits polars du Monde. Sur 40 pages, Caryl Férey s'amuse. Et les amateurs de polars aussi, car la nouvelle est une mini-entreprise de démolition du monde du polar et de ses festivals, à coups de pseudonymes transparents et de clins d’œil vachards. Monsieur Férey s'offre ainsi la tête d'une bonne partie de ses concurrents français et étrangers. Et en homme prudent, il confie le sale boulot au personnage principal de son récit, qui s'y entend plutôt bien. Les illustrations de Berbérian, avec leurs contours calligraphiés et leurs savants lavis d'encre noire, s'accordent parfaitement avec la malice et la duplicité du récit.
Au bout du compte, cet après-midi passé avec un Caryl Férey en roue libre nous fait un peu regretter que l'auteur ait renoncé, pour le moment, à nous offrir un nouvel épisode des enquêtes de McCash, le héros bien allumé de Plutôt crever et de La jambe gauche de Joe Strummer, des romans plus légers sans doute que les poids lourds Zulu et Mapuche, mais dans lesquels on adore retrouver le style bondissant et pressé de ces deux lectures estivales.
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