Il est toujours aux "Plaintes", et cette fois il est chargé d'enquêter sur Paul Carter, flic dans la région du Fife (terre d'origine de l'auteur), à Kirkcaldy plus précisément, charmant petit port face à Edimbourg. Le Paul Carter en question est soupçonné d'avoir profité de son statut de flic pour abuser d'une jeune femme, Teresa. Tragique, mais finalement hélas assez banal. Qu'à cela ne tienne. Malcolm, en enquêtant chez l'oncle du suspect, qui a gentiment dénoncé son neveu, va tomber sur des documents compromettants qui, s'ils n'ont rien à voir de prime abord avec l'affaire Carter, ont en revanche tout à voir avec une affaire vieille de près de 30 ans qui elle, n'a rien de banal et tout du scandale politique.
Saviez-vous qu'à la fin des années 70 et jusque dans les années 80, l’Écosse abritait des groupes indépendantistes terroristes qui s'inspiraient des méthodes irlandaises pour tenter d'arriver à leurs fins ? En 1985, l'avocat William McRae, proche de ces groupes révolutionnaires, mourait d'une balle dans la tête après s'être encastré dans un arbre. Suicide, avait-on conclu après une enquête pour le moins bâclée, affaire classée. A l'époque, Ian Rankin est étudiant en littérature à l'Université d’Édimbourg, et, de son propre aveu, ne se préoccupe pas de politique et encore moins d'accidents de la route suspects. Au moment d'écrire Les guetteurs, il tombe sur cette histoire qui commence à l'obséder, et qui le pousse à se poser des questions sur qui il était vraiment au moment des faits, pour avoir totalement ignoré un événement au potentiel politique aussi fort. Il se passionne, enquête, cherche, rencontre des témoins... et transforme derechef William McRae en un personnage romanesque qui lui ressemble beaucoup, Francis Vernal. Donc Malcolm Fox retrouve chez l'oncle de Paul Carter des documents qui le lient d'une part à Francis Vernal, et d'autre part à un cousin de son propre père. Il n'en faut pas plus pour le mettre sur le sentier de la guerre. D'autant que l'oncle Carter ne tarde pas à quitter le monde des vivants... bientôt suivi par son neveu. C'est l'hécatombe à Kirkcaldy. Et bientôt, on fait sentir à Malcolm Fox qu'il met les pieds là où il ne faut pas. Pour tout dire, on le débarque de l'affaire. Ses deux compères se débrouilleront bien tout seuls. C'est bien mal le connaître. Fox a du temps sur les bras : va-t-il en profiter pour aller à la pêche, prendre des vacances? Non, bien sûr. Il va se jeter tout droit et toutes griffes dehors dans la gueule du loup. Un loup à plusieurs têtes, qui plus est, tapi là où on ne l'attend pas.
Dans Les guetteurs, clairement, Ian Rankin donne à Malcolm Fox les "billes" qu'il lui faut pour devenir un héros à part entière. Côté privé, il développe en profondeur les relations entre Malcolm et son père, qui, hospitalisé, va finir par s'installer dans l'appartement de Fox. Entre Malcolm et sa soeur, Jude, une femme en souffrance, qui refuse toute aide et toute compassion, surtout de la part de son frère. Jusqu'à ce que la maladie de son père l'amène, dans la douleur, à se rapprocher de Malcolm, à cesser de lui en vouloir de ses propres errances, et, même, à tolérer qu'il lui témoigne de la tendresse. Et si Malcolm n'a toujours pas de femme dans sa vie, il progresse à pas de géants vers une humanité vraiment singulière. Côté professionnel, il fait ses preuves. Face au lecteur, face à son père surtout qui n'a de cesse de lui faire remarquer qu'il n'est pas un "vrai" flic. Il se lance dans une investigation semi-clandestine, puisqu'il a été dessaisi de l'affaire. Mais il ne lâche rien, car la vérité qu'il entrevoit lui est intolérable. L'auteur offre même à son héros de véritables mises en danger physiques, à la fin du roman, avec la scène-vérité où il est confronté, seul à seul, avec le loup, et où il doit se sortir d'une situation désespérée.
L'intrigue du roman est foisonnante, les rebondissements multiples nous ramènent sans cesse aux sources historiques et politiques de l'histoire. Surtout, elle pose la question du destin de ces révolutionnaires qui, une fois leur cause perdue, n'hésitent pas à franchir allègrement les barrières idéologiques et à occuper des postes de pouvoir. Car tout l'enjeu, pour ces chefs de guerre, est là : pas la cause, mais le pouvoir... Dans un tel cadre, tous les coups sont permis. En cela, le roman dépasse largement le contexte écossais : combien d'ex-révolutionnaires bien de chez nous ont fini leur carrière comme hauts fonctionnaires, dirigeants d'agences de pub ou autres postes confortables et puissants? Roman ambitieux, belle construction, personnages complexes, Les guetteurs (beau titre aussi...) est un livre stimulant, loin de toute facilité, un livre de maturité, de savoir-faire et d'intelligence. Bref, une belle réussite de plus au tableau de Ian Rankin.
Très bientôt, vous en saurez encore plus sur Les guetteurs et maintes autres choses, cette fois de la bouche du maître lui-même. Eh oui, interview de Ian Rankin, réalisée à Paris pas plus tard qu'hier!
Et si vous passez près de Besançon ce week-end, Ian Rankin sera présent au salon Les mots Doubs, sur le stand de L'Intranquille. Ne le ratez pas...
Ian Rankin, Les guetteurs, traduit de l'anglais (Ecosse) par Freddy Michalski, Le Masque
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