Ce qu'il y a de bien avec Jesse Kellerman, c'est qu'il arrive toujours là où on ne l'attend pas. Spécialiste des montagnes russes, il est capable du presque meilleur comme du presque pire, avec tous les intermédiaires qu'on peut imaginer. Avec Bestseller, (prophétie autoréalisatrice?), il concrétise une intention qu'il avait exprimée il y a quelques années: écrire une comédie. Ne vous y trompez pas, vous n'allez pas passer votre week-end à hurler de rire, mais l'intention est là. On va le voir, la franche rigolade n'est pas le seul projet de Kellerman avec ce livre à peu près inclassable.
Arthur Pfefferkorn est enseignant, pas trop riche, pas à la hauteur quand il s'agit d'offrir à sa fille unique la vie qu'il voudrait. Il y a quelques dizaines d'années, il a publié un roman qui a remporté un succès d'estime auprès de la critique. Depuis, plus rien. En revanche, son vieil ami et complice William de Nerval (c'est un pseudo, bien sûr) publie depuis 30 ans, avec une belle régularité annuelle, son thriller best-seller. Les aventures James Bondesques d'un super-héros nommé Dick Stapp, aux titres aussi ridicules qu'absurdes, genre Fatalité funeste... Quand le roman commence, William vient de disparaître en mer. On n'a pas retrouvé son corps, mais on célèbre quand même ses funérailles. C'est l'occasion pour Arthur de retrouver Carlotta, la veuve toute neuve de Will, dont il est amoureux depuis l'adolescence... Les retrouvailles sont émouvantes, pour ne pas dire chaudes. Et tant qu'on y est, tant qu'à s'approprier la femme du défunt, autant s'approprier aussi son dernier manuscrit, que Will a négligemment laissé traîner dans son bureau. Scrupules obligent, Arthur apporte quelques modifications à l’œuvre, avant de l'envoyer à un éditeur. Bingo : best-seller. Arthur entame des tournées promotionnelles, écume les hôtels de luxe en compagnie d'attachées de presse dévouées, finance le mariage somptuaire de sa fille, sa nouvelle maison. Tout en poursuivant une liaison passionnée avec la belle Carlotta. Bientôt, il est temps de songer au deuxième roman. Ça se corse...
L'amateur de littérature est tout de suite accroché par ce début. Kellerman va-t-il nous dévoiler, sous des dehors burlesques, les dessous de la vie d'un auteur de best-seller, authentique ou faussaire ? Eh bien non. Juste quand ça commence à devenir croustillant, il fait basculer son roman cul par-dessus tête dans le foutraque, le dingue, l'absurde. Sous la forme d'une histoire d'espionnage située dans des décors à la Lubitsch, où Arthur va se retrouver kidnappé, contraint à des allers-retours, à son corps défendant, entre la Zlabie de l'ouest et la Zlabie de l'est. La Zlabie, pays de l'est clairement inféodé à quelque chose qui ressemble à l'ex "empire soviétique". Déplacement géographique, politique et temporel donc pour ce pauvre Arthur qu'on entraîne à devenir un athlète émérite, une sorte de James Bond, donc. Pour bien nous confirmer qu'on est du côté de l'URSS, l'hôtel zlabe où atterrit Arthur s'appelle... le Métropole. A partir de là se succèdent péripéties, déguisements, fuites, enlèvements, condamnations à mort vraies ou fausses, résurrections téléphonées, passage en est-Zlabie dans une ville qui ressemble comme deux gouttes d'eau à un Las Vegas encore plus ridicule que le vrai, scènes burlesques - celle où Arthur se défigure en essayant de changer sa fausse moustache est particulièrement réussie. Par moments, on se croirait dans un film de Mel Brooks, voire des Marx Brothers. Tout cela sans qu'on sache vraiment qui manipule qui, qui est qui et où on va. Quant à la fin, elle nous fait passer cette fois du côté de la science politique fiction vaguement "new age", sans que l'auteur perde son sens de l'humour... et de la poésie.
Au final, un roman où l'humour se taille la part du lion, mais qui donne l'impression qu'il ne va pas au bout de ses partis pris. On aurait voulu que Kellerman, bien placé en tant qu'auteur de best-seller et fils d'auteurs de best-sellers, approfondisse son premier thème. Il y a bien cette mise en abyme (pardon) du faux auteur de thriller transformé en héros de thriller. Bonne idée, mais qui aurait mérité d'être creusée. On aurait voulu qu'il soit un peu plus clair sur ses intentions politiques dans la deuxième partie du roman qui, malgré l'évident parti-pris du burlesque et de l'absurde, aurait mérité soit d'aller encore plus loin dans la folie, soit d'être plus politiquement intelligible.
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Jesse Kellerman, Bestseller, traduit de l'américain par Julie Sibony, éditions des Deux Terres
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