16 octobre 2013

Ken Bruen, Sur ta tombe : le chemin de croix de Jack Taylor

Où en est donc Jack Taylor ? Nous l'avons quitté aux prises avec Le Démon, nous demandant ce qui pouvait lui arriver de pire. Eh bien voilà... Avec Jack Taylor et Ken Bruen, on ne risque jamais de souffrir de ce syndrome bien connu des amateurs d'enquêteurs "récurrents" : le confort, le train-train. Avec Jack, pas question de chausser ses pantoufles, d'allumer sa pipe et de se laisser aller à lire paresseusement une enquête bien tranquille. Et c'est pour ça qu'on l'aime.
Page 1 : Jack vient de faire un sort à sa pinte. Avant celle-là, il s'est tapé deux Jamesons. Et maintenant, il crève d'envie d'une cigarette. Attention, pas une Marlboro light, une Major irlandaise, la plus forte. Connaissant Jack et sa lutte perpétuelle contre l'alcool, la clope et la drogue, on se fait une petite idée de l'état de l'homme... Qui ne va pas aller en s'arrangeant : il fait nuit, Jack est devant l'église Saint Nicholas, il allume sa cigarette et se prend un vieux coup derrière la tête, immédiatement suivi d'un coup de pied dans le ventre et d'un autre qui le colle au sol. Trois silhouettes, une fille parmi elles, dépouillage en règle, un dernier coup de latte, fini, dans les pommes, Jack. Les jeunes n'ont plus de respect pour rien.
Et pourtant Jack est amoureux. De Laura l'Américaine, avec qui il a passé quelques jours idylliques, en touristes, à Paris. Jack est presque heureux. Et même, il fait des projets d'avenir. Quand le Père Malachy, l'ami de sa mère, son ennemi juré, est victime d'une violente attaque. C'est à reculons que Jack, sous l'influence de ses amis Ridge et Stewart, se lance dans l'enquête. Et je vais vous confier un secret : il aurait mieux fait de s'abstenir. Car ce qui se cache derrière cette agression est rien moins que terrifiant. Une bande de dingos malfaisants a décidé de débarrasser la ville de tout ce qu'elle contient d'impur, comprenez les homosexuels, les handicapés, les alcooliques et les camés. Rien que ça... Et ils ne reculent devant rien pour parvenir à leurs fins. Vous connaissez Jack: rien de tel pour le rendre enragé.

Sur ta tombe est peut-être bien le plus violent et le plus désespéré de la série des Jack Taylor. Et on ne peut pas s'empêcher de remarquer que le thème de l'élimination des plus faibles et des plus marginaux nous évoque certaines idées nauséabondes qui ont ces temps-ci tendance à se répandre. Ken Bruen a le nez fin... Et la plume sanglante, surtout lors d'une certaine scène d'agression d'un adolescent trisomique qui risque d'en heurter plus d'un. Il n'est peut-être pas inutile de rappeler que le syndrome de Down, ou trisomie 21, est une question qui tient particulièrement à cœur à Ken Bruen, qui ne manque pas une occasion de l'évoquer dans ses livres. Sanglante, agile, à la fois subtile et brutale, la plume de Ken Bruen est plus vaillante que jamais. Son esprit toujours aussi affûté, sa culture toujours aussi généreuse. Dans Sur ta tombe, on relèvera des références culturelles, bien sûr, beaucoup de musique (Gretchen Peters, Johnny Duhan, Marc Roberts, les Clancy Brothers, Bob Dylan) plein de littérature (Craig McDonald, Jason Starr, Tom Piccirilli, RJ Ellory, Megan Abbott, Carol O'Connell, Derek Raymond/Robin Cook, Henry Miller, James Lee Burke), une série télé (True Blood), du cinéma (Sam Raimi, Quentin Tarantino, Michael Cimino). On se délectera des dialogues particulièrement salés, littéralement montés sur ressort. Et bien sûr on lira très lentement les phrases courtes du maître, et même on pourra les dire à haute voix, tellement elles sont rythmées, tant elles résonnent par leurs mots mais aussi par leurs sonorités. Ken Bruen s'exprime clairement sur l'état culturel et économique - calamiteux - de son pays après la crise, sur la religion et surtout les religieux. Et se débat comme un beau diable dans une histoire où le mal est absolu, infligeant à son héros des peines atroces. Avec Sur ta tombe, Ken Bruen réussit encore une fois à nous nouer la gorge, à nous plonger dans l'horreur tout en rendant justice à notre intelligence et à notre cœur. Chapeau.

Lire notre interview de Ken Bruen

Ken Bruen, Sur ta tombe, traduit de l'anglais (Irlande) par Catherine Cheval et Marie Ploux, Fayard

3 commentaires:

  1. Merci pour votre participation au challenge Ken Bruen.
    J'ai lu ce livre en anglais, il me reste maintenant à le chroniquer.

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  2. Jean (Jackisbackagain)26 avril 2014 à 11:34

    Catherine,
    Comme je te l'ai dit, tu nous livres une chronique impeccable et très complète de cet opus. C'est vrai qu'il m'a moins touché et même agacé. J'avais envie de crier à Jack: "Mais bon sang, y a rien de positif dans ta vie ?". Il ne lit même pas la lettre que son amie américaine, Laura, lui envoie, il la brûle. Qu'avait-elle écrit ? Plus fataliste que cela, tu meurs ! Bises.,

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  3. Bonsoir Jean, je comprends ta réaction. Mais après tout, on est dans un roman noir ! Et puis c'est là peut-être toute l'idée de la série : jusqu'où la souffrance est-elle supportable ? Bruen inflige à Jack une suite d'épreuves de plus en plus douloureuses. Quelque chose de métaphysique dans cette démarche ? Et puis non, Jack n'est pas fataliste : il se bat! Mais ça ne peut pas bien se terminer, impossible...

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