Entre Megan Abbott et moi, c'est un peu comme une histoire d'amour. Ça commence par l'agacement (Absente ), ça continue avec la séduction (Adieu Gloria), et ça se poursuit avec un véritable envoûtement... Megan Abbott la New-Yorkaise moderne, nous entraîne cette fois dans les années 30, à Phoenix, Arizona. Plus de Los Angeles (sauf à la fin), plus de Hollywood, nous sommes dans un monde sans cinéma, mais avec corruption et pourriture... Un monde où il ne fait pas bon être une femme seule.
La jeune Marion Seeley, épouse d'un médecin qui a des choses à se reprocher, côté addictions et exercice illégal de la médecine, se retrouve toute seule à Phoenix, pendant que son mari s'en va se faire oublier au Mexique. Si Marion vient de la campagne, ça n'est pas tout à fait l'innocente qu'un autre romancier, plus manichéen, aurait pu décrire. Elle a connu la déchéance de son mari, l'a vu "plonger", puis fuir. Mais toute seule à Phoenix, Arizona, malgré son travail de secrétaire à l'hôpital et son logement chez une brave femme un brin puritaine, ça n'est pas une situation enviable. Alors quand la grande et belle Louise, infirmière délurée, lui propose son amitié, elle ne se le fait pas dire deux fois. Louise vit avec son amie Ginny, une toute petite jeune femme tuberculeuse mais fêtarde comme pas deux, et franchement déjantée. L'alcool coule à flots, grâce aux largesses des bourgeois de Phoenix qui viennent s'encanailler chez les deux filles, malgré la Prohibition. Des amis, de bons amis, qui viennent faire la fête et boire, parfois même avec leur femme. De braves gens. Jusqu'à un certain point. Le plus séduisant d'entre eux, Joe Lanigan, politicien et homme d'affaires vérieux, vit avec sa femme très malade et ses enfants dans une grande maison des beaux quartiers. Il est du genre à sauter sur tout ce qui bouge, et Marion ne lui résiste pas. Hélas pour elle. C'est le début d'une dégringolade, jusqu'à l'horreur finale.
Inspiré d'un fait divers des années 30, Envoûtée est bien davantage qu'une histoire de fille séduite et abandonnée. C'est une description cruelle et lucide du sort des femmes qui n'ont pas eu la chance d'épouser un brave homme fortuné, dans cette Amérique des années 30 où le puritanisme cède le pas devant la soif de fortune, de gloire et de plaisir exacerbée par la répression. Ces trois femmes, Marion, Louise et Ginny, n'ont pas le choix. Elles n'ont pas su être prédatrices et mettre la main sur un mari digne de ce nom ; elles seront donc des proies. Megan Abbott tisse avec virtuosité la toile où vont se faire prendre ces femmes qui, en plus d'être seules, ont le mauvais goût d'aimer le plaisir et la sensualité. Son écriture de plus en plus maîtrisée mêle narration, description et dialogues dans un superbe tourbillon, et décrit avec précision et acuité les effets physiques de la passion et du désespoir. Magnifique mélodrame sanglant, Envoûtée dépeint sans concession l'évolution psychologique de Marion, sa vertigineuse naïveté, son effrayante jalousie et sa désespérante impuissance.
Megan Abbott, Envoûtée, traduit de l'américain par Jean Esch, Le Masque
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