28 décembre 2013

Elisabeth Sanxay Holding, Au pied du mur : un petit chef d'oeuvre ressuscité

Les éditions BakerStreet ont eu la riche idée de rééditer le roman le plus connu de l'auteure américaine Elisabeth Sanxay Holding, Au pied du mur, dans une traduction révisée. Ce nom ne vous dit sans doute rien, et pourtant elle a écrit près de vingt romans noirs, après avoir fait une petite carrière dans la littérature dite "romantique". Vingt romans noirs, dont quatre ont été traduits en français. Au pied du mur a été publié à deux reprises dans la Série noire, et a fait l'objet de deux adaptations au cinéma, une en 1949 signée Max Ophuls avec Joan Bennett et James Mason (Les désemparés), l'autre en 2001 (Bleu profond), avec une mise en scène de Scott McGehee et David Siegel et une interprétation de Tilda Swinton. Quand vous saurez qu'en plus Raymond Chandler la considérait comme une des meilleures auteures à suspense, vous conviendrez que l'affaire est alléchante. Cette fois, pas de mauvaise surprise, bien au contraire : le roman, à l'intrigue simple en apparence, mais d'une belle sophistication psychologique, tient vraiment ses promesses.

Nous sommes dans la région de New York. Lucia Holley habite avec son père et ses deux enfants, Bee l'adolescente et le jeune David, en compagnie de leur domestique et confidente Sibyl, dans une maison au bord d'un lac. Seul manque à l'appel Tom, le mari de Lucia, parti combattre dans le Pacifique. Les temps sont durs pour une femme seule qui a charge de famille. D'autant que la jeune Bee, fatiguée de cette vie modeste et "rurale", a rencontré à New York Ted Darby, un homme peu recommandable de près de 20 ans son aîné... Ce soir-là, justement, Darby se présente chez eux pour voir Bee, et se fait recevoir comme il se doit par Lucia, puis par son père. Crise à la maison... Le lendemain matin, au cours d'une promenade matinale sur le lac, Lucia découvre le corps de l'homme. Elle comprend très vite que son père, sans en avoir conscience, l'a poussé à l'eau et que l'homme, bloqué par une racine, s'est noyé. C'est à ce moment que commence la transformation de cette femme fidèle, sage, bonne épouse, bonne mère de famille. Car il n'est pas question que son père se retrouve accusé de meurtre. Elle prend en charge le corps, et s'en débarrasse là où on ne soupçonnera pas sa famille. En principe... Car Darby ne manquait pas d'amis aussi peu recommandables que lui. Parmi eux, Donnelly, qui a une belle vocation de maître chanteur, et une monnaie d'échange particulièrement précieuse, notamment pour la jeune Bee qui pourrait bien voir se ternir sa bonne réputation si Donnelly décidait de parler... Lucia, désormais, doit protéger son père et sa fille. Comment va-t-elle se sortir de ce guêpier ?

C'est là qu'excelle Elisabeth Sanxay Holding, quand il s'agit de montrer la transformation de cette femme, de lui faire traverser des épreuves effroyables, mais aussi de concocter, en toute discrétion, des retournements de situation générateurs - Chandler avait raison - d'un suspense à la fois narratif et psychologique vraiment réussi. Avec une écriture sensible, sobre, sous tension mais sans artifices, l'auteure nous emmène avec elle au pays des femmes seules, celui où la féminité se découvre des forces insoupçonnées, et où l'héroïne, après avoir vaincu les obstacles les plus redoutables, reprend avec autant d'efficacité qu'avant sa vie quotidienne : "Voilà ma vie qui reprend comme si de rien n'était (...) Le technicien est enfin là pour réparer le réfrigérateur. C'est ça, ma vie." Un roman surprenant, hors du temps, une belle réussite.

Elisabeth Sanxay Holding, Au pied du mur, traduit de l'américain par Gérard Horst et J.-C. Marquet, traduction revue et mise à jour par Françoise Jaouën, éditions BakerStreet

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