Retour en force de Marin Ledun avec ce roman puissant, dur et franchement pessimiste. Habitué des sujets contemporains, il nous plonge cette fois dans une réalité historique : la question basque. Quoi de plus complexe que les problématiques indépendantistes ? Qu'elles soient corse, bretonne ou basque, les choses ne sont jamais clairement délimitées, le bien et le mal se rient des frontières, franchissent allègrement les limites qu'on voudrait leur fixer. Et Marin Ledun se saisit avec vigueur d'un sujet difficile.
C'est en 2011 que l'ETA met officiellement fin à son action armée. Le roman, lui, commence en 2009, par un chapitre époustouflant où l'on sent que Marin Ledun a apporté un soin tout particulier à l'écriture. Il raconte. Avec des mots sobres, faits pour donner au lecteur l'image, le son, la douleur, la peur. Des phrases efficaces, descriptives, en mouvement. La scène d'ouverture est décrite avec précision; l'homme qui va disparaître a peur, il est seul contre cinq. Il n'a pas une chance. Ces hommes-là en veulent-ils à la valise bourrée d'argent qu'il transporte ? Ou est-ce plus compliqué que cela ? Jokin Sasko, la trentaine, est enlevé, séquestré, brutalisé, terrorisé.
Iban Urtiz, le journaliste qui vient de débarquer à la rédaction du quotidien basque Lurrama, ne sait pas encore que cet événement est le début pour lui d'une plongée la tête la première dans quelque chose qui ressemble à l'enfer. Les inextricables réseaux où indépendantistes, terroristes, anti-terroristes et policiers, des deux côtés des frontières, ont depuis des décennies tissé une toile que Iban, malgré ses origines basques, est très loin de soupçonner. Et sa relation ambigüe avec le caméraman Marko Elizabe, vieux briscard englué dans un veuvage dont il ne se remet pas, et qui n'a plus grand-chose à perdre, va contribuer à le pousser dans l’œil du cyclone. Iban enquête, Iban conduit en fumant et en écoutant Guns & Roses. Iban aime. Il court après les uns, court pour échapper aux autres. Et plus il avance, moins il comprend.
Au fil des pages, Marin Ledun tire les fils d'un écheveau effroyablement embrouillé, précipite Iban au cœur d'une tourmente où il a bien du mal à se repérer. Passions, violence, trahison, volonté de pouvoir et magouilles financières entraînent le lecteur dans une fuite inexorable, loin du sens, loin de toute logique politique, en plein dans l'absurde, la folie et la furie des hommes. Une fuite où de beaux personnages de femmes contribuent grandement à l'émotion provoquée par le récit, une fuite à l'issue désespérante. Marin Ledun a réussi là un roman prenant, intelligent, sans un temps mort, maîtrisé d'un bout à l'autre.
Marin Ledun, L'homme qui a vu l'homme, Ombres noires
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