7 février 2014

A.S.A. Harrison, "La femme d'un homme" : un best seller à la hauteur

Voilà un livre qui se lit à la vitesse grand V. Non pas qu'il soit court ou qu'on saute des pages, mais simplement parce qu'en dépit de ses thèmes ultra-classiques - la maladie d'un couple, la jalousie, la possessivité, l'aveuglement - la sensibilité de l'auteure réussit à nous étonner et à nous inquiéter. Malheureusement, A.S.A Harrison ne nous surprendra plus, puisqu'elle est morte juste avant la publication de ce premier thriller psychologique, à l'âge de 65 ans. Ce roman connaît un succès planétaire, et va même être adapté au cinéma par Nicole Kidman.
Jodi et Todd, la petite quarantaine, vivent une existence agréable dans leur très joli appartement de Chicago, aux fenêtres donnant sur le lac. Todd réussit dans la promotion immobilière et la réhabilitation de bâtiments anciens, Jodi est psychologue et donne quelques consultations, histoire de se faire un peu d'argent de poche. Ils ne sont pas mariés - elle ne veut pas du mariage -, ils vivent confortablement, Jodi se fait un devoir d'être une femme d'intérieur irréprochable et une épouse attentive. Ils n'ont pas d'enfant, ce serait un obstacle à leur liberté à deux. Juste un chien qu'ils promènent chacun leur tour. Tout est très bien organisé, même si Todd s'octroie quelques extras sensuels de temps en temps. Jodi sait, mais pour elle, c'est le prix à payer pour cette vie qu'elle s'est construite, exactement l'existence qu'elle voulait.

Et pourtant, quand on lit cette vie-là, elle nous paraît vite désespérément vide, dépourvue de toute aspérité, aussi lisse que les draps bien pliés là-bas, dans l'armoire. D'extras en extras, Todd finit par tomber sur celui de trop, sous la forme de la fille de son meilleur ami. Et là, pas question de se débarrasser de Natasha, aussi vivante et sensuelle que Jodi est froide, un peu vulgaire même, terriblement conformiste et exclusive. Pas question pour elle de jouer les maîtresses effacées. Elle veut tout, et tout de suite. Tout le bel édifice de Jodi s'effondre comme un château de cartes. Cette histoire ne peut pas se terminer bien. Donc elle se termine mal, très mal. Mais pas nécessairement comme on l'imagine.

A.S.A Harrison distille savamment le poison, en un style simple mais plutôt élégant. Elle construit patiemment ce personnage de femme psychologue qui échoue désespérément à lire sa propre vie et celle de l'homme qu'elle veut garder. Les chapitres, alternativement intitulés "Elle" et "Lui", nous promènent habilement de Judi à Todd, et nous montrent, petit à petit, le gouffre qui se creuse entre eux. Cruellement, tranquillement, A.S.A. Harrison raconte une cassure brutale, montre comment la construction de toute une vie peut basculer d'un seul coup, comment une femme bien sous tous rapports se révèle, au moment où ses valeurs volent en éclats, un être sans pitié, sans conscience, sans raison finalement. Les dernières phrases du roman résument assez bien la situation : "A quoi bon regarder la réalité en face, s'il existe une voie plus douce, plus clémente. A quoi bon toute cette insistance macabre." A bien des égards, les personnages de cette histoire rappellent ceux de Patricia Highsmith. Même si, bien sûr, le génie de la grande Patricia la met largement à l'abri de toute rivalité. Et pour terminer par un lieu commun, on se prend à regretter les livres que ASA Harrison n'écrira plus.

A.S.A. Harrison, La femme d'un homme, traduit de l'américain par Audrey Coussy, Le Livre de Poche Éditions (grand format)

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