Tilda Swinton (Eve) et Tom Hiddleston (Adam), l'une à Tanger, l'autre à Detroit. Deux êtres solitaires, mystérieux, deux vampires, deux amants qui s'aiment depuis la nuit des temps. Deux presque humains, ou plus qu'humains, magnifiques, fragiles et menacés. Tanger, ses ruelles sinueuses, ses marchés où l'on trouve tout, vraiment tout, ses échoppes, ses cafés où Eve retrouve Kit. Kit, alias Christopher Marlowe (incarné par John Hurt), dramaturge et poète anglais du XVIe siècle contemporain et rival de Shakespeare, réputé mort dans de mystérieuses et violentes circonstances, vampire de son état, qui l'approvisionne en sang bel et bon. Detroit, ex-empire de l'automobile, ses usines désaffectées, ses beaux quartiers désertés, en ruines. Et Adam, musicien maudit, tapi dans une villa ancienne aux airs franchement gothiques, collectionneur de guitares exceptionnelles que lui fournit son homme de confiance, un gentil zombie rocker. Adam qui a conclu avec un médecin de l'hôpital un pacte faustien : le médecin lui fournit le sang qui le fait vivre moyennant monnaie sonnante et trébuchante.
Ces deux-là, Adam et Eve, ne peuvent pas se passer longtemps l'un de l'autre. Adam, fragile, a besoin d'Eve, qui accourt en un vol de nuit pour le sauver de ses démons, le tirer de ses fascinations morbides. Quand survient Ava, la jeune sœur d'Eve, sorte de jeune barbare qui sème le malheur et le trouble partout où elle passe. Jarmusch ne faiblit pas, il persiste dans ses obsessions qui sont aussi, un peu, les nôtres. Il a soixante ans. Et alors ? Jarmusch ne se range pas, ne devient pas raisonnable. Il fait partie de ceux qui ne déçoivent pas, qui ne cèdent pas devant les pressions, sautent par-dessus les obstacles, s'obstinent dans leurs partis pris esthétiques. Il nous présente là deux vampires beaucoup moins monstrueux que bien des êtres dits "normaux". Deux êtres perdus dans un monde de plus en plus barbare et vénal, deux héros éminemment romantiques, terriblement attachants. Et du même coup, il nous offre un de ses meilleurs films, sans doute un des plus libres et des plus déchirants. Ce qui ne l'empêche pas, à coups de clins d’œil et d'allusions cocasses, de nous faire sourire tout au long de ce très beau film.
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