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16 mars 2014
Tim Willocks, Les Douze enfants de Paris : quelques réponses...
Les douze enfants de Paris (la suite de La Religion) vient de sortir chez Sonatine. On y retrouve son héros, le chevalier de Malte Mattias Tannhauser, à Paris en 1572. En pleine Saint-Barthélémy, il est supposé retrouver sa femme Carla, appelée dans la capitale de la France pour assister au mariage de Henri de Navarre.
Cet après-midi, Tim Willocks répondait aux questions des libraires du Grand Cercle à Eragny, que nous remercions pour ce beau moment, et à celles de ses lecteurs. Morceaux choisis.
Le héros
Je suis fasciné par l'archétype du héros, et particulièrement par la théorie jungienne des archétypes : le roi, l'amant, le guerrier, le magicien. Tannhauser, pour moi, répond bien à cette description.
L'époque
Le XVIe siècle m'intéresse particulièrement à cause du bouillonnement artistique, scientifique et intellectuel, et du tumulte religieux et politique qui agitait le monde, et plus spécialement la France. Tannhauser est un héros qui reflète bien l'énergie de cette période. Il est très violent, mais il est aussi très curieux.
Mattias Tannhauser et Tim Willocks, son créateur
Je suis psychiatre de formation. Donc je sais bien que dans tout personnage, il y a une part de l'auteur. Ce que l'auteur révèle de plus intéressant dans son œuvre, c'est ce qu'il montre inconsciemment. Et cela, c'est au lecteur de le trouver...
Les lieux
J'ai toujours été intéressé par l'histoire de France en général. Cette période, à Paris, était particulièrement turbulente. C'était un contexte inespéré, qui m'a permis de décrire les différentes couches sociales. La Saint-Barthélémy est une illustration emblématique des politiques de l’époque. Dans les 20 dernières années, le monde a vécu des choses comparables. J'ai voulu montrer que ces désastres ne sont pas inévitables, mais la conséquence de décisions politiques. J'ai voulu montrer les effets de ces décisions sur les populations. Nos dirigeants réfléchissent en termes géopolitiques, et pas du tout en pensant à nous. Ils prennent des décisions qui peuvent être très intelligentes sur le papier, mais en réalité ils ne voient pas plus loin que le bout de leur nez. Le titre du livre reflète cette idée : les décisions politiques et religieuses de l'époque ont eu des effets dramatiques sur l'existence du peuple, à commencer par les plus faibles.
La reconstitution de Paris au XVIe siècle
J'ai dû faire beaucoup de recherches. A l'époque, par exemple, il n'y avait pas de plaques de rues, c'était un véritable labyrinthe. J'ai dû imaginer ce que c'était pour un étranger comme Tannhauser que de se retrouver dans un tel lieu pour y rechercher sa femme. En plus, la densité de la population était trois fois plus importante qu'aujourd'hui. C'est très difficile de comprendre qui s'occupait de quoi en termes de sécurité à Paris : les différentes instances dépendaient de pouvoirs différents, et il y en avait au moins 8. Il n'y avait pas de lumière dans les rues : à la nuit tombée, il faisait totalement noir,.... Il n'y avait pas de source d'eau non plus sur la rive gauche, ce qui ne facilitait pas la vie des habitants. J'ai dû tenir compte de tous ces éléments pour écrire mon histoire. Mais je ne voulais pas non plus alourdir le texte, ennuyer le lecteur.
Violence, tendresse et humanité
Même au beau milieu de la violence la plus sauvage, les hommes essaient de continuer à vivre, à éprouver des sentiments. Les enfants continuent à naître. C'est aussi cela que j'ai voulu montrer, le décalage entre la violence du climat politique et le fait que les hommes et les femmes essaient de vivre leur vie aussi normalement que possible. Les femmes apportent aussi beaucoup de nuances dans toute cette violence : leur courage est très différent de celui des hommes, et grâce à elles, l'humanité subsiste. C'est pourquoi la moitié du roman est racontée du point de vue féminin, celui de Carla, qui doit trouver une autre façon de survivre face à la violence des hommes.
Morale et politique
Le fait d'écrire sur des événements passés permet de garder de la distance par rapport aux idéologies de l'époque. D'un autre côté, cela aide à regarder notre propre époque avec davantage d'objectivité. Pendant les dernières guerres en Irak et en Afghanistan, on voit bien que les motifs qu'on nous a présentés, à savoir la liberté et la démocratie, n'avaient rien à voir avec les véritables raisons de ces guerres. Dans une guerre, ceux qui combattent et s'entretuent ont entre eux beaucoup plus de choses en commun qu'avec ceux qui les ont envoyés au combat. Très probablement, cet après-midi, aux Etats-Unis, des personnages très importants sont en train de se demander s'il faut faire la guerre à la Russie... Et il est probable qu'en cas de guerre, ces mêmes personnages en tireront beaucoup d'argent.
Les écrivains influents ou préférés
Les écrivains qui nous influencent le plus sont ceux qu'on a aimés quand on était enfant. Moi, de mon côté, j'adorais Enid Blyton ! Mais j'aime beaucoup aussi Charles Dickens et Alexandre Dumas. Mon roman préféré de Dumas, c'est Le Comte de Monte Cristo : je l'ai lu à vingt ans. Je voyageais aux Etats-Unis, je m'apprêtais à prendre le car à New York pour me rendre à Kansas City. Vingt heures de route. J'ai acheté Le Comte de Monte Cristo, et je n'ai pas dormi de tout le voyage... Quel sens de la narration ! Je pense que les auteurs du XIXe siècle sont les meilleurs narrateurs qui soient. Sinon, Albert Camus m'a beaucoup marqué - notamment La Peste, que j'ai relu en écrivant mon dernier roman.
Situer un roman au cœur d'un conflit contemporain ?
Cela m'a traversé l'esprit. Mais je pense que je n'ai pas assez de recul. Évoquer des périodes historiques me donne beaucoup plus de liberté, tout en me permettant d'évoquer des questions éternelles. En plus, je ne suis pas certain que ces sujets intéressent les lecteurs de romans : ils en sont abreuvés dans la presse, à la télévision. Et ceux qui ont essayé de tourner des films sur ces thèmes ont échoué...
La violence
Non, je ne suis pas payé au cadavre... Je vais le suggérer à mon éditeur. Plus sérieusement, cette violence colle complètement au contexte historique et à la vérité de mon personnage. Et en fait, paradoxalement, la multiplication des actes de violence aurait tendance à rendre le livre moins vendeur...
Les chiens
Oui, c'est un sujet récurrent chez moi. J'aime beaucoup les chiens. Pour mon roman pour adolescents, Dog Land, je me suis inspiré de mon propre chien, Furgul, qui est arrivé chez moi dans un triste état. On lui avait tiré dessus, il avait encore des fragments de balles dans le corps... J'ai aussi pensé à la fourrière de Dublin, où on se débarrasse des chiens errants quand ils ne sont pas recueillis au bout de 5 jours. Et puis les chiens ont envers la vie une attitude assez sage : manger, boire, courir, être caressé... Ils ne courent pas après le pouvoir et l'argent.
La Reine Margot et Les Douze enfants de Paris
Il y a des proximités contextuelles et esthétiques avec le film de Patrice Chéreau, que j'aime beaucoup. Mais j'ai voulu me placer du côté du peuple, alors que le film, tout naturellement, se place du point de vue du pouvoir. Et puis en matière de réalisme, je pense que je suis meilleur ! Dans le film, par exemple, Daniel Auteuil joue le rôle de Henri de Navarre, qui devrait être tenu par un adolescent...
Tim Willocks, Les douze enfants de Paris, traduit de l'anglais par Benjamin Legrand, Sonatine éditions
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