Dimanche, un vrai temps d'automne. Froid, pluie battante. A peine eu le temps de digérer Black Coal... Et pas envie de mettre un pied dehors. Je viens de terminer un formidable roman de Peter Robinson, et je sais qu'il faut que je trouve quelque chose de complètement différent si je ne veux pas être déçue. Le livre d'Alexandra Appers est là, il attend. Beaucoup de blogueurs et de critiques l'ont lu et aimé. Alors, malgré l'esprit de contradiction qui m'anime parfois, je cède à son appel. Et pour un premier roman, Mme Appers "envoie", comme on dit.
A Saint-Amand-la Givray, bourg de 3000 âmes encerclé par les montagnes et situé sur la route des vacances (on n'en saura pas plus), il y a un salon de coiffure, un tabac marchand de journaux, et un bistrot, l'Indiana. Des fans d'Elvis, des jeunes filles affriolantes, des piliers de bistrot, des chasseurs. Et à l'intérieur de l'Indiana, Nina, maîtresse femme patronne de café, et ses deux rejetons déjà grands, Otis, 25 ans, et Patti, un peu plus jeune et très enceinte. On le voit, la patronne a du goût pour la musique. Sans oublier le caniche Ninja, friand de mollets de livreurs et de facteurs. Pas loin, il y a aussi Marvin (décidément), le pote d'Otis, une sorte de colosse un peu simplet. Et Ella, starlette sexy, pom pom girl en herbe, allumeuse de première, objet des désirs fous d'Otis... et des autres mâles du coin.
Otis, parlons-en. Qui a dit que les jeunes ne savaient pas ce qu'ils voulaient? Otis sait : il veut devenir tatoueur. C'est une vocation, voire une obsession. Et pour s'entraîner, il n'hésite pas à anesthésier les bestioles qui passent à sa portée afin de leur infliger une petite séance de rasage, puis de décoration maison... Voilà, vous connaissez à peu près tout le monde. Les affaires ne vont pas fort, à l'Indiana, la patronne a bien du souci. Et puis elle se sent un peu seule, Nina, même si elle est persuadée que son jules, évaporé à la naissance d'Otis, va lui revenir, c'est sûr. Toujours est-il qu'en attendant, il faut bien vivre. Nina, donc, n'a rien contre quelques rapprochements avec certains clients, la crème de la lie de Saint-Amand la Givray. Ça, c'est pour l'affectif. Pour la monnaie sonnante et trébuchante, elle finit par comprendre qu'après tout, la vocation du fiston peut rapporter de quoi faire patienter les huissiers et payer les échographies de la petite. Même si tout ça n'est pas exactement banal, finalement la vie passe et continue. Jusqu'au jour où...
Rockn'roll, dit l'éditeur et l'auteur. Oui, c'est sûr, ce roman est rockn'roll. Même les titres de chapitres reprennent des titres de chansons ou de films que ne renierait pas Ian Rankin, champion des titres rock. Mais on sait bien que ça ne suffit pas. Et là, Alexandra Appers assure. En quelques pages, elle réussit à créer un véritable roman d'atmosphère, un sentiment d'enfermement - on sent bien que quoi qu'il arrive, aucun des personnages ne sortira vraiment de cette situation étouffante, de ces relations qui ligotent au lieu de libérer, de ce cercle de montagnes menaçantes, de la médiocrité poisseuse. Otis a beau parvenir à ses fins et devenir tatoueur, c'est pour s'apercevoir qu'en réalité son activité le rend moitié fou, moitié malade, voire pire. Les descriptions des séances de tatouage où il souffre le martyre, a des visions prémonitoires, des pulsions de meurtre, des douleurs intolérables, sont particulièrement réussies. Et quand le pire survient, c'est la même chose : quoiqu'on fasse, pas d'issue.
Attention, Un mort de trop n'est pas un roman neurasthénique. Pour un premier roman, Alexandra Appers fait preuve d'un véritable savoir-faire : elle est capable de faire rire son lecteur dans les situations les plus invraisemblables, puise dans un vocabulaire particulièrement pittoresque, balance des dialogues croquignolets, et se spécialise dans la pirouette déconcertante. C'est dire qu'elle parvient à nous attraper dès les premières pages. A tel point qu'on a peine à quitter le livre. Pour ne pas dire qu'on ne le quitte pas, et tant pis pour le reste...
Alexandra Appers, Un mort de trop, Ring éditions
J'ai ressenti les mêmes sentiments que toi, en lisant ce titre. Un coup de cœur.
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