6 juillet 2014

Black Coal : un film noir comme l'encre... de Chine

1999 en Mandchourie. L’inspecteur Zhang enquête sur l'apparition incongrue de morceaux de cadavre au milieu de cargaisons de charbon, aux quatre coins de la Mandchourie. Selon toute vraisemblance, la victime était employé dans une carrière. Mais l'inspecteur est stoppé net dans son élan alors qu'il s'apprête à arrêter les suspects. Il échappe de peu à une tuerie qui coûtera la vie à plusieurs de ses collègues. Cinq ans plus tard, ça recommence. Mais l'inspecteur Zhang est devenu une sorte d'agent de sécurité ou de détective privé, alcoolique, complètement à la ramasse. Comme par hasard, la victime est liée à la veuve de l'homme assassiné en 1999. Une veuve particulièrement séduisante, qui travaille dans un pressing en ville, et dont Zhang va se rapprocher...un peu trop.

Black Coal est le type même de film dont on ne dit rien si on se contente d'en raconter l'intrigue. Car tout est dans la manière avec Yinan Diao. On commence par être déconcerté : l'histoire se déroule dans une ville un peu glauque de Mandchourie. Rien d'exotique dans cette cité délabrée aux bâtiments de brique rouge, les mystères de la Chine sont ailleurs. Dans le rythme des conversations, par exemple. Dans la façon de filmer et de monter de Ynan Diao, qui nous fait passer sans crier gare d'une situation à une autre, d'une époque à une autre. Dans les échanges minimalistes entre les personnages, leur tristesse insondable. Et puis il y a les lieux. Tout le film s'articule autour d'une laverie de quartier, celle où travaille la belle mais incompréhensible héroïne, d'une patinoire à ciel ouvert où évoluent, le regard perdu dans le lointain, des habitants supposés virevolter gaiement au son d'une valse viennoise, d'un parc d'attraction à l'abandon, d'une boîte bar au nom évocateur (c'est d'ailleurs le titre original du film) : "Feux d'artifice en plein jour". La neige est sale, la pluie est grise, les néons font pitié, les postes de radio sont antédiluviens et les cours de danse ont l'air de dater des années 50. La musique où une pitoyable rythmique martelle ses sons électroniques par-dessus une ignoble mélodie sucrée et totalement désespérante est une véritable invitation au suicide. Zhang court après un mystérieux patineur qui a la fâcheuse habitude de laisser tomber des morceaux de cadavre par-dessus le parapet d'un pont, dans les wagons pleins de charbon d'un train de marchandise. Et confirme ce que je soupçonnais depuis longtemps : le patin à glace est une arme redoutable. Il court après la belle mais très étrange Zhizhen, au physique tellement éthéré qu'on la prendrait bien pour un fantôme, elle qui est la pathétique prisonnière d'un passé inoubliable et la veuve pas joyeuse d'un défunt trop présent. Il la suit, la colle, l'aime, l'espionne, et finit par la faire parler, raconter son histoire, mensonge, vérité? Peu importe. Zhang finit seul, comme il a commencé.
La bande annonce : 
 
Voilà un film noir sans une once d'espoir, où même l'humour est désespérant. Un film de Chine qui parle de la Chine qui ne fait pas envie, d'un pays où l'industrie est vieille, poussiéreuse, grasse et sale, où les hommes et les femmes survivent, un pied dans un passé de misère, l'autre dans un avenir sans joie. Black Coal est noir, politique, violent, peu bavard, et passionnant.

Black Coal, un film de Ynan Diao, avec Fan Liao, Lun-mei Gwei, Xue-bind Wang...

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