Comment avez-vous commencé à écrire ?
A la fin de ma scolarité, j'ai vécu à Londres pendant un certain temps. Je suis allé à l'Université, je vivais dans un endroit sans eau courante et sans électricité. Une vision très romantique de l'écrivain. C'était l'époque des grèves de la faim en Irlande, l'atmosphère était terriblement tendue, cette expérience a été un désastre. Puis j'ai fait des études de droit. L'auteur irlandais John McGahern, quand on lui demandait "Comment savez-vous si vous êtes un véritable écrivain?", répondait : "vous n'avez qu'à essayer de m'arrêter!" Je crois que c'est une bonne définition de ce que c'est qu'être un écrivain. Après mes études de droit, je me suis dit qu'il fallait absolument que j'essaie d'écrire, je ne voulais pas passer le reste de ma vie à regretter de ne l'avoir pas fait. Je me suis donné 3 ou 4 ans. Et j'ai eu de la chance, j'ai été publié. Il faut dire qu'à l'époque, les écrivains irlandais avaient le vent en poupe. Les éditeurs anglais, les Français s'intéressaient à nous. C'était le bon temps !
Avez-vous choisi délibérément le roman policier ?
En fait, cela ne fait que 3 ou 4 ans qu'on range mes romans sous l'étiquette "romans policiers". J'écris sur le crime, mais ce n'est pas du roman policier.
Vous avez une façon très particulière de jouer avec le temps et la construction.
Oui, dans Blue is the night, il y a 3 narrateurs et 3 rythmes temporels différents. Apparemment, ça fonctionne...
Revenons au Tango bleu
Au départ, je voulais savoir qui avait tué Patrica Curran. A la fin, je me suis aperçu que ce qui m'intéressait vraiment, c'était de savoir qui était Patricia.
Pensez-vous que le crime soit révélateur de la société ou de l'histoire ?
Je ne sais pas. J'ai lu Jim Thompson et James M. Cain, j'ai pris leur perspective et je l'ai transposée à la société où j'ai grandi. Et je me suis aperçu que j'avais trouvé une nouvelle façon de voir cette réalité. En fait, je viens d'une société calviniste, l'Irlande, qui a exporté le calvinisme aux Etats-Unis. En quelque sorte, je me suis contenté de le réimporter !
Quelle était votre intention quand vous avez commencé à écrire Le tango bleu ?
Mon père était un brillant avocat, qui a fini par tomber dans la corruption et qui a littéralement détruit sa propre vie. C'était terrible : cet homme qui vénérait la justice s'est aperçu que cette notion était devenue totalement corrompue, et qu'il était tombé dans cette corruption par idéalisme. Le personnage du Juge George Curran, lui aussi, est corrompu. Il ne vole pas, mais il est corrompu moralement. Je pense que cet aspect psychologique a beaucoup influencé mon choix. J'ai voulu apporter le réel dans ma fiction, et vice versa.
Et votre expérience au cinéma ?
J'ai écrit le scénario de Resurrection Man, qui est basé sur mon premier roman : le film a suscité pas mal de controverses quand il est sorti en 1998. On a dit que c'était le film le plus violent de l'année. Puis j'ai écrit le scénario du film de Michael Winterbottom, I want you qui est sorti la même année. Et on a dit que c'était le film le plus érotique de l'année. Ma tante l'a vu, et en sortant elle m'a dit : "Tu aurais mieux fait de t'en tenir à la violence" (rires). Alors... En ce moment, je travaille plutôt pour la télévision. Il y a beaucoup d'argent à gagner!
Que pensez-vous des auteurs irlandais et de leur engagement politique ?
Pour les écrivains de ma génération, cet engagement était une évidence. Vu ce que nous avions vécu, il était impossible de s'en affranchir. Quand j'avais dix ans, il y avait des arrestations tout le temps, le téléphone de mon père était sur écoutes... Mais aujourd'hui, je n'ai plus rien à dire sur le sujet. Et pour parler franchement, les livres politiques ne se vendent plus très bien. Quoique récemment, certains jeunes auteurs commencent à s'y intéresser à nouveau, ce qui m'étonne beaucoup. Et en plus, ils ont des lecteurs. Le contexte aujourd'hui a beaucoup changé : à l'époque, on était en pleine guerre froide, et il y avait en Irlande des activités d'espionnage. Ces deux éléments ont, à mon sens, joué un rôle crucial et beaucoup influencé ce qu'on appelle les "événements". Tous ces facteurs concentrés sur un seul petit pays...
Que pensez-vous de la place du crime dans la société ?
Pour moi, le crime est un véhicule que j'utilise pour explorer d'autres questions : l'homosexualité, la justice, la politique... Si j'écrivais des livres intellectuels, personne ne les lirait. S'y j'y mets des crimes, tout à coup, tout devient plus facile. La fin justifie les moyens (rires).
Le tango bleu ne s'appréhende pas d'emblée, mais une fois qu'on est pris, on est fasciné.
Merci ! Mais vous savez, beaucoup de gens ne se sont pas laissé prendre. En fait, les spécialistes du polar savent repérer dans mes livres les éléments caractéristiques du roman policier. Très bien. Moi, je fais de la littérature.
Vos projets?
Côté romans, j'hésite entre trois possibilités. Il va pourtant bien falloir que je me décide... Côté télé, quelques beaux projets en vue. Si j'ai mes responsabilités d'écrivain, j'ai aussi des responsabilités de père. Je ne veux pas que mes gosses pâtissent de mon art... Il y a quelques années, je suis tombé sur un de mes anciens éditeurs. Il m'a dit : "J'adore tout ce que tu fais, mais il serait temps que tu gagnes un peu d'argent, non ?". Et il m'a conseillé d'écrire des livres plus commerciaux. Je l'ai écouté, j'ai même écrit des petits livres d'espionnage parodiques sous le pseudo de John Creed. Et ça a plutôt bien marché...
Comment vous situez-vous dans le paysage littéraire irlandais ?
Je sais ce que je vaux ! Mais on m'a viré du salon pour me balancer dans la rue. A la réflexion, je crois que je préfère la rue : les rencontres y sont plus intéressantes. En plus, j'ai une certaine liberté parce que je ne suis pas sous contrat commercial, avec des contraintes de rythme de publication. Je peux très bien ne sortir qu'un roman tous les trois ans, je trouve ça très confortable.
Que pensez-vous du public français?
J'adore venir en France. Vous prenez la littérature au sérieux, vous adorez en parler. c'est formidable.
Il y a beaucoup de nouveaux auteurs formidables en Irlande, mais aussi en Ecosse. Comment expliquez-vous ce phénomène?
Nous avons une chose en commun : le calvinisme ! Mais en Angleterre aussi, il y a de très bons auteurs, simplement ils ne sont pas très connus du grand public.
Pensez-vous que l'utilisation de faits réels dans vos romans les rende plus efficaces ?
C'est ma méthode depuis si longtemps que cela m'est devenu naturel. Les faits réels n'obéissent pas à une structure formelle. Si on essaie de les reconstruire, cela ne marche pas. Donc je ne fais pas cela. J'aime que mes livres aient un côté psychologique fort, et le réel m'aide. Et puis je n'ai pas les mêmes responsabilités morales qu'un prof, un prêtre ou un journaliste. Si je "pêche" (j'emploie ce mot exprès) contre quelqu'un, ou contre le souvenir de quelqu'un, ce sera mon péché...
Assistez-vous à beaucoup de festivals ?
Cette année, je suis allé à Atlanta, en Chine, ... et à Penmarch'! L'an dernier, on m'a invité en Inde, mais je n'ai pas pu y aller. Ceci dit, le lectorat indien constitue un public un peu particulier: en général, il préfèrent les romans de salon aux romans de rue... Or, comme je l'ai dit, on m'a viré du salon.
Que pensez-vous de la représentation de l'Irlande par ses auteurs d'aujourd'hui ?
C'est difficile à dire. Neville, Millar et moi sommes très différents. Il y a quelques années, je roulais en voiture le long de la frontière entre l'Irlande du Nord et la République d'Irlande. C'était comme un rêve. Avions-nous vraiment vécu tout cela? J'avais la sensation de regarder un film. Et tout à coup, la lumière se rallume et on s'aperçoit que toutes ces choses sont arrivées dans le monde réel, pendant qu'on était en train de regarder un film...
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