31 juillet 2014

Peter May et Ann Cleeves à bâtons rompus (Harrogate 2014)

Ann Cleeves et Peter May
Peter May, ça vous dit quelque chose, bien sûr. L'homme est un bon vivant, un charmant Écossais qui vit en France, dans le Lot, depuis longtemps déjà. Il est connu, en particulier, pour sa trilogie qui se déroule dans l'île de Lewis, au nord de l'Ecosse, où son enquêteur Fin McLeod est confronté à des drames bien tragiques. L'île des chasseurs d'oiseaux, L'homme de Lewis et Le braconnier du lac perdu sont trois romans qui se déroulent dans cette petite île des Hébrides du nord, là où dans les années 90 Peter May était à la tête d'une équipe de télé pour le tournage d'une série télé, "Machair". On rappellera que Peter May avait auparavant tiré de son expérience chinoise six polars très différents mais tout aussi attachants. Si vous voulez en savoir plus, allez donc faire un tour sur son site, en français s'il vous plaît. Et ici, vous retrouverez une interview en français réalisée pour la librairie Dialogues au printemps 2014 :



Enfin, pour mémoire, les Carnets de route de François Busnel ont consacré leur épisode n°6 aux auteurs de polar anglais. Et Peter May était là, à l'île de Lewis, sous une pluie battante...
Quant à Ann Cleeves, c'est une superstar en Angleterre, surtout depuis le succès phénoménal de la série télé "Vera", qui met en scène une inspecteur femme, Vera Stanhope, jouée par la formidable Brenda Blethyn. Elle est également l'auteur d'une série intitulée "Shetland", inspirée par son expérience de vie sur les îles du même nom, qui a aussi fait l'objet d'une série télé.

Les deux auteurs ont donc en commun une expérience forte dans ces îles froides et venteuses du nord de l'Europe. Steve Mosby leur a demandé d'échanger à bâtons rompus sur leur expérience d'auteurs. Morceaux choisis.

Peter May
Ma mère était enseignante, elle m'a appris à lire avant même que j'entre à l'école. Je me rappelle avoir écrit mon premier livre à l'âge de 4 ans. Il y avait 5 ou 6 pages, avec 10 ou 12 mots par page. On l'avait relié, on avait fait une couverture. Et dessus on avait écrit "fait en Angleterre, imprimé en Ecosse". Ca s'appelait "My little elf". J'ai retrouvé ça dans un carton au grenier. Je l'ai scanné et j'ai mis de la musique dessus : vous pouvez le voir sur Youtube si ça vous amuse !
C'est la vérité vraie. Voici le lien :

   

Ann Cleeves
Je ne me rappelle pas ma première histoire. Mais je me souviens qu'à 2 ou 3 ans, j'avais dans la tête une histoire à la troisième personne, une voix qui racontait ce que j'étais en train de faire. J'entendais cette voix, et à mon avis ça veut dire que j'étais déjà une narratrice. Regarder, écouter, raconter. L'autre jour, j'étais à une terrasse à Londres, et il y avait plusieurs personnes. Cette femme totalement botoxée, par exemple. et je ne pouvais pas m'empêcher de lui inventer une histoire.

Peter May
C'est drôle, on me posait ce type de question récemment, de savoir à quel point je connaissais mes personnages. Et je me suis rendu compte que si je connaissais bien le personnage, je n'avais même pas besoin d'écrire. Car en fait c'est le personnage qui me dicte le texte. Mon plus gros problème, c'est de suivre le rythme !

Ann Cleeves
Je suis d'accord. La concentration, c'est cela qui ancre le personnage. Une fois cette concentration atteinte, c'est comme si on écrivait de mémoire, et pas d'imagination.

Peter May
Oui, on devient une sorte de sténodactylo ! Est-ce que vous prenez beaucoup de notes?

Ann Cleeves
Non, jamais. Car si je note, je ne pense plus.

Peter May
Qu'est-ce qui vous distrait quand vous écrivez ? Vous écoutez de la musique ?

Ann Cleeves
Ça dépend. Si je suis lancée, je peux écrire n'importe où, dans un aéroport. Sinon, je vérifie mon téléphone toutes les deux minutes!

Peter May
Moi, j'ai fait mes classes en tant que journaliste. Et les salles de presse sont terriblement agitées, elles sont un défi à la concentration. Et pourtant il fallait rester concentré, car on avait des délais très serrés.

Ann Cleeves
 Le premier texte que j'aie écrit et qui ait été lu, c'était du temps où j'étais officier de probation. Il fallait que j'écrive un rapport d'après un interrogatoire. Et j'avais toutes les peines du monde à ne pas en faire de la littérature. Car à la base, j'ai fait des études de littérature anglaise et française: j'avais été très marquée par Le Grand Meaulnes, avec sa scène de fête irréelle.

Peter May
Quand j'avais 12 ans, la femme de mon oncle s'est pendue. Il est venu vivre à la maison. J'ai été obligé de lui laisser ma chambre et de dormir sur le canapé du salon. Il y avait une bibliothèque dans la pièce. Ma mère lisait beaucoup ; elle faisait une fiche sur chaque livre. Dans cette bibliothèque, il y avait toutes sortes de choses.Le matin, je me réveillais et j'y puisais ce que je trouvais : ça allait des histoires de Perry Mason aux romans de Aldous Huxley. Je trouvais qu'il avait un prénom extraordinaire, Aldous... A cet âge-là, je ne faisais pas de différence entre la littérature sérieuse et la littérature "populaire". Je lisais, c'est tout.

Ann Cleeves
 Chez moi, il n'y avait pas de livres, pour ainsi dire. Mais nous allions régulièrement à la bibliothéque tous les samedis. Je ne me rappelle pas le nom de mes professeurs. En revanche, me rappelle parfaitement celui de la bibliothécaire qui me connaissait bien et qui me réservait à chaque fois les livres qui allaient me plaire. Et il y avait toujours un nouvel Enid Blyton! C'est pour cela que je suis attachée aux bibliothèques.

Peter May (Quais du polar Lyon 2013)

Peter May
Je me rappelle particulièrement les livres d'aventure, qui étaient formidablement structurés et très visuels. Ils m'ont beaucoup inspiré quand je me suis mis à écrire des scripts. A l'époque, il n'y avait pas de cours d'écriture créative à l'université. Quand je disais que je voulais être écrivain, on me rigolait au nez. Je me suis fait jeter de l'école, j'ai fait des petits boulots. Et un jour je suis tombé sur un prospectus qui proposait une formation de journaliste. Et ça a littéralement changé ma vie. Cela m'a montré qu'on pouvait gagner sa vie en écrivant. C'était donc un moyen détourné d'accéder à l'écriture, mais aussi d'accumuler des expériences parfois dures qui seraient des sources d'inspiration par la suite. Puis j'ai travaillé pour la télé. Et j'ai arrêté parce que je voulais vraiment écrire des romans.

Ann Cleeves
 J'ai commencé à écrire quand je me suis retrouvée isolée sur une île du nord. Mon mari était fou d'ornithologie, il observait les oiseaux. Nous venions de nous marier, nous étions très jeunes et nous nous sommes retrouvés là, sans électricité, sans eau courante. Il y avait des tempêtes terribles, nous buvions du thé à l'eau salée. C'est là que je suis devenue officier de probation. J'avais des trajets très longs et très pénibles. J'étais un peu Wonder Woman. Au bout d'un moment, c'est devenu trop dur. Et comme par hasard, je me suis retrouvée enceinte et j'ai dû vivre à plein temps sur l'île. Tous ces oiseaux, toute la journée sans rien à faire. J'ai bien pensé à tuer mon mari...

Peter May
Ça me fait penser que quand j'étais ado, j'avais un chef d'établissement qui ne m'aimait pas beaucoup. Des années plus tard, j'ai donné son nom au directeur d'orphelinat d'un de mes romans, qui n'était vraiment pas sympathique... Pour vous, la recherche, c'est quelque chose d'important?

Ann Cleeves
 Non. J'écris de la fiction justement parce que je ne suis pas très douée pour ce type de travail universitaire. Ma recherche, c'est d'écouter parler les gens, d'être attentive aux potins, d'aller boire une tasse de thé.... Et puis j'ai des amis experts qui me renseignent, ils me sont précieux. Mais vous, vos livres sont si authentiques, tout a l'air si vrai...

Peter May
Parce que ça l'est! J'aime bien faire des recherches. Il ne faut jamais avoir peur de demander aux gens ce qu'ils peuvent vous donner. Tout l'aspect historique sur l'Ecosse vient des livres, en fait.Mais les recherches peuvent mener à des situations vraiment spéciales. Moi, elles m'ont amené dans les cuisines d'un chef étoilé en France, par exemple. Et aussi auprès de la police et de la gendarmerie françaises, qui ne s'aiment pas beaucoup. La première fois que je me suis trouvé face à un gendarme, c'était un jour de marché. J'étais sorti faire quelques courses. Je m'étais garé juste une minute devant la poste, et j'ai entendu un coup de frein très violent. Le gendarme est sorti de la voiture, l'air furieux. Il m'a dit avec une grosse voix : "Monsieur Peter May?". Je n'en menais pas large. Il a poursuivi : "I love your books". Et il s'est mis à me parler de mes livres. Au point que ça a provoqué un embouteillage.
Dans un autre style, j'ai passé plusieurs années en Chine, à essayer de comprendre comment fonctionnait la police chinoise. Un jour j'étais à Shanghai et j'accompagnais un policier à la morgue. Et cette morgue ressemblait à un chalet suisse, sauf qu'il était plein de tiroirs réfrigérés, avec des corps dedans. Le médecin chef était un cadeau du ciel pour un écrivain : un grand type maigre, avec une cigarette qui pendait de sa bouche et de la cendre partout sur sa blouse. Il m'a demandé si je voulais voir un corps, j'ai dit "non". Sans en tenir compte, il a fait ouvrir un tiroir. Dedans, il y avait un jeune homme de 25 ans littéralement ouvert en deux. Son visage était intact. J'ai demandé au médecin ce qui lui était arrivé. Il m'a répondu qu'il avait été exécuté la veille. Je l'ai interrogé pour savoir pourquoi il y avait eu une autopsie. En fait ils avaient prélevé tous ses organes. Et sur ces entrefaites, le médecin s'est écrié : "Bon, si on allait manger!" Spécial...

Les romans de Peter May sont publiés par les éditions du Rouergue
Les romans de Ann Cleeves sont publiés chez Belfond

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