2 septembre 2014

Emily St John Mandel, Dernière nuit à Montréal, du road movie au drame familial

Pour un premier roman, l'auteure canadienne Emily St John Mandel commet un sans-faute. Le début du livre nous raconte une scène de couple banale. La jeune Lilia sort faire une course, après avoir échangé quelques mots avec Eli, son compagnon. Elle ne reviendra pas. Car elle ne revient jamais, Lilia. Elle part, toujours. Et on l'aime, on veut être près d'elle, on voudrait bien comprendre Lilia. A quoi bon ? Lilia part, toujours. Mais cette fois-ci, Eli décide qu'il en veut plus. Qu'il veut la retrouver, la connaître comme il connaît ces langues en voie de disparition qui font l'objet de sa thèse, celle qui ne se termine jamais. Qu'il veut la sauver, peut-être. Lilia, celle qui parle les langues, qui les traduit pour le plaisir.
Que fuit-elle ? Les lambeaux de son passé qui manquent à sa mémoire? Les raisons pour lesquelles son père, lorsqu'elle avait sept ans, l'a enlevée à sa mère, là-haut, au Québec? Cette nuit-là, la petite a couru pieds nus dans la neige, en chemise de nuit, pour rejoindre son père. Et depuis, les deux, le père et la fille, ont fui, bougé, ils ont eu peur de la police, peur de cet inconnu qui les prend en chasse un beau jour, obsédé qu'il est par cet enlèvement non résolu. La petite fille change de prénoms, de couleur de cheveux, le père et la fille errent de motel en motel, de ville en désert.
Et l'inconnu, le détective, les suit à la trace. Est-ce vraiment seulement pour les livrer à la police ? On a peine à le croire. Car pour les suivre, il abandonne sa femme, à qui il ne manquera guère, mais aussi sa fille, à qui il manque beaucoup. Cette petite-là, Michaela, devra se débrouiller toute seule, sans sa mère qui s'en tape, sans son père qui ne peut pas s'empêcher de courir après le couple et qui, quand il y pense, lui envoie un peu d'argent.
Voilà donc Eli en route pour Montréal, à la recherche de Lilia. Il trouvera Michaela, qui elle aussi en sait beaucoup sur Lilia et son histoire. Michaela qui vit à Montréal, qui danse dans un club miteux et ne sait pas toujours où dormir. Michaela la funambule qui, parfois, accroche sa corde entre deux bâtiments sans rien demander à personne, juste pour le bonheur de marcher là-haut sans filet, seule. Eli reverra-t-il Lilia ? Saura-t-il comprendre Michaela ? La fin du roman, cruelle à souhait, vous le dira peut-être.
Ce roman contient un road movie, ou Lilia serait une drôle de Lolita. Un drame familial. Une histoire d'amour pas finie. Une fille seule et triste, abandonnée de ceux qui sont supposés l'aimer. Un secret. Dernière nuit à Montréal est un roman habilement construit, qui joue avec les destins parallèles et croisés, les chagrins et les solitudes, les rencontres manquées, les illusions perdues, la mémoire rétive. Remarquablement écrit, avec un sens du suspense subtilement ménagé, c'est un roman qui serre le cœur, et qui n'en finit pas de se rappeler à votre mémoire.

Emily St John Mandel, Dernière nuit à Montréal, Rivages / Noir, traduit de l'anglais (Canada) par Gérard de Chergé

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