26 octobre 2014

James M. Cain, Bloody Cocktail : un dernier roman d'une noirceur absolue

Je vais vous faire un aveu : parmi les grands du roman noir américain, j'ai un gros faible pour James M. Cain. J'aime le style de Chandler et son héros humaniste et désespéré, la violence froide et l'écriture épurée de Dashiell Hammett, Jim Thomson, Chester Himes... Mais James M. Cain est celui qui m'a toujours fascinée, probablement pour sa façon d'écrire sur les femmes. Les héroïnes de Cain sont des femmes brisées, fatales à elles-mêmes et à ceux qu'elles aiment, sous le coup d'un destin terrible ou d'une passion mortelle. Ce sont des femmes qui s'en sortent à la force du poignet, si j'ose dire. Des femmes qui bossent, comme Mildred Pierce et ses restaurants à succès. Des femmes qui subissent des hommes haïssables ou méprisables, qui font l'erreur de penser que le prochain prince charmant qui s'arrêtera sur leur chemin les sauvera du sort qui leur est réservé. Des femmes prêtes à tout pour échapper à la noirceur dans leur destin, des femmes d'origine modeste, souvent, qui croient pouvoir fuir un temps ce que réserve la société américaine aux personnes dans leur genre, qui ne sont pas nées avec une cuiller en argent dans la bouche. Le mépris des femmes qui ont la légitimité de leur naissance et de leur appartenance à la bonne société, le mépris doublé de désir des époux de ces femmes-là. Et finalement, toujours, le drame. Oui, James M. Cain est le champion de ces femmes-là. D'aucuns le disent misogyne. Il est juste réaliste face au sort que réserve aux femmes la société américaine puritaine et sans pitié. Beaucoup de critiques contemporains le considèrent comme le parent pauvre du hard boiled américain. Ils le jugent un peu vulgaire, l'accusent d'insister sur les aspects sexuels de ses histoires pour séduire le bon peuple. Ils ont tort, bien sûr...
C'est donc avec un plaisir infini que j'ai appris la découverte du dernier manuscrit de James M. Cain, établi avec l'aide de Charles Ardai, fondateur des éditions Hard Case crime, qui dans sa postface passionnante, raconte comment, neuf années durant, il s'est mis en chasse des nombreux avatars de ce manuscrit sur lequel Cain travailla pratiquement jusqu'à sa mort en 1977. Et voilà, entre nos mains, ce Bloody Cocktail qui n'a pas grand-chose à envier aux chefs-d’œuvre précédents de Cain. D'autant que ce roman est finalement assez proche de nous, puisqu'il se déroule dans les années 50-60 et qu'il sait à merveille utiliser le contexte de l'époque, voire en tirer la clé de son intrigue particulièrement noire. Alors, que raconte Bloody Cocktail ? Une histoire de femme, bien sûr, celle de la ravissante Joan Medford, jeune veuve d'un mari peu aimant qui a eu le bon goût de lui laisser un fils. Joan est vite soupçonnée d'avoir un peu favorisé l'accident de voiture qui a coûté la vie à son mari alcoolique. Un mari dont la famille a tôt fait de se liguer contre elle pour essayer de lui arracher la garde du petit garçon... Joan n'a pas d'argent. Elle doit travailler. Elle trouve un job de serveuse au Garden of Roses, un bar à la patronne truculente et aux serveuses peu farouches. Très vite, elle devient populaire et attire même l'attention d'un vieil homme richissime mais malade, et d'un jeune type pas très clair mais très séduisant. Bientôt, elle rétablit sa situation financière, récupère la garde de son fils. Et est demandée en mariage par le vieux milliardaire. Alors, un conte de fées? Non, bien sûr... Je vous laisse découvrir la tortueuse intrigue qu'a concoctée James Cain pour sa dernière héroïne. Vous verrez, la fin est terrible, et même à la fin de sa vie, le vieux maître n'a rien perdu de son éclat.

James M. Cain, Bloody Cocktail, traduit de l'américain par Pierre Brévignon, éditions de l'Archipel

1 commentaire:

  1. Bonjour, C'est bien emballé (imho). Je mets ce dossier dans ma liste. Merci. blʌd

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