18 janvier 2015

Louise Welsh, La fille dans l'escalier : de solitude en obsession

Longtemps je me suis demandé comment vous présenter mes vœux. Chagrin, colère, dégoût ne sont pas très compatibles avec le côté festif et optimiste des souhaits de début d'année. Alors je vais me contenter de vous souhaiter de belles lectures, de fulgurants moments de bonheur, de salutaires instants de sérénité.

Et pour commencer, voilà Louise Welsh, romancière écossaise libraire à Glasgow, et sa Fille dans l'escalier.

Jane, une jeune femme écossaise, débarque à Berlin pour s'y installer avec sa compagne Petra. Jane est enceinte, c'est leur premier enfant. L'appartement qu'elles ont trouvé dans un quartier branché est une jolie rénovation toute propre, blanche et rutilante dans un immeuble ancien restauré et chic. Vaste, confortable, mais froid, tellement froid. En face, le jumeau de ce bâtiment, mais "dans son jus". Là, pas de restauration bobo, un immeuble délabré, sombre, sale, poussiéreux, voire inquiétant. Sur la place, à côté, l'église et le cimetière. Jane était libraire à Glasgow. Elle a quitté son job pour suivre Petra, femme d'affaires accomplie. Femme au foyer quoi... Dès le début du roman, on sent bien que Jane n'est pas à l'aise dans ce rôle-là. Elle fume même des cigarettes en cachette, vous vous rendez compte. Jane baragouine un peu d'allemand, pas assez pour faire tomber la barrière entre elle et les autres, tous les autres. Elle est seule avec ce bébé qui remue à l'intérieur de son ventre. Seule toute la journée, à attendre le retour de Petra.
Dans le même bâtiment vit un drôle de couple : un médecin et sa très jeune fille, Anna, qui a pour signes distinctifs un maquillage outrancier et un style vestimentaire plutôt provocant. Jane les entend se disputer violemment, elle entend des coups, des mouvements de corps heurtés, des cris. Dans le même immeuble vit aussi un vieux couple très haut perché, qui tient des propos des plus inquiétants sur la mère de la jeune fille et le sort qu'elle aurait subi. Faut-il leur faire confiance, en avoir peur, en avoir pitié ? Et puis de l'autre côté de la rue, il y a le côté sombre de la ville, le cimetière, les corbeaux qui hurlent. Jane et son gros ventre ont vite fait de ressentir très fort ce côté sombre, l'histoire de Berlin, ses fantômes. Berlin, ville branchée. Oui, mais aussi Berlin, ville meurtrie, ville qui n'oublie pas. L'étrangeté de Jane, sa situation d'étrangère, la rendent d'autant plus sensible à ces voix dissonantes. Alors quand Petra part plusieurs jours pour un voyage d'affaires, la laissant seule dans son appartement rutilant mais sans âme, Jane a tôt fait de céder à ses pires pressentiments, et de mettre son nez là où il ne faut pas, s'aventurant seule, la nuit, en des lieux peu rassurants, à la recherche des réponses à ses questions.

L'histoire en elle-même est plutôt classique. En revanche, Louise Welsh décrit avec une acuité rare la situation de Jane, l'Ecossaise lesbienne à Berlin, ses doutes, ses peurs et sa solitude glaçante, jamais vraiment réchauffée par la présence en elle du bébé qu'elle attend. Louise Welsh ne cède pas aux tentations qui lui tendaient les bras : l'attendrissement devant le gros ventre, les joies obligatoires de la maternité qui triomphe de tous les maux. Elle décrit là une femme perdue, sans repères, totalement seule malgré son couple, en proie aux doutes face à tout ce que sa nouvelle vie lui propose. Jane est-elle obsessionnelle, paranoïaque, fragile psychologiquement? Ou bien clairvoyante, capable de voir à travers les apparences des vérités que tout le monde préférerait camoufler ? Dépêchez-vous de lire La fille dans l'escalier. Vous y trouverez quelques-unes des réponses à vos questions, mais pas toutes, non, pas toutes.

Louise Welsh, La fille dans l'escalier, traduit de l'anglais par Céline Schwaller, Métailié Noir

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