17 mars 2015

Arnaldur Indridason, Les nuits de Reykjavik : la jeunesse d'un enquêteur solitaire

Vous connaissez sûrement Erlendur, le flic islandais qui a fait la célébrité de son créateur Arnaldur Indridason. Vous connaissez sa silhouette mélancolique, ses méditations tourmentées, ses vieux fantômes et sa mélancolique solitude. Au fil des romans, vous avez découvert certains de ses secrets, son obsession pour les disparitions, son éternelle culpabilité liée à la perte de son frère, évanoui dans la nature glacée au cours d'une promenade d'enfants. On connaissait un Erlendur d'âge mûr, empêtré dans une histoire compliquée avec sa fille aussi désespérée qu'il est neurasthénique. Mais Erlendur jeune, vous l'imaginiez ? Arnaldur Indridason l'a fait pour vous.
Les nuits de Reykjavik n'ont pas grand-chose de festif. Tout commence avec un mort, un clochard retrouvé par des enfants noyé dans une ancienne tourbière des nouveaux quartiers de Reykjavik. Hannibal le clochard alcoolo, victime d'un accident fâcheux mais presque attendu, voilà qui n'affole pas la maréchaussée islandaise. L'affaire est vite pliée : qui se soucie d'un poivrot solitaire et irascible. Qui ? Erlendur, bien sûr, qui a un peu connu l'homme du temps où il vivait dans une cave, puis quand, chassé après un incendie, il s'est réfugié dans une canalisation à l'abandon. Très vite, Erlendur repère un certain nombre de choses qui ne vont pas dans cette affaire. Très vite, il comprend que la thèse de l'accident ne tient pas debout. Et surtout, il remarque que la nuit de la mort d'Hannibal coïncide avec la disparition de Oddny, une jeune femme partie faire la fête avec des amis et jamais réapparue. Et Erlendur enquête, mais comme un détective privé. C'est peut-être là le plus étonnant dans cette affaire : la police de Reykjavik semble se désintéresser totalement des deux cas, et surtout ne souhaite pas qu'Erlendur enquête officiellement.

Mais l'homme est têtu... et surtout, grand spécialiste de la culpabilité, il se sent, allez savoir pourquoi, un peu responsable de la mort terrible de cet Hannibal, un homme dont la vie a été brisée par un épouvantable accident. Erlendur est obstiné jusqu'à l'imprudence, opiniâtre, prompt à se mettre à dos ceux qu'il interroge. Il prend des risques, remonte les pistes, et au fil des pages, raconte la vie de cet Hannibal au funeste destin. Et nous? Eh bien nous, nous découvrons un Erlendur trentenaire, flic débutant, peu intéressé par la gent féminine. A vrai dire, Erlendur à trente ans se comporte plutôt comme un "sex friend" avant l'heure que comme un amoureux fougueux. Et s'il est opiniâtre dans son enquête, il se laisserait plutôt porter dans sa vie privée, vite dépassé par les événements lorsque ceux-ci débordent du cadre qu'il leur a fixé. Déjà, Erlendur a du mal avec la vie. Déjà, c'est avec lui-même qu'il débat, c'est avec ses souvenirs qu'il se coltine quand vient l'heure de dormir, en plein jour puisqu'il travaille de nuit. A trente ans, Erlendur est, à jamais, prisonnier de son enfance sur laquelle on en apprendra un peu plus, mais à peine finalement. Obsédé par les êtres perdus, les âmes en déshérence, Erlendur a oublié pour toujours d'être jeune et insouciant. Et ses errances obsessionnelles dans les rues d'un Reykjavik en pleine mutation, qui devraient nous transporter quelque trente ans en arrière, ne font que nous confronter à un être qu'on apprend à connaître, sinon à apprivoiser, à une âme à la fois mélancolique et en colère, bref à un personnage de roman comme il y en a peu. Une belle réussite que ce voyage dans le temps, cette plongée patiente dans une âme seule, formidablement écrit... et toujours aussi bien traduit par Eric Boury.

Arnaldur Indridason, Les nuits de Reykjavik, traduit de l'islandais par Eric Boury, éditions Métailié

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