Sam Millar et William McIlvanney |
Le Goéland masqué 2015 s'est terminé il y a presque quinze jours, et cette édition était une vraie réussite. L'équipe de bénévoles a encore une fois assuré une organisation à la fois efficace et chaleureuse, les invités, nombreux et de qualité, ont attiré un nombre grandissant de lecteurs, les animations permettant soit de faire la connaissance d'auteurs inconnus soit d'entendre s'exprimer des écrivains lus, aimés et qu'on avait plaisir à retrouver "pour de vrai" dans un contexte festif.
Hervé Delouche, Roger Helias, William McIlvanney et les traducteurs, qui me pardonneront de n'avoir pas mémorisé leurs noms. Une lacune réparée s'ils me les communiquent! |
Le grand William McIlvanney, dont la trilogie des Laidlaw vient de ressortir chez Rivages, était visiblement ravi d'être là et de rencontrer son public français. Morceaux choisis de son entretien avec Roger Hélias et Hervé Delouche, qui démarre en évoquant le roman qui a fait connaître McIlvanney, Docherty (Rivages).
"Le contexte de l'écriture de Docherty ? C'est celui dans lequel j'ai vécu : toute ma famille travaillait dans les mines, c'était mon quotidien. Ils racontaient des histoires incroyables : des bagarres, ou celle de cet homme qui utilisait une ampoule électrique pour allumer sa cigarette. Toutes ces histoires me paraissaient tellement fantastiques qu'il m'a semblé qu'il fallait en conserver une trace. Docherty, pour moi, c'est un témoignage de la vie des ouvriers de l'époque.
L'écriture, pour moi, c'était principalement un témoignage de ce que ça représentait d'être vivant à cette époque-là. C'était une célébration de la culture ouvrière, sans misérabilisme, un témoignage sur cette vie qui était sur le point de disparaître.
J'avais terminé Docherty, et puis j'avais envie de me reconnecter avec la vie contemporaine. J'ai donc décidé de me réorienter. J'ai entendu une voix, comme Jeanne d'Arc, qui me disait qu'il fallait que j'écrive un roman qui montre les aspects sombres de la vie à Glasgow, et qu'il fallait que ce soit un policier qui parle. J'ai été critiqué car je quittais le roman "littéraire" pour le roman "de genre". C'est Gore Vidal qui disait "il faut coloniser le genre, faire le maximum de chaque genre, aller la rencontre du lecteur." On m'a considéré comme un traître, attiré par les sirènes du marché. Mais j'ai été très content du succès du premier livre : on m'a dit que si j'en écrivais un comme ça par an, je finirais milliardaire. Mais ça n'a pas marché comme ça. Je ne peux pas écrire un livre par an, je suis mon instinct, j'écris quand j'en ai envie. Mais à ma suite il y a eu toute une vague de nouveaux auteurs écossais, de Ian Rankin à Denise Mina en passant par Val McDermid, qui se sont réclamés de mon influence, et j'assume parfaitement ma responsabilité."Le contexte de l'écriture de Docherty ? C'est celui dans lequel j'ai vécu : toute ma famille travaillait dans les mines, c'était mon quotidien. Ils racontaient des histoires incroyables : des bagarres, ou celle de cet homme qui utilisait une ampoule électrique pour allumer sa cigarette. Toutes ces histoires me paraissaient tellement fantastiques qu'il m'a semblé qu'il fallait en conserver une trace. Docherty, pour moi, c'est un témoignage de la vie des ouvriers de l'époque.
L'écriture, pour moi, c'était principalement un témoignage de ce que ça représentait d'être vivant à cette époque-là. C'était une célébration de la culture ouvrière, sans misérabilisme, un témoignage sur cette vie qui était sur le point de disparaître.
Dans le monde du polar, en règle générale, les auteurs sont beaucoup plus généreux qu'en littérature générale, ils sont peu jaloux les uns des autres, c'est très appréciable.
J'ai connu beaucoup de criminels dans ma vie, et j'ai compris qu'ils étaient beaucoup complexes qu'on ne le pensait. A l'âge de 23 ou 24 ans, j'ai lu Camus, et j'ai voulu que Laidlaw lise Camus. En fait, Laidlaw est un existentialiste.
Dans Big Man, mon roman qui se déroule dans une ville écossaise sinistrée économiquement, il est question d'un boxeur qui se bat pour survivre, dans un contexte de pègre. C'était une métaphore de Margaret Thatcher (s'il vous plaît, ne me faites pas répéter ce nom ... rires). La politique menée comme un combat de boxe. C'est Liam Neeson qui a joué le rôle du mineur dans le film éponyme, et lui-même avait été boxeur amateur dans sa jeunesse. Ce boxeur, c'est quelqu'un qui avait été mon élève. Quand je l'ai revu, au moment de la post-production, il m'a avoué que je lui avais toujours fait peur. Il m'a dit : "Willie, j'ai fait une terrible erreur. J'ai mangé mes crevettes à la cuiller, sans les décortiquer. Ça n'est qu'au bout de six que je me suis aperçu que tout le monde me regardait..."
Je suis socialiste, j'ai voté pour l'indépendance de l’Écosse. Autant j'aime la culture britannique, autant je déteste la politique anglaise. Surtout que le Labour s'est mis à imiter Thatcher... Ce qui m'a beaucoup ému, le jour du référendum, ça a été de voir de très nombreux jeunes absolument passionnés. Là, je me suis dit qu'on n'avait pas perdu notre temps, et que c'était la première fois que la jeunesse s'enthousiasmait pour la politique.
Sean Connery et Laidlaw ? Oui, Connery m'a appelé et m'a donné rendez-vous au zoo! Pourquoi au zoo ? Je ne sais pas. Bref, on s'est retrouvé au café là-bas. Une femme s'est avancée vers lui et lui a demandé : "Êtes-vous bien celui que je crois?". Il a répondu "Non", et l'autre est partie ! Il y a eu des transactions avec les agents, des discussions sur les pourcentages, et ça ne m'a pas plu. Plus tard, un de mes amis m'a dit qu'il était désormais interdit de prononcer mon nom en présence de Sean Connery.
Puis c'était au tour de Sam Millar, l'irréductible Irlandais, de passer sur le grill de Roger Helias, Marie Pen Du et Hervé Delouche.
Hervé Delouche, Roger Hélias et Sam Millar |
"Dans mes livres, j'essaie toujours d'introduire un peu d'humour, même s'il est noir. J'ai travaillé dans un abattoir à l'âge de 16 ans, c'est une expérience qui m'a servi pour Redemption Factory (republié sous le titre Rouge est le sang). Il est vrai que quand les lecteurs lisent certains passages très durs du livre, ils pensent que c'est inventé. Hélas, c'était la réalité. A cette époque, quand je travaillais là-bas, il y avait près de 200 protestants pour 10 catholiques. J'ai été littéralement jeté dans un bain de sang, pour me décourager, pour que je parte. J'avais le choix entre rester et travailler dans des conditions terribles, et retourner chez moi faire face à la colère de mon père. Je suis resté...
C'est seulement quand j'ai publié On the Brinks que le public a compris qu'en fait, je parlais de moi-même...
Le jour où mon père m'a emmené faire un tour à Derry, j'étais un gamin, je ne m'intéressais qu'aux filles, à la bière et aux BD. Je ne m'intéressais pas du tout à la politique, contrairement à ma famille. Ce jour-là, c'était juste une virée. Derry, je ne savais pas ce que c'était. Mon père m'a dit qu'on allait participer à une manifestation pour les droits civiques. Moi, tout ce que je voyais, c'était la balade en voiture, quitter Belfast pour la journée. Quand on est arrivés, Derry était encerclée par la troupe britannique. Ils ont commencé à tirer sur la foule des manifestants. Je n'ai compris ce qui s'était produit qu'à mon retour à la maison, quand mon père m'a dit qu'il y avait eu 13 morts. Alors là, la colère m'a pris et ne m'a plus quitté. J'ai décidé de me battre aux côtés de l'IRA.
On the Brinks parle de mes années à Long Kesh, cette prison où j'ai été torturé. Je n'avais que 17 ans... Et puis il y a eu le mouvement de protestation dit des "blankets" (les couvertures) : nous étions nus, car nous refusions de porter l'uniforme des prisonniers imposé par les Anglais. Certains de mes co-détenus ont été violés.
Quand je suis parti aux Etats-Unis, mon rêve, c'était d'avoir un magasin de BD. Et je me suis vite aperçu que pour moi, le seul moyen de réaliser ce rêve, c'était d'attaquer un fourgon de la Brinks (rires). C'est comme ça que le rêve américain est devenu le cauchemar américain...
Sur mon nouveau personnage, le détective Karl Kane : au départ, je voulais juste écrire des livres d'humour. J'en ai envoyé un exemple à mon éditeur en même temps qu'un autre roman policier, Poussière tu seras. L'éditeur a voulu en parler avec moi, j'étais plutôt inquiet. Je l'ai rencontré, et il m'a dit : "C'est le livre le moins drôle que j'aie jamais lu." En revanche, il a adoré Poussière tu seras, et il m'a demandé d'écrire des romans policiers.
Mes livres sont publiés en France, en Allemagne, en Italie et ailleurs. Mais toujours pas en Grande-Bretagne. Je suis sur une sorte de liste noire qui fait que mes livres n'arrivent pas dans les librairies anglaises. Mais en fait, ça me rend assez fier. Qui a besoin des Anglais quand on a les Français ?
C'est seulement quand j'ai publié On the Brinks que le public a compris qu'en fait, je parlais de moi-même...
Le jour où mon père m'a emmené faire un tour à Derry, j'étais un gamin, je ne m'intéressais qu'aux filles, à la bière et aux BD. Je ne m'intéressais pas du tout à la politique, contrairement à ma famille. Ce jour-là, c'était juste une virée. Derry, je ne savais pas ce que c'était. Mon père m'a dit qu'on allait participer à une manifestation pour les droits civiques. Moi, tout ce que je voyais, c'était la balade en voiture, quitter Belfast pour la journée. Quand on est arrivés, Derry était encerclée par la troupe britannique. Ils ont commencé à tirer sur la foule des manifestants. Je n'ai compris ce qui s'était produit qu'à mon retour à la maison, quand mon père m'a dit qu'il y avait eu 13 morts. Alors là, la colère m'a pris et ne m'a plus quitté. J'ai décidé de me battre aux côtés de l'IRA.
On the Brinks parle de mes années à Long Kesh, cette prison où j'ai été torturé. Je n'avais que 17 ans... Et puis il y a eu le mouvement de protestation dit des "blankets" (les couvertures) : nous étions nus, car nous refusions de porter l'uniforme des prisonniers imposé par les Anglais. Certains de mes co-détenus ont été violés.
Quand je suis parti aux Etats-Unis, mon rêve, c'était d'avoir un magasin de BD. Et je me suis vite aperçu que pour moi, le seul moyen de réaliser ce rêve, c'était d'attaquer un fourgon de la Brinks (rires). C'est comme ça que le rêve américain est devenu le cauchemar américain...
Sur mon nouveau personnage, le détective Karl Kane : au départ, je voulais juste écrire des livres d'humour. J'en ai envoyé un exemple à mon éditeur en même temps qu'un autre roman policier, Poussière tu seras. L'éditeur a voulu en parler avec moi, j'étais plutôt inquiet. Je l'ai rencontré, et il m'a dit : "C'est le livre le moins drôle que j'aie jamais lu." En revanche, il a adoré Poussière tu seras, et il m'a demandé d'écrire des romans policiers.
Mes livres sont publiés en France, en Allemagne, en Italie et ailleurs. Mais toujours pas en Grande-Bretagne. Je suis sur une sorte de liste noire qui fait que mes livres n'arrivent pas dans les librairies anglaises. Mais en fait, ça me rend assez fier. Qui a besoin des Anglais quand on a les Français ?
Un grand merci, Velda, pour cette mise en ligne des propos de ces deux écrivains que j'ai déjà rencontrés dans des festivals. Quand vous parlez de leurs traducteurs, vous devez penser aux interprètes dont le métier est très exigeant. William McIlvaney a écrit des chefs d'œuvre avec "Laidlaw" et "Doherty". J'hésitais à lire Sam Millar. Je suis maintenant totalement convaincu. Lequel de ses livres me conseilleriez-vous ?
RépondreSupprimerAmitiés
Pierre Bondil
Bonjour Pierre, merci beaucoup pour votre commentaire. Effectivement, j'aurais aimé avoir les noms des interprètes, que je cite scrupuleusement, tout comme les traducteurs... si je les ai, bien sûr. En ce qui concerne Sam Millar, je crois que son "On the Brinks" est inévitable : c'est une autobiographie qui parle de son emprisonnement et de son expérience américaine (y compris le braquage d'un fourgon de la Brinks). En ce qui concerne les romans, mon préféré est sûrement "Poussière tu seras." Sa série récente, celle des Karl Kane, est moins noire, mais, à mon humble avis, moins intéressante. Amitiés - Catherine
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