27 mars 2016

Jake Hinkson, "L'homme posthume" : comment vit-on quand on est mort?

Jake Hinkson a fait son entrée dans le paysage de la littérature noire en même temps que dans la collection néonoir de Gallmeister l'an dernier, avec L'enfer de Church Street, qui a remporté à peu près tous les suffrages. Le deuxième roman, c'est l'obstacle redoutable, disent souvent les auteurs et les éditeurs. Avec L'homme posthume, Jake Hinkson le passe d'une drôle de façon, avec un roman impossible à lâcher, où l'on retrouve les thématiques de L'enfer de Church Street intégrées à un récit que sa longueur apparente à la nouvelle, avec les codes qui vont avec, en tout cas en matière de roman noir : rapidité d'exposition, rapidité d'action, personnages et situations choc.

Nous sommes à Little Rock, Arkansas. Et ça ne ressemble pas à ce que nous en chantaient Marilyn et Jane dans Les hommes préfèrent les blondes :




Elliott Stilling, ancien pasteur sévèrement déprimé, vient de se suicider. Enfin, presque. Il est mort pendant trois minutes. Il se réveille à l'hôpital avec à son chevet Félicia, infirmière troublante, et pas seulement sexuellement. Elliott reste muet sur sa vie passée et les raisons de son suicide : ce qui ne dérange pas plus que ça Felicia, à vrai dire. Il quitte l'hôpital sans demander son reste, et tombe sur... Felicia, qui l'invite sans détours à prendre un verre chez elle. Il fait si chaud à Little Rock...  Manque de chance, la maison n'est pas vide : les visiteurs sont jumeaux, un d'entre eux est sourd-muet, l'autre est flic. Et visiblement, ils ont une affaire en cours avec Felicia, et il ne s'agit pas d'une affaire de santé. Quoique... Un hold-up, c'est bien de cela qu'il s'agit.
Sur une idée de Felicia, il s'agit de s'approprier une grosse cargaison de médicaments avant sa livraison à l'hôpital. Mais Felicia, si elle a apporté l'information, n'est pas le chef de la bande. C'est l'incroyable Stan qui mène la danse. Un grand rouquin au visage en lame de couteau, costume blanc cassé, le genre à ne pas se salir les mains. Un psychopathe de première, qui va se faire un plaisir d'entamer une joute avec l'ancien pasteur. Oh, rien de révolutionnaire ! Juste une idée forte : pour s'assurer de la miséricorde divine, il faut avoir commis un maximum de péchés, grosso modo. Voilà la théorie de Stan, bien pratique en ce qu'elle lui autorise tout et n'importe quoi. Discuter avec un ancien pasteur de cette idée-là, c'est une occasion unique pour Stan, qui fréquente plutôt des grosses brutes débiles qui lui servent d'hommes de main. Et pendant ce temps-là, on ne sait toujours pas ce qui est arrivé à Elliott le mort, quelle culpabilité l'accable. Hinkson nous glisse de temps à autre un paragraphe hypnotique, toujours le même, celui qui précède l'événement qui a poussé Elliott au bord du gouffre. Bref, Elliott se retrouve embarqué dans l'affaire : il est mort, il n'a donc rien à perdre... Bien sûr, ça dérape fort, très fort.


 Brad Dourif dans Le malin (Wise Blood) de John Huston, 1979


Jake Hinkson

Si la psychologie des personnages souffre sans doute un peu de la brièveté du texte, en revanche l'aspect métaphysique se taille la part du lion : face au personnage de Stan, on pense un peu à ce beau film mal foutu de John Huston, Le malin, adaptation d'un roman de Flannery O'Connor où un Brad Dourif totalement allumé joue le rôle d'un fils de prêcheur évangélique de retour de la guerre, fondateur d'une nouvelle secte qui va accélérer son délire dans un tourbillon de violence extrême. Ce n'est sans doute pas un hasard si la biographie de Hinkson sur le site de son éditeur commence par une citation de Flannery O'Connor. Une approche comparable de la chose religieuse, à mi-chemin entre l'ironie et l'effroi, qui donne au roman son cachet et son originalité.

Jake Hinkson, L'homme posthume, traduit de l'américain par Sophie Aslanides, Gallmeister, collection neonoir

3 commentaires:

  1. je suis content de lire ta chronique, je commençais à m’inquiéter car j'ai lu ici et là des critiques nettement moins positives pour ce roman que pour le premier. Pour ma part j'ai autant aimé celui ci que "L'enfer de church street".visiblement tu as bien aimé toi aussi !

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    1. Tout juste, chère Souris ! A vrai dire,d'une certaine manière, je l'ai presque préféré à "L'enfer...", pour son côté rapide, direct, et une forme d'humour noir qui m'a bien séduite.

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  2. J'ai beaucoup aimé ce livre notamment pour le personnage de Three ! :)

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