Les Quais du polar, d'année en année, attirent un public de plus en plus nombreux : hausse de 10% de la fréquentation globale, plus de 80 000 visiteurs, près de 35 000 livres vendus. Beau numéro d'équilibriste que de réussir à préserver l'aspect chaleureux de ce festival, qui est aussi l'occasion de retrouvailles festives pour de nombreux amateurs de toute la France...
Les Quais du polar 2016 ont été riches en rencontres, tables rondes et autres événements. Les organisateurs auraient-ils perçu la frustration que certains d'entre nous ont éprouvée les années passées face à l'impossibilité d'assister à tout, faute d'avoir le don d'ubiquité? Toujours est-il que cette année, les rencontres ont été enregistrées et sont accessibles en ligne ici .
Riche idée !
Les Quais du polar 2016 ont été riches en rencontres, tables rondes et autres événements. Les organisateurs auraient-ils perçu la frustration que certains d'entre nous ont éprouvée les années passées face à l'impossibilité d'assister à tout, faute d'avoir le don d'ubiquité? Toujours est-il que cette année, les rencontres ont été enregistrées et sont accessibles en ligne ici .
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Bruno Corty et Richard Price à la Chapelle de la Trinité (QDP 2016) |
Richard Price se fait rare dans nos contrées : sa dernière visite en France remonte à 2010... Impossible de rater cette rencontre avec l'écrivain du Bronx, auteur des Seigneurs, du formidable Ville noire, ville blanche et de 6 autres romans. Il vient de faire paraître The Whites (Presses de la Cité), traduit par Jacques Martinache.
Richard Price est pratiquement aussi connu comme scénariste (entre autres La couleur de l'argent ou Mad dog and Glory pour le cinéma, The Wire pour la télévision), que comme auteur. Il a répondu une heure durant aux questions de Bruno Corty. Un discours franc, lucide et passionnant sur l'état de la littérature, du cinéma et de la télévision aux Etats-Unis. Et quelques tacles bien sentis envers l'inénarrable Donald Trump... Morceaux choisis.
BC C'est un grand honneur de recevoir à Lyon pour la première fois M. Richard Price. C'est un homme très occupé, qui travaille pour le cinéma et la télévision. Sa dernière visite en France a eu lieu en 2010, pour le festival America de Vincennes. Nous avons la chance d'avoir son dernier roman, The Whites, qui paraît aux Presses de la Cité. C'est un homme discret, et pourtant des gens comme Dennis Lehane ou George Pelecanos disent qu'il est le "Godfather" du roman noir actuel. Richard Price, vous êtes né dans le Bronx en 1949, vous avez appris la vie dans la rue très tôt, vous avez fait de très bonnes études, votre premier roman est paru en 1974, vous aviez 24 ans.
RP J'étais un mauvais étudiant... Je n'ai pas vraiment grandi dans la rue, mais plutôt au sein d'une cité logement, comme une sorte d'enfant sauvage. J'ai toujours voulu écrire. Mon grand-père était ouvrier, c'était un auteur amateur, ma grand-mère, 1m50 et et 150 kg, était une raconteuse d'histoires. Quand j'avais 7 ans, elle me parlait comme si j'étais sa copine de 50 ans... Et je passais ma vie à raconter des histoires... Le premier livre est toujours le plus facile à écrire. Avant, vous êtes un aspirant auteur. Après, vous êtes un écrivain, vous avez une expérience, et vous êtes en concurrence avec vous-même... A l'époque, je n'avais même pas le projet d'écrire un roman. Je pensais plutôt à des nouvelles. Et puis j'ai assisté à des ateliers d'écriture, j'étais complètement inconscient. J'écoutais du rock en écrivant, aujourd'hui si on me mettait du rock quand j'écris, je tirerais sur la chaîne stéréo...
BC Vous avez dit dans une interview que vos professeurs vous donnaient des listes d'auteurs à lire, et vous étiez confronté à des gens comme Rimbaud ou Michaux. Vous n'étiez pas préparé à ça.
RP Nous étions une famille ouvrière. A l'époque, ces lieux étaient bien différents d'aujourd'hui. Il suffisait d'avoir un revenu suffisant, et on vous mettait dans un logement. Moi et mes copains, on est allés à l'Université, ou à l'armée, ou à l'école de police. A cette époque, tout le monde évoluait, c'était naturel, contrairement à aujourd'hui.
BC Vous vouliez être poète, comme votre grand-père.
RP Non, pas vraiment. Je voulais raconter des histoires avec les mots de la rue. Je ne me préoccupais pas de style, et j'ai évolué dans mes lectures. A 16 ou 17 ans, on essaie d'imiter quelqu'un qu'on admire. A l'époque, on était en plein mouvement beat avec Kerouac, Ginsberg, Burroughs. De fil en aiguille, en imitant ces gens, qui vous laissaient une trace, on passait au stade suivant. Et puis j'ai lu James Baldwyn, Hubert Selby Jr, et j'ai commencé à voir dans les livres ce qui était mon expérience, mon vécu. Avant, je pensais qu'il fallait écrire comme Jane Austen ou Mark Twain. C'est le moment où l'on découvre non pas quelque chose de nouveau, mais quelque chose qu'on avait en soi sans le savoir. Cela fonctionne comme un miroir. J'ai eu l'impression de me voir. J'ai gagné de la confiance, j'ai progressé. Et aujourd'hui, c'est toujours la même chose : mon seul but, c'est de faire le meilleur livre dont je sois capable. Je n'ai aucune envie d'écrire un roman historique sur l'Armada espagnole pour montrer que je peux le faire ! Je veux que chaque livre soit un peu plus proche de la vie qui est la mienne que le précédent.
BC Vous avez publié 4 romans entre 74 et 83.
RP Le monde était entièrement différent alors. J'avais publié quelques textes dans un magazine. Un an plus tard, le patron me dit : "J'ai eu une lettre d'un éditeur, il veut te publier." Je sursaute d'étonnement, je lui demande de qui il s'agit. Il cherche partout, ne retrouve pas son bout de papier. "La seule chose dont je me souvienne, c'est que son nom commençait par un H". Je me suis donc photocopié je ne sais pas combien d'exemplaires de mon texte écrit à la main - je n'écrivais même pas à la machine à l'époque - et je les envoyés chez les agents pour essayer de trouver qui avait essayé de me contacter. Peine perdue. Et puis je suis tombé sur un éditeur qui s'appelait Houghton & Mifflin. A l'époque, j'enseignais l'anglais langue étrangère dans un centre aéroportuaire. J'ai appelé cet éditeur, je me rappelle encore, c'était dans une cabine, il pleuvait des cordes, et j'ai demandé à parler au responsable. J'étais complètement inconscient. Le gars est venu au téléphone, je lui ai dit : "Vous avez chez vous un de mes manuscrits. Si vous ne voulez pas le publier, pouvez-vous me le renvoyer?" Il me demande d'attendre, revient et me dit : "D'accord, on le prend." Je réponds : "Combien?" Il me fait : "4000 dollars". Je lui dis : "Je n'ai pas 4000 $." Il réplique : "Mais non, c'est nous qui vous payons 4000$". Formidable, je n'y croyais pas, j'étais si jeune. Je suis rentré à New York et je me suis mis à dépenser tout cet argent. Je n'avais pas compris qu'il me faudrait plusieurs mois pour recevoir le chèque. Quand il est arrivé, j'étais à découvert de 15000 $.
BC Après ces 4 romans, vous devenez scénariste, et vous allez écrire de moins ou moins de romans. On vous appelle pour travailler pour Scorsese, La couleur de l'argent. Comment ça se passe ?
RP La première chose à laquelle pense un romancier, c'est de s'acheter du temps pour écrire. Donc cela répondait à ce besoin. Mais avec le temps, les choses vous échappent de plus en plus. Vous écrivez un scénario, et il se fait ou pas. Et s'il se fait, ce n'est pas parce qu'il est bon, mais parce qu'une grosse star a dit oui... Tout dépend aussi des administrations, des changements de personne, d'une star qui change d'avis... Ou encore la personne qui soutenait le projet est partie travailler ailleurs. A mes débuts, j'ai eu beaucoup de chance. Aujourd'hui, je n'ai plus de temps à perdre avec ces histoires. Mais j'ai besoin d'argent pour pouvoir écrire mes livres. Un poète a dit : "J'écris des scénarios pour gagner l'argent qui va nourrir mon chien." Son chien étant son œuvre. Aujourd'hui, je le fais pour payer mes factures et pour disposer de temps sans avoir à me soucier des choses matérielles. A mes débuts, je croyais à ce vieux cliché qui dit qu'on écrit bien que sur ce qu'on connaît. Mais quand on a 23 ou 24 ans, qu'est-ce qu'on connaît ? Résultat : au bout de trois ou quatre livres, je m'étais acculé tout seul dans une impasse. Mes livres ne s'amélioraient plus, et il fallait que j'arrête. En plus, j'avais un gros problème de cocaïne. Et il fallait que je me sorte de cette impasse. Quand on est à Hollywood, c'est facile d'arrêter la cocaïne. Mais c'est plus difficile d'arrêter d'écrire des scénarios une fois qu'on commence à gagner de l'argent. Et ça marchait... Un million de personnes voient un film quand 1000 personnes lisent un livre. A un moment donné, j'avais écrit huit romans, et j'avais mon nom sur les scénarios de six films. Et puis j'ai écrit cinq épisodes de The Wire. The Wire est sorti en DVD, et c'était un énorme succès. Et c'est là que mes filles, qui étaient jeunes à l'époque, m'ont dit pour la première fois : "Dis donc papa, tu es un vrai écrivain!"
BC Il faut rappeler que vous avez travaillé sur des films comme Mad Dog and Glory, Mélodie pour un meurtre, Shaft, Clockers. Une carrière incroyable, mais surtout des films noirs. Vous avez fait ce choix.
RP On m'engageait pour ce que je savais faire. On n'allait pas me demander d'écrire un film sur Shakespeare. Pour Shaft, c'était très embarrassant. J'étais supposé réécrire un script déjà existant. Et à Hollywood, ça se passe comme ça : ils achètent un script, la star est d'accord. Et quelques semaines avant le tournage, ils s'aperçoivent que le scénario est épouvantable. C'est là qu'ils engagent un "script doctor". Et ça c'est fantastique. Votre mission est de faire mieux que ce qu'ils ont déjà. Et comme ce qu'ils ont déjà est vraiment nul, ça n'est pas difficile. En plus, on est payé à la semaine... Mais parfois c'est si mauvais qu'on est obligé de dire : "OK, je suis docteur, mais je ne fais pas de miracle..." Et là, c'est vraiment dur. A un moment, sans doute à cause d'un sentiment de culpabilité, et aussi de mes problèmes de cocaïne, j'ai accepté de travailler pour un centre de rééducation pour adolescents. Pour ces gamins-là, le problème c'était le crack. Le crack, c'est 100 fois pire que la coke. Ces gamins de 15 ans étaient plongés là-dedans jusqu'au cou, souvent leurs parents étaient morts du SIDA, ils avaient vécu dans des foyers ou des familles d'accueil. Cette expérience m'a aidé à me rendre compte que j'avais quelque chose que je ne voulais pas perdre : c'était mon écriture. J'ai appris, j'ai cherché, mon écriture est devenue presque journalistique, j'ai voulu redonner ce que j'avais appris, ce que j'avais vu, avec un œil de photographe, avec une attention au détail. J'ai adoré ça, et cela m'a aidé à trouver une nouvelle manière d'écrire.
BC Quand votre dernier roman est sorti aux USA, c'était sous le nom de Harry Brandt. Qu'est-ce que c'est que cette histoire?
RP Il y a une grande tradition du pseudo aux Etats-Unis, beaucoup d'auteurs célèbres ont utilisé un pseudo pour écrire des polars. Par exemple, l'Irlandais John Banfield a écrit sous le nom de Benjamin Black. A l'époque, j'avais besoin d'argent. Mon agent m'a proposé d'écrire un roman sous pseudo, pour me faire de l'argent, et m'a dit : "S'il te faut plus de 6 mois, ça ne vaut pas le coup." J'ai répondu : "Aucun problème." J'ai été payé, je me suis mis au travail. Et j'ai voulu faire un polar vraiment dans les règles, à l'ancienne. Mais depuis des années, j'écrivais tout autre chose ! C'était comme si un gaucher décidait de devenir droitier du jour au lendemain... Donc les six mois sont devenus quatre ans. Il me fallait du suspense à chaque page, le bien devait surgir du mal, il fallait toute une série de révélations calculées. Et ça a fini par devenir artificiel, il n'y avait pas de vie dans les personnages. Au bout du compte, je me suis retrouvé avec un roman de Richard Price. Et finalement, j'ai changé d'avis, ça n'était plus la peine de prendre un pseudo.
BC The Whites s'appelle ainsi non pas pour des raisons raciales, mais pour quelque chose de bien différent. Est-ce que ça a été bien compris ?
RP Non, pas du tout ! J'ai créé le concept de "white", qui exprime le fait qu'au bout de trente ans passés à accompagner dans une brigade de police, un flic en a vu tellement... Mais à un moment, pour ce flic, survient LE cas, celui qui est aussi unique qu'un flocon de neige. Ce cas reflète quelque chose dans sa vie personnelle... Souvent, un flic en fin de carrière passera ses soirées à réexaminer le dossier de ce cas-là, et découvrira une piste qui n'a pas été explorée. Et il ou elle ne lâchera pas l'affaire, cela deviendra une obsession. Pour moi, c'est ça, le "white". Mais finalement ça n'est pas gênant qu'on ait plutôt pensé à une allusion raciale, car pratiquement toutes les enquêtes de police ont un aspect racial.
BC Pour ce livre, on dit que vous n'avez fait aucune recherche, car vous avez côtoyé tellement de policiers depuis Sea of Love que vous aviez déjà tout ! Vous l'avez écrit d'une seule traite ?
RP Oui, si on peut dire ça d'une traite qui a duré quatre ans ! Quand j'ai compris que j'avais passé autant de temps avec la police, mais aussi avec tous ces innocents qui luttent pour survivre, soudain j'ai compris que c'était ma vie aussi. Je n'étais pas comme Margaret Mead : je n'avais pas passé ma vie un bloc-notes à la main, en short kaki, à noter les détails de la vie d'une étrange tribu. C'était MA vie, en fait, que j'écrivais là. J'avais vécu toutes ces choses, ce n'était pas de l'anthropologie, mais le produit de 30 ans de mon expérience.
BC Vous aviez failli avoir des problèmes déjà, avec des dealers qui vous prenaient pour un flic?
RP Non, personne ne m'a jamais regardé dans les yeux en disant : "Ce mec est flic." Mais une fois, je me trouvais avec la police quand ils ont fait une descente à Jersey City, pour arrêter des dealers de crack. Et là, ils m'ont regardé, ils ont bien vu que je n'étais pas de leur côté, et ils m'ont pris pour une sorte de procureur, je crois... C'était bien d'être avec la police, mais de temps en temps, j'y suis allé tout seul. C'est une bonne façon de faire face à la réalité. Mais ces fois-là, je me suis rendu compte que je me mettais en danger juste pour écrire une histoire, et ça me mettait en colère contre moi-même. J'étais père de famille, je me rendais compte que mon ambition me poussait à me comporter de façon complètement stupide. La pire chose qui me soit jamais arrivée, ça a été d'écrire un scénario !
BC Qu'est-ce qui a changé dans le métier de policier depuis les années 80? On a vu dans The Wire que l'arrivée des portables avait été une calamité pour la police.
RP Dans les années 90, un héros de séries se baladait avec un caméscope. Aujourd'hui, on achète ça dans les brocantes! Maintenant, toute personne qui possède un smartphone est photojournaliste. Les flics sont obligés d'être très prudents. Je vais vous donner un exemple. Je vis dans une rue très animée. Un jour, un black tout en rouge déboule, dans un Hummer rouge. Les flics lui demandent de se ranger. Le type sort de sa voiture, commence à faire tout un foin, à dire qu'il n'a rien à se reprocher, qu'il ne sait pas ce qu'on lui veut. Et à ce moment-là, six personnes filmaient ce qu'ils prenaient pour un abus de pouvoir. Attention, je ne suis pas une "groupie" de la police, mais ce que je vois du monde quand je suis avec eux, je le vois aussi du point de vue des autres. Il y a beaucoup de violence envers la police aussi.
BC Est-ce que le 11 septembre n'a pas accentué le pouvoir de la police ?
RP Aujourd'hui, la vigilance est devenue comme un sport national. Mais pour moi, ça revient à vouloir retenir de l'eau dans ses mains. La vigilance, la paranoïa... Regardez ce qui se passe dans les aéroports : nous n'avons pas eu d'attaque depuis 2001. Là où je vis, les interactions dans la rue font partie des détails de la vie.
BC Aujourd'hui, on parle beaucoup de racisme aux Etats-Unis. Donald Trump accuse les communautés, veut renvoyer les gens...
RP Je pense que Donald Trump est très dangereux : il dit absolument tout ce qui lui passe par la tête. Il veut susciter des réactions. Donc il parle aux femmes, il leur dit que l'avortement doit être interdit. Tout le monde se met à hurler. Mais Donald Trump ne croit pas à ce qu'il dit... Les pauvres gens se mettent le doigt dans l’œil s'ils s'imaginent que ce milliardaire new-yorkais, ex-démocrate, une fois au pouvoir, va s'occuper d'eux. Il n'en a rien à foutre. Ce qu'il dit, c'est : "je suis différent." Ce type est dingue, mais il n'est pas comme Hitler - que ce type brûle en enfer avec un ananas dans le cul -, qui avait des convictions. Il ressemble davantage à Mussolini, ce poseur italien, ce bouffon que les Italiens considéraient comme tel. Aujourd'hui, Trump est absolument partout. Il a démoli le parti Républicain, mais une fois les élections passées, il retournera à la télé.
BC Je ne suis pas d'accord quand vous dites qu'on vous confie des histoires de polar parce que vous ne sauriez pas écrire du Shakespeare. Vous êtes quand même un des rares auteurs de polar à citer Rupert Brookes, Thomas Pynchon, TS Eliot !
RP Non, je ne me perçois pas comme un auteur de polar. Écrire un bon polar, c'est écrire un bon roman avec un crime dedans. C'est ce que je disais ce matin : "On s'en fout de qui est coupable ! " On ne lit pas Raymond Chandler pour découvrir qui a commis le crime, mais pour se retrouver submergé par sa prose et son atmosphère. Chez Ellroy, on peut prendre n'importe quelle page, on le lit pour sa musique, son style. On ne lit pas Ulysses pour savoir ce qui va se passer après, mais à cause de la musique, du style. D'ailleurs chez les plus grands auteurs, le coupable est révélé tout de suite. Ainsi, le lecteur peut se détendre et laisser l'écrivain faire son travail. La narration, le style et le personnage. Prenez James Cain ! Chez Agatha Christie - que les fans me pardonnent -, c'est: "le meurtrier est dans cette pièce." Ça ne va pas beaucoup plus loin qu'un problème de mots croisés. On s'en fiche !
BC Nous sommes là dans un festival de polar. Le roman noir urbain tel que vous l'écrivez, est un roman engagé.
RP Je pense qu'un bon polar n'est pas un polar. Tout bon roman trancende son étiquette marketing. On peut dire que Cormac McCarthy est un auteur de western, que Philip K Dick est un auteur de science-fiction. Et après ? Les grands romans, c'est bien autre chose que l'histoire qu'ils racontent. L'histoire est importante, mais ce n'est pas elle qui fait la littérature. Ce qui compte dans le polar, ce n'est pas le crime, mais le monde dans lequel il se produit. C'est là que se trouve la littérature. La musique du narrateur. Le noir embrasse l'isolement, le héros n'arrive pas à s'intégrer dans la société, c'est un solitaire. Marlowe est comme ça. Souvent, les auteurs se lamentent de ce qu'on fait de leurs romans au cinéma. Mais quand j'ai fait Mad Dog and Glory, avec de Niro, il lui suffisait d'une expression pour faire passer l'équivalent de plusieurs pages... J'adore George Pelecanos, qui a tant écrit sur Washington. Mais dans tous ses romans, il n'y a sans doute pas beaucoup de pages où l'on évoque Washington en tant que capitale. Ce qui est important, c'est tout le reste, et c'est ça que Pelecanos fait. Quand je lis, je veux qu'on me fasse rencontrer des gens que je n'ai jamais vus. C'est ce que j'essaie de faire avec mes livres. Hubert Selby disait : "J'écris ainsi parce que je veux forcer les gens à aimer ce qui n'est pas aimable." C'est ce que je veux faire. Les flics et les gens de la rue me plaisent : je peux les rendre drôles aussi, parce que j'aime être avec eux. Si je parlais d'un médecin, je serais incapable de le rendre drôle. Je suis incapable d'écrire sur des choses ou des gens que je n'aime pas. Et j'espère bien que ce livre-là est meilleur, plus subtil que le précédent.
BC Est-ce que l'expérience du scénario de Child 44, l'adaptation du roman de Tom Rob Smith, qui vous a paru un peu traumatisante, va vous inciter à vous remettre au roman ? Attendre sept ans entre deux romans, c'est long !
RP Les gens avec lesquels je parle dans le milieu du cinéma ont la moitié de mon âge. Ils me disent tous : "Je suis un grand fan de votre travail", tous. Ils sont tellement jeunes, ils n'aiment pas vraiment le cinéma, ils font du business. Pour eux, l'histoire du cinéma commence avec Le parrain III. Ils n'ont jamais entendu parler des deux premiers... Plus je vieillis, moins je supporte ça, ça me donne des envies de meurtre. Ca pourrait être un sujet de polar d'ailleurs : moi, l'auteur, assassin d'un type de 30 ans, avec des muscles, le ventre plat, une coupe de cheveux négligée mais qui lui a coûté 900 dollars. Je ne sais pas quoi dire, ça me rend fou. Tout ce qu'ils veulent à Hollywood aujourd'hui, c'est refaire des films avec des super héros de BD, Marvel, tout ça. Les responsables, les réalisateurs ont grandi avec ça. Et ça ressemble à un concours de beauté !
Je me sens plus à l'aise à la télé, je peux travailler avec de vrais auteurs, Paul Simon ou George Pelecanos, et nous pouvons faire un vrai travail d'auteurs. Je me rappelle que le grand auteur américain Richard Yates, au moment où je "montais" en tant que scénariste, avait de sérieux problèmes d'alcool. Il était complètement fauché, brillant mais l'alcool le rendait dingue. Je lui ai dit : "pourquoi tu n'écris pas des scénarios ?". Il m'a regardé et m'a répondu : "J'ai 45 ans, je n'ai pas le temps." Aujourd'hui, je comprends ce qu'il voulait dire.
La relation entre le roman et le scénario est perverse... Au début des années 70, j'étais à San Francisco. J'y ai rencontré Leonard Gardner, l'auteur de Fat City. Une histoire de boxeurs qui prenaient le bus pour se rendre à leurs combats, où ils gagnaient 50 dollars. Il voulait en faire un film, et John Huston en a effectivement fait un film, avec Jeff Bridges. Un jour, pendant une fête, quelqu'un lui a demandé ce qu'il pensait du film, ce qui n'est pas une bonne question à poser à un auteur... Ça l'a rendu absolument dingue, il s'est mis à trembler de rage : "Je déteste John Huston... Il a rajouté des dialogues pour cette actrice qu'il voulait se taper, etc" . A l'époque, j'étais sur le point d'écrire mon premier scénario... Je suis allé le voir et je lui ai dit : "Leonard, qu'est-ce que tu vas faire maintenant ?". Il m'a répondu : "Je vais écrire un autre scénario." C'est une drogue.
Dans un roman, tout à est vous : pas de comité, pas de marketing; tout ce qui est bon vous appartient, quand ça ne fonctionne pas, c'est votre faute. Au cinéma, il y a tellement d'intermédiaires entre vous et le produit fini que lorsqu'on me parle de La couleur de l'argent, lorsqu'on me dit : "Tu as fait un travail formidable", j'ai l'impression qu'on parle à quelqu'un qui s'interpose entre mon interlocuteur et moi. Je me sens comme un personnage de roman noir : je m'évanouis dans la ville, je disparais...
BC Avec certains auteurs, il faut poser les questions plusieurs fois pour avoir une réponse. Avec Richard Price, je pense que vous avez compris qu'on a affaire à un grand ! Merci d'avoir aussi bien parlé de votre métier. Votre roman a été encensé aux Etats-Unis par des gens comme Michael Connelly et George Pelecanos, mais aussi par des auteurs hors "genre" comme Joyce Carol Oates. Vous savez ce qu'il vous reste à faire...
Dans un roman, tout à est vous : pas de comité, pas de marketing; tout ce qui est bon vous appartient, quand ça ne fonctionne pas, c'est votre faute. Au cinéma, il y a tellement d'intermédiaires entre vous et le produit fini que lorsqu'on me parle de La couleur de l'argent, lorsqu'on me dit : "Tu as fait un travail formidable", j'ai l'impression qu'on parle à quelqu'un qui s'interpose entre mon interlocuteur et moi. Je me sens comme un personnage de roman noir : je m'évanouis dans la ville, je disparais...
BC Avec certains auteurs, il faut poser les questions plusieurs fois pour avoir une réponse. Avec Richard Price, je pense que vous avez compris qu'on a affaire à un grand ! Merci d'avoir aussi bien parlé de votre métier. Votre roman a été encensé aux Etats-Unis par des gens comme Michael Connelly et George Pelecanos, mais aussi par des auteurs hors "genre" comme Joyce Carol Oates. Vous savez ce qu'il vous reste à faire...
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