Anne-Marie Métailié, Hannelore Cayre et Christine Ferniot à la Bilipo |
Le métier de l'héroïne (interprète auprès des tribunaux)
"En tant qu'avocate pénaliste, nous côtoyons tous les jours ces professionnels en situation de comparution immédiate Ensemble, nous usons les bancs avec nos fesses. Il y a parmi ces interprètes de véritables personnages... Je me rappelle ce couple de Libanais, entre 75 et 80 ans, que je voyais là depuis des années : ils allaient continuer à travailler jusqu'à ce que mort s'ensuive, car ils n'avaient pas de retraite. Quatre-vingt pour cent du cannabis qui entre en France vient du Maroc. On fait donc la guerre aux passeurs, qui ne sont pas francophones, et il y a de plus en plus d'interprètes. Ces gens passent leur vie à écouter des conversations téléphoniques et à les transcrire, ils sont en permanence immergés dans la vie quotidienne des trafiquants. Et s'il y a maintenant des interprètes qui cotisent à un régime de retraite, beaucoup d'entre eux travaillent depuis des années sans aucune protection sociale. Ils sont maltraités par la justice, qui les traitent comme des "'boulons" nécessaires mais négligeables.
Je me rappelle deux exemples particulièrement terribles : celui de cet interprète portugais chargé d'espionner un réseau de clandestins. Il avait accompagné les policiers pour l'arrestation, mais n'avait même pas de gilet pare-balles. Et cette autre, qui s'est retrouvée en audience auprès d'un prévenu qui s'est tiré une balle dans la tête, elle était tout éclaboussée de sang, et personne ne s'est occupé d'elle... En plus, ces gens n'ont pas de formation spécifique, il y a de véritables problèmes de compétence. Et personne ne vérifie jamais ce qu'ils disent. En schématisant, on pourrait dire qu'ils peuvent raconter à peu près n'importe quoi. C'est ce constat qui m'a donné l'idée de mon ressort narratif pour La Daronne."
La justice...
Mon héroïne est victime d'un déclassement social vertigineux. Son père faisait des "affaires", comme on dit, dans les années 60... Or il faut se rappeler que jusqu'à la fin des années 60, il n'y avait pas de législation contre les trafics de stupéfiants. Il a fallu attendre 1969 et la pression des Etats-Unis pour que la loi se penche vraiment sur la question. C'était aussi l'époque de la France Afrique et de Djibouti.
Il existe aujourd'hui une attente très forte de la part de la population en termes de sécurité. Mais la justice apporte très peu de réponse : elle est l'opium du peuple... J'ai commencé ma carrière à une époque où beaucoup de pénalistes se situaient plutôt dans le défi de l'ordre et la protection de la vie privée. Tout a changé avec l'attentat contre Charlie Hebdo, on a assisté à une véritable rupture dans la nature des relations entre les avocats et les prévenus, qui sont devenus très méfiants. Au lendemain de l'affaire Charlie Hebdo, je me rappelle m'être rendue dans des maisons d'arrêt où certains détenus étaient littéralement en liesse, c'était terriblement douloureux... Cette situation engendre une véritable schizophrénie. Pour ma part, je me sens socialement blessée, c'est très difficile. Je me perçois un peu comme un éboueur social.
Christine Ferniot et Hannelore Cayre |
La plupart sont inspirés de la réalité : dix ans passés à lire des comptes rendus d'écoutes téléphoniques, ça laisse des traces. En fait, ces dialogues ne s'inventent pas ! Dans ces milieux, on a souvent affaire à des types incroyables, souvent débiles, mais parfois avec panache. D'où certaines répliques qu'on retrouve dans le livre.
La littérature (noire ou pas)
En fait je lis très peu de polars, en-dehors de gens comme Harry Crews ou Chuck Palahniuk. Récemment, j'ai lu un roman de Joseph Incardona qui m'a beaucoup impressionnée : je suis très attachée à la belle écriture, et pour moi le roman est la source du savoir, bien plus que les essais. On m'a demandé un scénario de BD de science-fiction, très politique. La politique est partout, y compris dans l'amour...
Quand j'écris, je ne sais pas du tout ce que je vais écrire. Je n'ai même pas les personnages. Je vais souvent à la piscine : chacun sait à quel point c'est ennuyeux... Eh bien dans ces moments-là, une musique cérébrale se déclenche, avec des gens qui se parlent entre eux, et c'est souvent ainsi que surgissent mes personnages.
Je voudrais maintenant écrire hors contexte judiciaire, c'est vraiment mon but. Mais je ne peux pas m'empêcher de demander si les lecteurs resteront intéressés, dans la mesure où jusqu'à présent, je me suis toujours inspirée de mon expérience.
Le cinéma
J'ai reçu plusieurs propositions pour La Daronne, mais aucune qui me satisfasse vraiment. On veut en faire un film très noir, or ce n'est pas mon propos, et je ne voudrais pas que le livre soit dénaturé. Il n'est pas impossible que je le réalise moi-même, même si mon expérience en tant que réalisatrice n'a pas été heureuse. Pour Commis d'office, qui était ma première expérience de long métrage, j'ai été révoltée par les injustices, les inégalités de rémunération et de conditions de travail entre la star qui touche un cachet énorme et les autres, qui sont payés à peine au tarif syndical. Cet aspect des choses a littéralement pourri mon expérience du cinéma... "
Hannelore Cayre |
Enfin, Anne-Marie Métailié se rappelle le jour où le premier manuscrit d'Hannelore Cayre est arrivé, par la poste, à la maison d'édition. "C'était un vendredi soir, je sentais monter la fièvre et arriver la grippe. Je suis rentrée chez moi avec le manuscrit. Malgré la fièvre, j'ai passé la nuit à le lire. Dès le lundi, j'appelais Hannelore Cayre. Nous nous sommes rencontrées dans la semaine, tout est allé très vite. Je me souviens lui avoir fait la remarque que certaines situations me paraissaient un peu exagérées : elle m'a répondu qu'elles étaient parfaitement authentiques..."
Bibliographie d'Hannelore Cayre
Commis d'office, 2004, prix Polar derrière les murs 2005
Toiles de maître, 2005
Ground XO, 2007
Comme au cinéma - Petite fable judiciaire, 2012
La Daronne, 2017, prix 2017 du polar européen
Tous ces titres ont été publiés par Métailié éditions
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