A Los Angeles, Andalousie, on est loin de Hollywood. Mais tout près de Marbella, horreur absolue, rendez-vous des parvenus honnêtes ou moins honnêtes. Tout près aussi d'Algesiras et de Gibraltar, point de fuite de la perspective andalouse. A Los Angeles, il n'y a pas la mer, il fait chaud. Et soif. il y a des hangars, une ligne de chemin de fer, des parkings, des camions qui viennent de partout... et une pharmacie. Dans la pharmacie, Victor vend une bouteille d'eau Velvar à un malheureux en blazer, égaré là avec sa voiture de location. Un malheureux en sueur, épuisé, desséché. Mais porteur d'une carte officielle du service de lutte contre les contrefaçons. La bouteille de Velvar est une contrefaçon, elle contient une immonde flotte pleine de nitrates... De la contrefaçon d'eau minérale ? Vraiment ? Les premières pages de La soif plantent parfaitement le décor - chaleur accablante, déshydratation menaçante - car leur auteur a du savoir-faire. Comment va-t-on s'en sortir ? Que se passe-t-il vraiment à Los Angeles, où "il suffisait de taper dans un palmier nain pour voir dégringoler les mafieux russes, géorgiens, ukrainiens, les maquereaux bulgares, les blanchisseurs finlandais les parrains marocains, siciliens et leurs cousins napolitains, la pègre espagnole, les cachochymes nazis, les caudataires franquistes, la racaille colombienne, albanaise ou roumaine, les marchands d'esclaves, les putes de l'Est..."?
L'affaire de l'eau frelatée est le déclencheur d'une machine infernale qui va tenir le lecteur en éveil, et énervé, sur 200 pages rondement menées animées par une sarabande aussi diabolique que délectable. Il y a Mounir, tout frais évadé de la prison de Tanger où il devait purger 23 ans de taule, et qui a quelques comptes à régler avec Zerfouni dit Le Tanneur, le dernier des parrains du Nord, qui vit à Marbella. Il y a Abdelaziz, son vieux pote qui va l'aider à passer de l'autre côté, et qui ne l'emportera pas en paradis. Il y a Antonio le furtif, dit Le Chat, chanteur gitan. Il y a Bonito Loeches, dit Le Beau, qui veut se remarier avec la jeune et belle Fatima, fille de Zerfouni, une sacrée pouliche qui n'a pas froid aux yeux et que son père refourguerait volontiers à Bonito moyennant un deal particulièrement avantageux.
Gibraltar by Steve via Wikimedia Commons |
Et puis il y a la crise. La crise financière et immobilière, la globalisation, le dumping social, la légalisation prochaine de la vente de shit en Espagne, une menace très tangible sur la prospérité des petits et grands trafiquants. C'est que la crise, elle ne touche pas que les banquiers et les multinationales. Tous les métiers sont menacés. Il faut prendre des mesures, et vite. Réorganiser le marché du travail, rerépartir les tâches, revoir les compétences. Et puis travailler sur l'écologie et le développement durable, important, ça, le développement durable. Pierre-François Moreau se saisit des forces en présence aux alentours de Los Angeles et de Marbella et nous concocte une intrigue où rien ne manque : trahisons, lâcheté, prises de pouvoir, règlements de compte, corruption...
Le tout localisé dans cet espace de rien du tout, ce morceau de terre aride où ont poussé silos, entrepôts, hangars et commerces misérables. Sur un air de flamenco, tout ce petit monde s'anime, complote, prend des paris, cavale dans tous les sens. Le style de Monsieur Moreau nous réserve aussi des surprises : il passe sans crier gare d'un mode narratif sec, presque journalistique à des dialogues hauts en couleurs, à des scènes "muy calientes" et à des descriptions de personnages particulièrement efficaces. Et puis, de temps en temps, il laisse aller sa plume et nous offre des envolées quasiment poétiques auxquelles on prend vite goût. Sous la chaleur du ciel andalou, la soif est grande, et Pierre-François Moreau est son prophète...
Pierre-François Moreau, La soif, La Manufacture de livres
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