9 janvier 2018

Lilian Bathelot, "Simple mortelle" ou l'énergie du désespoir

J'ai découvert Lilian Bathelot, comme beaucoup, avec Terminus mon ange (voir chronique ici), sorti il y a bientôt quatre ans. Un texte court, fragile et émouvant. Cette fois, Lilian Bathelot nous offre un "gros" roman (presque 450 pages)! Et bien sûr, comme c'est parfois le cas avec les auteurs de textes brefs, on appréhendait... Qu'allaient devenir la subtilité, la tendresse infinie, la cruauté, la nostalgie qui savaient si bien s'exprimer dans les 124 pages inoubliables de Terminus mon ange ? N'allait-on pas perdre en finesse, en pouvoir de suggestion ? Avec Simple mortelle, Lilian Bathelot se révèle tel qu'en lui-même : un auteur à multiples facettes, capable de déployer ses ailes aussi bien sur le long cours que sur la "novella". On le pressentait un peu, on lui en est reconnaissant, néanmoins!

Le récit se promène sur plusieurs modes narratifs : le journal de Nicole, avec, en creux, le manuscrit laissé par Louis Lacan que Nicole s'apprête à envoyer à un éditeur dès le début du roman, et puis le récit du narrateur qui prend la parole quand il s'agit de raconter la vie de Louis et le piège inexorable dans lequel il va tomber. Autant d'occasions pour l'auteur d'adopter des registres différents, entre la passion de l'histoire d'amour, la distance du récit du narrateur et le rythme soutenu de l'histoire politico-policière.  Il s'offre même la fantaisie de se retourner sur son travail, lorsque Nicole s'aperçoit que son journal, avec ses moments d'exaltation et ses raccourcis chronologiques, risque de décontenancer le lecteur. Nous ne sommes pas dupes...
Nicole, la cinquantaine, vient de quitter la ville. Ses enfants sont grands, ils n'ont plus besoin d'elle. A-t-elle besoin d'eux ? A cet âge-là, changer de métier n'est pas une mince affaire. C'est pourtant ce qu'elle a fait : maîtrise de lettres, IUFM, puis une nomination in extremis dans un village de l'Aude, loin de tout. Quitter Montpellier, faire deux heures de route jusqu'à Malissègre, sans savoir encore si elle va accepter ce poste isolé. Et puis rencontrer Louis. Louis Lacan, qui la sauve du déluge et du violent orage qui la force à arrêter sa voiture à quelques kilomètres de sa destination. Qui lui demande une cigarette, l'emmène chez lui pour la réchauffer et la sécher, l'invite dans sa vie. Dès lors, Nicole ne se pose plus de question : elle va l'accepter, ce poste à Malissègre, avec son logement de fonction, sa classe de gamins du village. Sa nouvelle vie. Louis Lacan, homme à tout faire dans la commune, l'accueille chez lui, la convie à déjeuner et à goûter sa cagolade de mourgues.

Pour savoir qui est cet homme-là, on suivra Lilian Bathelot au gré de ce qu'il veut bien nous dévoiler, au fil de chapitres qu'il alterne avec le récit principal. Ancien soldat traumatisé par son expérience de légionnaire et de héros au Zaïre, Louis Lacan, ours de l'Aude, a vécu une drôle de vie. Côtoyé de drôles de personnages, aimé d'étranges femmes, entretenu de vagues connivences avec des militants de droite, agi auprès d'activistes faucheurs d'OGM, renoncé face aux tentations de la communication auxquelles succombaient ses camarades... Des mots, des mots que tout cela : en fait Louis Lacan est franc-tireur, libre-penseur, idéaliste; il s'est réfugié dans le village de son enfance, où il vit seul, à l'abri des souvenirs de ceux auprès desquels il a lutté. 

Entre ces deux-là, Nicole ex-épouse d'un major de HEC qui lui a fait trois enfants avant de la quitter pour une plus jeune et plus conforme, Louis l'homme fiché, solitaire, amoureux de sa terre, tout va très vite. Parce qu'ils n'ont plus de temps à perdre, peut-être. Et parce que tous deux ont tant à donner et tant à prendre. Nicole, jusque-là, n'a vécu qu'à travers les livres. Lilian Bathelot décrit avec une grande lucidité et un certain courage "le côté étriqué des passions, des idées offertes par les livres. Je n'avais alors pas le moindre soupçon qu'il pût en exister d'un autre genre, faute de les avoir jamais rencontrées dans ma vie réelle." Cette femme va découvrir avec Louis l'amour, la faim de l'autre, la sensualité qui s'exprime avec finesse, simplicité et fougue. Elle va aussi apprendre la terre, la nature, le végétal, le minéral, une certaine forme de pureté et de vérité. Ces deux-là vont s'offrir mutuellement une liberté aussi précieuse que rare, dans un monde sans connexion internet, sans smartphones... 

On s'en doute, cette belle histoire ne va pas connaître le dénouement idyllique qu'on pourrait imaginer... Le passé a la vie dure, surtout quand on s'appelle Louis Lacan. Et puis il y a ce projet de barrage, là-bas, de l'autre côté de la colline, au-delà de la grotte. Une dernière cause à servir ? Un ultime piège ? Les services de police, ceux qui sont à la botte de l’État et des secrets bien gardés, ne reculent devant rien. Et cette histoire-là n'a rien d'idyllique,...

Contre vents et marées, Lilian Bathelot nous entraîne avec lui dans cette double aventure amoureuse et politique, auprès de deux personnages principaux bouleversants de bout en bout, jusque dans leur naïveté et leurs imperfections. Nicole n'oubliera pas Louis, puisque c'est lui qui a redonné la vie, sa vie à elle. Et nous ne les oublierons pas de si tôt, ces deux-là qui nous montrent le chemin vers ce que l'humain est capable de devenir, au-delà de la solitude, de la souffrance et de l'absence.

Lilian Bathelot, Simple mortelle, La Manufacture de livres

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