Décidément, Chris Brookmyre est partout, et c'est tant mieux. Cette fois, c'est avec son épouse le médecin anesthésiste Marisa Haetzmann, et sous le pseudonyme de Ambrose Parry, hommage à notre Ambroise Paré national, qu'il se lance dans une série de romans historiques situés à Edimbourg et centrés autour de James Simpson, célèbre médecin écossais qui découvrit les propriétés anesthésiantes du chloroforme. Dit comme ça, ça n'a l'air de rien, mais quand on y réfléchit un peu, on prend la mesure de ce que bon nombre de malades doivent à James Simpson, dont on peut voir la statue dans les jardins de Princes Street, à Edimbourg bien sûr.
Dans une interview accordée au Scotsman, le couple raconte son aventure. Marisa Haetzmann déclare : "Je n'ai jamais ressenti le désir d'écrire de la fiction. C'est cette histoire précise que je voulais raconter (...). A l'époque victorienne, la plupart des médecins séparaient soigneusement leur vie professionnelle et leur vie de famille. Le 52 Queen Street - la résidence de Simpson - , à Edimbourg, constituait une exception. Le matin, on procédait à des opérations et à des consultations, et la file des patients débordait de la salle d'attente jusque dans le hall, les enfants cavalaient dans toute la maison, ils n'étaient pas confinés dans leur salle de jeu du grenier. Et Simpson était un personnage vraiment chaleureux..." Et Chris Brookmyre d'ajouter : "C'était un proto-féministe (...) quelqu'un qui interagissait avec toutes les couches de la société. A son enterrement, il y avait 100 000 personnes. Nous nous sommes d'ailleurs demandé pourquoi aucun écrivain ne s'était encore emparé de son histoire." Au début du projet, il n'était pas question d'écrire un roman policier. C'est au fur et à mesure que l'idée est apparue, dans toute son évidence. La complémentarité des deux auteurs fonctionne à merveille - Marisa Haetzmann se décrit comme une "control freak", esprit scientifique, souci du détail et de la vérité, Chris Brookmyre raconte la panique de sa femme lorsqu'il lui assurait qu'il fallait aller au bout de tel passage pour voir si ça marchait et si ça débouchait sur quelque chose. Évidemment, Chris Brookmyre n'est pas précisément un débutant : son talent d'écrivain allié à l'érudition et à la rigueur de sa femme aboutissent à un résultat remarquable. Et on ne s'étonnera pas que l'excellent Benedict Cumberbatch, homme de goût, ait acheté les droits de la série. Nous sommes en 1847 à Edimbourg. Le jeune Will Raven étudie la médecine et s'apprête à entrer en tant qu'apprenti au service du Professeur Simpson. Mais pour l'heure, il vient de découvrir le cadavre de son amie Evie, morte dans d'horribles souffrances si l'on en juge par l'expression de son visage, la bave aux coins de sa bouche, son corps contorsionné par la douleur. Evie était une très jeune prostituée. Will avait fait appel à ses services, mais entre les deux jeunes gens était née une véritable affection. Evie était la meilleure amie de Will, sa confidente, presque sa sœur... Pour lui rendre service, Will s'est même endetté auprès des pires malfrats d'Edimbourg ! Dans son taudis de Canongate, au cœur de la Vieille ville, Evie est morte, et Will n'a rien pu faire pour l'aider. Le voilà complètement seul, avec à ses trousses une bande de sales types qui n'hésiteront pas à lui faire la peau s'il ne parvient pas à rembourser sa dette.
Dès le début du roman, on comprend que la topographie de la ville d'Edimbourg va jouer un rôle déterminant dans l'ambiance et l'esthétique du texte : la Vieille ville médiévale, avec son Royal Mile qui traverse le quartier et aboutit au château. C'est aujourd'hui le paradis des touristes - échoppes de souvenirs, pubs, restaurants, boutiques, ruelles pittoresques, Cathédrale St Giles.... Au XIXe siècle, ce quartier-là était rien moins qu'un coupe-gorge réservé aux déshérités et aux gens mal intentionnés. Et puis, de l'autre côté des jardins de Prince Street, la Ville nouvelle, quartier luxueux entièrement bâti entre 1750 et 1850, architecture élégante et sobre, structure des rues en quadrillage bien ordonné... La ville des pauvres, la ville des riches. Et puis là-bas, près de la mer et loin du centre, Leith, le quartier des mécréants de Trainspotting, et celui des criminels au XIXe siècle.
Le domicile du docteur Simpson, spécialisé dans l'obstétrique, se trouve dans New Town, au 52 Queen Street très exactement. C'est là que notre ami Will Raven va élire domicile pendant le temps de ses études. C'est là qu'il va assister le docteur Simpson; mais aussi les autres médecins et chercheurs qui gravitent autour de cet homme visionnaire et charismatique. La maison abrite la famille du professeur Simpson, sa femme et ses trois enfants, mais également Melle Mina Grindlay, la sœur de Mme Simpson, femme ombrageuse, frustrée par sa condition de célibataire contrainte de vivre chez sa sœur. Dans la bonne société d'Edimbourg, il convient d'être mariée... Et bien sûr les domestiques, Jarvis le majordome, Sarah la jeune femme de chambre, Mme Lyndsay la cuisinière. Le Professeur Simpson est un homme débordé : il assure ses consultations chez lui, mais répond aussi présent lorsqu'on l'appelle ailleurs, même dans Old Town... C'est ainsi que le jeune Will va apprendre son métier, à la dure : à l'époque, les accouchements difficiles sont nombreux et ils se terminent souvent mal, ce qui nous vaudra quelques descriptions réalistes et effarantes des pratiques de l'époque...
Quelque chose ne va pas dans la ville d'Edimbourg. Et ce sont les femmes qui en font les frais, comme par hasard. Avortements cauchemardesques, filles et femmes battues, violentées, maltraitées, assassinées... Pour Will, il y a un peu trop de victimes en ce moment, des victimes dont le sort se ressemble et qui lui rappellent douloureusement celui de son amie Evie. On ne se préoccupe guère de ces femmes-là : elles sont pauvres, la police s'en moque, une malheureuse fille de plus ou de moins, peu importe. N'écoutant que leur révolte, Will et la jeune femme de chambre Sarah vont se lancer dans une mission périlleuse : découvrir qui est à l'origine de ces meurtres sauvages. L'entreprise est dangereuse, Will et Sarah vont se retrouver au centre d'un univers sans pitié, et au cœur d'enjeux scientifiques où l'ambition compte bien davantage que la soif de savoir et l'envie de sauver des vies. Parfaitement orchestrée, l'enquête des deux jeunes gens reste palpitante de bout en bout. Ambrose Parry crée des personnages aussi vivants que ceux de Dickens, sème des graines d'informations qui laissent entendre que la personnalité et l'histoire de Will sont plus complexes qu'il y paraît, concocte des péripéties dignes d'un Conan Doyle.
Le cœur et la chair est une formidable réussite, un véritable régal pour le lecteur, y compris ceux qui, comme moi, n'apprécient que modérément les polars historiques. Sans doute parce que la rigueur, le contexte géographique et historique fascinant, le disputent au charme des héros, au rythme de l'histoire et au suspense généré par l'intrigue. Du coup, on n'a qu'une envie : lire la suite.
Ambrose Parry (Chris Brookmyre et Marisa Haetzmann), Le Cœur et la chair, traduit par Eric Betsch, Le Seuil
Le domicile du docteur Simpson, spécialisé dans l'obstétrique, se trouve dans New Town, au 52 Queen Street très exactement. C'est là que notre ami Will Raven va élire domicile pendant le temps de ses études. C'est là qu'il va assister le docteur Simpson; mais aussi les autres médecins et chercheurs qui gravitent autour de cet homme visionnaire et charismatique. La maison abrite la famille du professeur Simpson, sa femme et ses trois enfants, mais également Melle Mina Grindlay, la sœur de Mme Simpson, femme ombrageuse, frustrée par sa condition de célibataire contrainte de vivre chez sa sœur. Dans la bonne société d'Edimbourg, il convient d'être mariée... Et bien sûr les domestiques, Jarvis le majordome, Sarah la jeune femme de chambre, Mme Lyndsay la cuisinière. Le Professeur Simpson est un homme débordé : il assure ses consultations chez lui, mais répond aussi présent lorsqu'on l'appelle ailleurs, même dans Old Town... C'est ainsi que le jeune Will va apprendre son métier, à la dure : à l'époque, les accouchements difficiles sont nombreux et ils se terminent souvent mal, ce qui nous vaudra quelques descriptions réalistes et effarantes des pratiques de l'époque...
Quelque chose ne va pas dans la ville d'Edimbourg. Et ce sont les femmes qui en font les frais, comme par hasard. Avortements cauchemardesques, filles et femmes battues, violentées, maltraitées, assassinées... Pour Will, il y a un peu trop de victimes en ce moment, des victimes dont le sort se ressemble et qui lui rappellent douloureusement celui de son amie Evie. On ne se préoccupe guère de ces femmes-là : elles sont pauvres, la police s'en moque, une malheureuse fille de plus ou de moins, peu importe. N'écoutant que leur révolte, Will et la jeune femme de chambre Sarah vont se lancer dans une mission périlleuse : découvrir qui est à l'origine de ces meurtres sauvages. L'entreprise est dangereuse, Will et Sarah vont se retrouver au centre d'un univers sans pitié, et au cœur d'enjeux scientifiques où l'ambition compte bien davantage que la soif de savoir et l'envie de sauver des vies. Parfaitement orchestrée, l'enquête des deux jeunes gens reste palpitante de bout en bout. Ambrose Parry crée des personnages aussi vivants que ceux de Dickens, sème des graines d'informations qui laissent entendre que la personnalité et l'histoire de Will sont plus complexes qu'il y paraît, concocte des péripéties dignes d'un Conan Doyle.
Le cœur et la chair est une formidable réussite, un véritable régal pour le lecteur, y compris ceux qui, comme moi, n'apprécient que modérément les polars historiques. Sans doute parce que la rigueur, le contexte géographique et historique fascinant, le disputent au charme des héros, au rythme de l'histoire et au suspense généré par l'intrigue. Du coup, on n'a qu'une envie : lire la suite.
Ambrose Parry (Chris Brookmyre et Marisa Haetzmann), Le Cœur et la chair, traduit par Eric Betsch, Le Seuil
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