Austin, Texas. Gabino Iglesias n'est pas du genre à prendre des gants : dès la première page, Fernando est braqué, enlevé, dépouillé, emmené dans le coffre d'une voiture, tabassé par des hommes qui ne plaisantent pas, avec à leur tête le dénommé Indio, un tatoué à l'haleine fétide. Fernando apprend à ses dépens que lorsqu'on est dealer, il n'est pas prudent d'écouter de la musique avec les écouteurs de son Ipod réglés à fond. Quand on est dealer, il faut garder une oreille attentive, sinon... C'est le moment ou jamais pour lui d'invoquer Santa Muerte, sa protectrice. S'il s'en sort à peu près indemne, le malheureux Nestor, lui aussi capturé par les sales types, n'aura pas la même chance. Devant les yeux écarquillés d'horreur de Fernando, il perdra deux de ses doigts, et finira décapité...
On l'a bien compris, nous ne sommes pas dans le milieu policé des affaires, ou plutôt si, celui des affaires de dope. Les hommes qui ont enlevé Fernando et décapité Nestor font partie du fameux gang historique de la Salvatrucha, et ils ont un sens de la communication un peu particulier, c'est tout. Le message ? Il s'adresse à Guillermo, dit el gordo, le chef de Fernando, instamment prié d'abandonner aux nouveaux arrivants de la Salvatrucha la majeure partie du territoire qu'il contrôle. Autant lui demander d'aller se pendre : le centre ville est sa principale source de revenus. Santa Muerte a du boulot...
Fernando est arrivé aux Etats-Unis contraint et forcé : un soir, il reçoit un appel de sa sœur qui vient de se faire peloter par un sale type. Et ça, Fernando n'aime pas du tout. L'affaire se termine mal : ça tire de partout, bilan 5 morts, parmi lesquels le peloteur et Luis, un pote de Fernando. Les jours qui suivent, entre deux eaux, Fernando les passera à essayer de décider : le peloteur était-il un sinistre inconnu, ou bien quelqu'un qui comptait ? Peut-il sortir de chez lui ou ferait-il mieux de la jouer profil bas pendant quelque temps ? Le temps va lui manquer pour réfléchir : la fuite s'impose. Passer la frontière, se retrouver à Austin.
Bientôt, les cadavres vont s'accumuler dans le sillage de Fernando. On s'en doutait un peu, la vie de dealer et de clandestin n'est pas de tout repos, la suite du roman va le confirmer. De fuite en contre-attaque, Fernando va perdre ses seuls alliés, et n'aura plus le choix : s'il veut survivre, il va falloir se battre contre des ennemis qui ne plaisantent pas, contre l'incarnation du mal en personne...
Santa Muerte est, certes, une histoire de dealers et de gangs, violente et sans pitié. C'est aussi le récit d'un clandestin et de sa relation avec la frontière, celle qu'il a passée en fraude, de sa vie de dealer, la seule qui s'offre à lui à son arrivée aux "Etats désunis", comme il dit. A partir de la page 73 et plusieurs pages durant, Gabino Iglesias entre dans le vif du sujet : ses paragraphes commencent tous par "Quand tu traverses la frontière" :
"Quand tu traverses la frontière, tu quittes un endroit pour pénétrer dans le néant (...) Quand tu traverses la frontière, tu laisses de côté une grande partie de ton identité et tu deviens quelque chose de différent, un spectre de chair composé de souvenirs brisés (...) Quand tu traverses la frontière, celle-ci conserve une partie de toi. Elle te coupe jusqu'à l'os, t'empêchant de cicatriser."
Tatouage-signature de la Salvatrucha - U.S. Customs and Border Protection / Public domain |
Santa Muerte est aussi une histoire de choc des cultures, et du recours désespéré aux croyances que les clandestins ont cru laisser derrière eux, au pays. Santa Muerte, la Sainte Mort, protectrice de Fernando, les incantations ancestrales, prononcées entre deux prises de dope. Une histoire de solitudes, avec des personnages invraisemblables - El Principe, chef de gang redouté. Le Russe et sa réputation d'invincibilité. Comme un jeu vidéo grandeur nature sur lequel personne n'a aucune prise, et surtout pas le lecteur.
La langue est colorée, l'humour grinçant, la mort guette à tous les coins de rue : Santa Muerte et son auteur Gabino Iglesias, culturiste dont les bras sont à peu près aussi épais que les cuisses de Mariah Carey et dont l'éditeur nous confie qu'il ne dort que quatre heures par nuit, s'imposent au lecteur qui n'en peut mais, et qui, au bout du compte, un peu sonné, ne sait pas trop quoi faire de ce qu'il vient de lire...
Gabino Iglesias, Santa Muerte, traduit de l'américain par Pierre Szczeciner, Sonatine éditions
Gabino Iglesias, Santa Muerte, traduit de l'américain par Pierre Szczeciner, Sonatine éditions
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