5 février 2020

Patrick Delperdange, "C'est pour ton bien" : retour en ville

Un des courts romans de Patrick Delperdange s'intitule Patrick Delperdange est un sale type. Nous n'irons certes pas jusque-là, et nous nous contenterons d'écrire que Patrick Delperdange est un drôle d'écrivain. En France, le grand public le connaît surtout pour ses deux romans un peu vite catalogués "polars ruraux" sortis à la Série noire (Si tous les dieux nous abandonnent, voir chronique ici) et chez Equinox Les Arènes (L'Éternité n'est pas pour nous, voir chronique ici). Il faut dire que nous autres, lecteurs français, n'avons pas facilement accès aux nombreuses autres publications de notre auteur belge : romans, nouvelles, romans jeunesse, BD, théâtre, pratiquement aucune forme d'écriture n'est étrangère à la plume fantasque et affûtée de Patrick Delperdange.

Lors d'une interview (à lire ici), Patrick Delperdange confiait que la campagne le mettait mal à l'aise, et qu'il se sentait plus libre en ville, y compris la nuit, dans la plus inquiétante des ruelles. C'était sans doute un des secrets de la singularité de ces deux polars : le malaise de l'auteur se communiquait allègrement au lecteur, et n'était pas pour rien dans leur caractère éminemment inquiétant. Avec C'est pour ton bien, Patrick Delperdange revient en territoire connu : la ville, et plus précisément Bruxelles. Le premier chapitre est écrit à la première personne, et la voix qui s'exprime donne le ton : cette femme-là est une femme battue, une femme qui vient d'être frappée à coups de poing. Et ça n'est pas la première fois. Elle ne manque pas de lucidité : "Vous avez senti la douleur et puis vous avez compris qu'on venait de vous frapper. C'est toujours dans cet ordre-là que ça arrive. D'abord la sensation, suivie par la pensée." Dès le chapitre suivant, le narrateur observateur reprend la main, et on comprend vite qu'il va nous raconter l'histoire de cette femme battue, Camille. Elle sort du cabinet de son gynéco où elle vient de passer une échographie. Son compagnon, Pierre, était en retard et n'a pas pu assister à la consultation. Et ça le rend fou de rage...

Image par Yery Yheoun de Pixabay

Dans les semaines qui suivent, Pierre se montre de plus en plus ombrageux, impatient, visiblement agacé par l'état de Camille. Souvent, son agacement débouche sur une gifle ou un coup de poing... Jusqu'au jour où Camille s'enfuit. Mais où va-t-on quand on est seule - ses parents sont morts, elle ne voit plus son frère - pas bien riche, sa petite valise à la main ? Chez son amie Maëlle qui ne répond pas au téléphone ? Ce sera l'hôtel, un établissement minable près de la gare, tellement minable qu'après une nuit, elle décide de partir. Au moment de régler, problème : sa carte ne passe pas. Au distributeur, impossible de retirer de l'argent liquide. Et sur le trottoir, un drôle de bonhomme, un SDF sans doute, regarde Camille avec insistance. Camille se retrouve au commissariat, où Pierre vient la chercher. Retour à la case départ, retour à la peur. Camille a à peine franchi la porte de l'appartement que l'enfer et la violence reprennent leurs droits. Puis Camille disparaît... Victime d'un ultime accès de violence de Pierre ? Fuite, enlèvement, agression ? Qui est cet homme qui semble la suivre ? Quel passé veut-elle oublier ? Autant de questions auxquelles Patrick Delperdange répond par un retournement de situation comme il sait les concocter, et que nous n'allons certainement pas dévoiler ici.

Chez Patrick Delperdange, le retour à la ville correspond à un changement de style perceptible par rapport à ses deux précédents romans : sa prose est claire, articulée, rythmée. Beaucoup de dialogues, des descriptions sobres et efficaces, une progression fluide de la narration, une montée du suspense propre à entretenir l'attention du lecteur : C'est pour ton bien est un roman de bonne facture, qui aborde de façon lucide et intelligente la question de la violence faite aux femmes. Sous le calme, la tempête...

Patrick Delperdange, C'est pour ton bien, Equinox / Les Arènes

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