2 décembre 2018

Patrick Delperdange, "L'éternité n'est pas pour nous" : au-dessus de l'abîme

Depuis la sortie il y a deux ans déjà de Si tous les dieux nous abandonnent (voir chronique ici et interview ici), on attendait avec beaucoup d'impatience le nouveau roman de Patrick Delperdange. L'univers de L'éternité n'est pas pour nous est proche de celui de son prédécesseur, et la noirceur y est peut-être encore plus absolue.

Les lieux : les abords de la Meuse, en pays wallon, peut-être en Ardenne. La forêt, la rivière et ses berges, les grands arbres noirs, l'humidité, la brume, la pluie, le vent,  ou bien la chaleur lourde. Une nature peu accueillante tout juste ponctuée par une carrière où travaillent des ouvriers, un village de rien du tout et son camping, un manoir réservé à la famille des grands bourgeois du coin. 

Fin de journée, sortie de la carrière, bord de route : Lila a terminé sa journée. Elle se lève, la chaise en plastique a laissé des traces sur ses cuisses : sa jupe est courte, son décolleté profond. Il faut bien montrer la marchandise... Il fait chaud, les mouches tournent, Lila est fatiguée, elle veut rentrer chez elle, même si les affaires du jour n'ont pas été brillantes. Ce n'est pas du goût de la bande de brutes soûles qui surgit d'une BMW noire et lui saute dessus, bien décidée à s'offrir une partie de jambes en l'air. Pour ces brutes-là, on ne viole pas une prostituée, pas vrai ? Lila n'est pas d'humeur, elle sait se défendre, rue dans les brancards et finit par décocher à un de ses agresseurs un tir de pistolet d'alarme qui lui brûle la poitrine. Elle remonte dans son combi et rentre chez elle, dans le petit bungalow qu'elle occupe avec sa fille Cassandre, une ado ravissante, dans le camping du coin. Manque de pot, celui qui l'a agressée n'est autre que le fils de la famille Saint-André, la grosse bourgeoisie de la région. Elle n'est pas sortie d'affaire, Lila. Et la jeune Cassandre n'a qu'à bien se tenir...

Non loin de là, au bord d'un ruisseau, deux hommes en fuite. Sam le manchot et le jeune Danny. Ils marchent depuis des heures, ils sont épuisés. Que fuient-ils ? Où vont-ils ? De quoi ont-ils peur ? Pour l'heure, ils cherchent un abri où se reposer. Celui qu'ils vont trouver sera tout sauf un havre de paix. 

Photo : Tit Tornade
Le roman commence dans la violence, c'est dans la violence qu'il va se poursuivre. Au fil des pages, Patrick Delperdange va distiller avec parcimonie des informations sur les protagonistes de cette histoire. Des êtres en marge, sans avenir, auxquels tout peut arriver, y compris le pire. Des hommes et des femmes dont les vies cabossées vont finir par se croiser, au détour d'une de ces mésaventures sauvages dont Patrick Delperdange a le secret... Des êtres dont la vie, à jamais, restera parallèle à celle des braves gens, étrangère à une société à la morale effroyablement cruelle, soucieuse de verrouiller toutes les portes qui pourraient laisser entrer l'intrus, le perturbateur. Des hommes et des femmes qui se croiseront, se parleront, un peu, mais ne pourront jamais se rapprocher vraiment, tant le monde exerce contre eux sa terreur exterminatrice. 

D'un monde comme celui-là, où la sexualité se résume à la prédation, où nulle tendresse, nulle affection ne peuvent trouver à s'exprimer, qui peut réchapper ? Toute la question est là. L'éternité n'est pas pour nous n'est pas un drame. A la fin, on a la sensation d'avoir été, tout comme les personnages du roman, des marionnettes (consentantes, bien sûr !) entre les mains du maître du jeu, et de rester là, en l'air, bras et jambes suspendus au-dessus d'un abîme vertigineusement noir.

Patrick Delperdange, L'éternité n'est pas pour nous, Equinox / Les Arènes

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