J'ai rencontré Patrick Delperdange dans le cadre du premier salon du polar d'Auvers-sur-Oise, ce qui explique l'arrière-plan de cette photo. Il y a quelques mois, ce romancier belge qui a déjà publié une quarantaine d'ouvrages débarquait à la Série noire avec un roman formidable, Si tous les dieux nous abandonnent. Si vous ne l'avez pas lu, vous pouvez jeter un œil sur la chronique, par ici. A peu près en même temps sortait chez Genèse éditions un drôle de roman en forme de conte, Le cliquetis. Patrick Delperdange a bien voulu répondre à mes questions, en roue libre, comme d'habitude. Merci à lui...
Mais avant de lui laisser la parole, histoire que vous sachiez de quoi il va être question, voici une présentation de Le cliquetis.
Patrick Delperdange, Le cliquetis : un conte sans fée, avec fantôme
Quand on a fait la connaissance de Patrick Delperdange avec Si tous les dieux nous abandonnent, on est un brin désorienté en découvrant Le cliquetis. Là où Si tous les dieux... nous abreuvait de noirceur, Le cliquetis offre un conte à la fois humaniste et fantastique. Avec un peu de recul, on s'aperçoit que les deux romans sont, évidemment, issus de la même plume: l'humour est là pour nous le prouver. Et d'autres choses encore, quelque chose comme l'empathie. Le cliquetis est donc un conte. L'histoire d'une maison urbaine racontée par elle-même. Une vieille maison bourgeoise qui fait figure de vénérable ancêtre dans la rue où elle trône. Elle en a vu passer, des occupants! De combien de drames et de comédies a-t-elle été témoin ? De combien de secrets a-t-elle été la dépositaire muette ? Pour une fois, elle prend la parole à travers les mots de Patrick Delperdange. Il y a Maïa, la concierge grecque et solitaire, sorte de mère bienveillante des occupants. Et puis la famille Messier, avec les deux enfants Jonathan et Clara, une petite fille pas tout à fait comme les autres. Monsieur Godefroid, scientifique irascible qui passe sa vie le nez dans ses bouquins poussiéreux, à la recherche d'on ne sait quoi. Madame de Pasquale, qui n'est pas tout à fait celle qu'on croit, et son majordome. Les Laurent, Charles et Marthe, qui est bien malade. Un grain de sable va enrayer le rouage des habitudes de tout ce beau monde : un cliquetis, un bruit régulier, lancinant, insupportable, surtout pour Monsieur Godefroid, qui n'arrive plus à se concentrer. Il faut faire quelque chose... La maison sait tout, voit tout, entend tout, mais elle ne peut rien faire. Elle assiste, impuissante, aux dérèglements les plus aberrants. Mais décidément, la réalité n'est pas aussi rationnelle qu'on l'imagine : nous sommes dans un conte, ne l'oublions pas. Et le déroulement des événements va aboutir à une fin qui nous inspirera, comme tous les contes et les fables, une morale à méditer...
Patrick Delperdange, Le cliquetis, Genèse éditions
Velda : Ce qui m'a le plus surprise dans vos deux derniers romans, c'est à la fois le grand contraste de couleur entre les deux, mais aussi le "pont" qui existe entre eux, et qui est l'humour. Comment faites-vous ça ?
Patrick Delperdange : Pour commencer, si j'avais la recette, je ne vous la donnerais pas (rires), je garderais ça pour moi. Je plaisante, mais pas tout à fait, car je ne sais pas vraiment comment j'y suis arrivé. C'était un véritable grand écart entre l'atmosphère noire de Si tous les dieux et l'atmosphère joyeuse du Cliquetis.
V : C'est un conte, en fait, Le cliquetis.
PD : Oui, c'est tout à fait ça. Pas tout à fait réaliste, mais qui donne une image du monde et des êtres humains différente de ce que j'ai pu faire auparavant. La plupart de mes personnages sont des êtres torturés, qui ont un passé lourd, il leur est arrivé des choses, ils ont commis des actes ou sont en train d'en commettre. Dans Le cliquetis, les personnages sont beaucoup plus quotidiens, des gens qui sont nous-mêmes en fait. J'ai voulu que ces personnages-là soient moins particuliers, davantage des gens qu'on peut croiser dans la rue.
V : Mais qui ont leur secret quand même.
PD : Oui, c'est peut-être là le point commun d'ailleurs. On a tous en nous quelque chose, un secret, un regret. Des mots qu'on aurait dû prononcer, "si je lui avais dit cette chose-là, ça aurait peut-être changé ma vie." Certains mots sont difficiles à dire et parfois, 10 ou 15 ans plus tard, on regrette de ne pas les avoir prononcés. Nous sommes tous comme ça, notre histoire personnelle est faite de secrets, sans qu'on soit tous des tueurs en série! Si on a un regard rétrospectif sur ce qu'on a fait, sur ce qu'on a été, on aimerait bien retoucher certaines choses, on se dit que ce serait sûrement mieux. S'il faut chercher un point commun, c'est peut-être celui-là.
V : Oui, avec l'humour et la tendresse, même envers vos personnages les plus terribles.
PD : Il y a une chose qui m'insupporte, c'est l'auteur qui crée un personnage pour s'en moquer, le détester, le mépriser. Il y en a dans la littérature française, et de très célèbres. Je n'ai jamais compris cette démarche-là. Quand je crée un personnage, j'essaie toujours de lui trouver des raisons d'agir, sans le justifier, mais de faire en sorte qu'il ressemble à un être humain qu'on pourrait croiser. En tout cas pas quelqu'un de méprisable; personne n'est méprisable en fait. Jusqu'aux grands criminels, chez qui on peut trouver des éléments qui ont fait qu'ils sont devenus ainsi. Mes personnages ne sont pas des porte-voix, ce ne sont pas des idées que j'affuble d'une peau humaine.
V : Dans Le cliquetis, vous avez astucieusement détourné la question, puisque c'est la maison qui parle...
PD : Oui, mais ça m'a posé des problèmes. C'est un narrateur omniscient, mais d'un autre côté, comment peut-elle agir? Elle est impuissante...
V : On est loin de Pérec, mais il y a des petits quelque chose de temps en temps !
PD : J'aime beaucoup La vie mode d'emploi, moins les exercices de style oulipiens. Les contraintes peuvent être fécondes, mais quand elles sont trop définies, on ne voit plus qu'elles. Il ne faut pas que l’œuvre disparaisse derrière la virtuosité. Avec l'imaginaire, on peut partir dans toutes les directions : les contraintes permettent de se canaliser. Mais il ne faut pas se retrouver en train de faire des mots croisés.
V : Dans Si tous les dieux nous abandonnent, la localisation est très importante, et pourtant on ne sait pas vraiment où se déroule l'histoire. C'est délibéré, j'imagine ?
PD : Oui, bien sûr. Je tenais à ce que ce soit en même temps net dans l'esprit du lecteur : c'est la campagne, la forêt, un pays un peu désolé, et non localisé de façon précise. Si on donne au lecteur tous les éléments, on l'empêche de faire fonctionner ce qui le constitue, lui. Par exemple, dans ce cas-là, on l'empêcherait de faire appel à sa propre expérience de la campagne. Même si on a vécu en ville toute sa vie, comme moi, on a quand même une expérience de la campagne, positive ou négative. On a en soi l'idée de ce qu'est une forêt, une maison isolée au milieu des bois. Si je donne ces quelques éléments au lecteur, il forme en lui, avec son vécu et son imaginaire, les images qui lui sont particulières. Il en fait, sans effort, naturellement, quelque chose qui lui correspond.
V : Vous avez choisi une campagne un peu effrayante.
PD : Oui, c'est parce que la campagne me fait peur, et en particulier la forêt ! En ville, il y a des arbres, mais ils ne sont pas groupés. Dès qu'il y en a plus de trois, ça commence à m'inquiéter un peu. Surtout quand la nuit commence à tomber, il y a des bruits étranges, inexplicables. C'est ce que j'ai voulu faire : imaginer un décor qui soit partie prenante de ce qui fait la teneur de ce livre. Je voulais un décor inquiétant, je me suis donc demandé: "Qu'est-ce qui t'angoisse le plus ?" Et c'était ça, la campagne, une forêt abandonnée. Si ce décor paraît angoissant, c'est parce que je suis angoissé à la campagne, beaucoup plus qu'en ville. En ville, même la nuit, dans une rue non éclairée, je n'ai pas peur, je me sens chez moi.
V : On a même l'impression que les personnages que vous avez créés n'auraient pas pu vivre leur histoire dans un autre décor.
PD : Oui, ça n'est pas anodin, ça se passe dans un lieu un peu désolé où il y a très peu de gens, mais où tout circule très vite, tout le monde est au courant de tout ce qui se passe. En fait, on est bien plus surveillé à la campagne qu'en ville... Donc dès que le vieux Léopold accueille la jeune Céline, la machine à ragots se met en marche. C'est aussi pour cela que j'ai choisi cette localisation-là.
V : Votre personnage de femme, Céline, est très attachant et très fort. C'était important pour vous de créer un personnage féminin aussi touchant, à la fois victime et puissante au milieu de tous ces hommes tous plus déglingués les uns que les autres ?
PD : (rires) C'est vrai que les hommes sont déglingués ! Je n'ai pas l'impression de connaître un échantillon d'humains particulièrement cinglés, mais il faut bien dire que dans l'ensemble, on ne peut plus vraiment dire ce qui est normal ! Mais ça me fait plaisir que vous ayez remarqué ça. Dans la littérature noire en général, les femmes sont souvent soit des victimes, soit des manipulatrices et des garces. Céline est une fille fragile, victime, mais qui essaie de prendre sa vie en main. Là, c'est une grande question : est-ce qu'on peut changer sa vie, agir sur son existence ? C'est aussi cela que j'ai voulu faire : je voulais que le lecteur se demande si elle agit bien, si elle n'est pas en train de faire n'importe quoi ? Peut-on agir sur son destin, ou bien est-ce que les dieux nous ont abandonnés ?
V : Vaste question...
PD : A laquelle je n'ai pas de réponse, bien sûr.
V : Votre roman a paru en Série noire. Qu'est-ce que ça vous a fait ?
PD : Malgré ma cuirasse de vieux pachyderme de la littérature, quand j'ai vu arriver les épreuves avec les mots "Gallimard" et "Série noire", et mon nom dessus, j'ai ressenti une certaine joie ! Ça allait dans la bonne direction, en quelque sorte... Quand on écrit des polars, être publié à la Série noire, on ne va pas dire "Non merci, ça ne m'intéresse pas."
V : Qu'est-ce que vous pensez de cette mode du "rural noir" dans l'édition française ?
PD : Quand j'ai écrit mon bouquin, je ne connaissais pas le bouquin de Franck Bouysse, ni celui de Benoït Minville, ni celui d'Antonin Varenne. J'ai rencontré tous ces auteurs-là a posteriori. C'est à ce moment-là qu'on a commencé à en parler ensemble : pourquoi est-ce que tout d'un coup plusieurs auteurs français ont décidé de situer leurs romans à la campagne ? Un virus peut-être... Nous n'avons pas d'explication.
V : On dit que cela vient de la mode américaine du "nature writing".
PD : Oui, mais on lisait déjà Jim Harrison bien avant. Larry Brown en particulier m'a beaucoup touché, et il n'y a plus rien à lire de lui, c'est extrêmement dommage. Je crois tout simplement qu'on a eu la même envie au même moment. C'est comme le nouveau roman dans les années 50-60 : on a réuni tous ces auteurs sous une bannière, ils ne se connaissaient pas vraiment.
V : L'existence de ces zones rurales en déshérence, est-ce que c'était un de vos sujets de préoccupation ?
PD : Non, pas du tout. Ce qui m'intéressait, c'était de raconter l'arrivée d'un élément perturbateur dans ce tout petit milieu très resserré, avec des gens qui se connaissent depuis des dizaines d'années. Je n'avais pas du tout l'intention de donner la parole à des gens qui n'ont pas voix au chapitre. Ce que j'avais, c'était cette situation de départ, celle du premier chapitre. Toutes les horreurs qu'on peut lire dans le roman, j'en prends l'entière responsabilité.
V : Il y avait donc dès le départ l'idée d'un roman très noir.
PD : Oui, bien sûr. Quand je me laisse aller, c'est noir... Quand je me surveille, ça peut donner quelque chose comme Le cliquetis, où j'ai dû me brider très fort, à chaque instant. A tout moment, j'avais envie qu'il y ait des meurtres dans cette histoire.
V : Nous y revoilà, les contraintes...
PD : Oui, c'était un projet d'éditeur. De moi-même, ça ne me serait pas venu à l'idée.
V : C'est un conte fantastique...
PD : Dans un conte réussi, il faut qu'on puisse tirer une morale. Mais je n'ai pas voulu l'exprimer, j'espère qu'on peut l'exciper !
V : Entre la morale du Cliquetis et celle de Si les dieux nous abandonnent, y a-t-il une si grande distance ?
PD : Non, je ne crois pas. J'espère que chaque lecteur se fait une lecture personnelle et une image globale de ce que j'écris. Je ne veux pas figer les choses, je préfère qu'elles restent équivoques, ambiguës.
V : En fait, plus qu'une morale, c'est plutôt une vision de la vie que vous transmettez.
PD : Ça paraît ambitieux, dit comme ça, mais pourquoi pas, après tout ?
V : Malgré la noirceur de Si les dieux nous abandonnent, on y ressent malgré tout, sinon un optimisme, du moins une certaine compassion.
PD : Optimisme, je ne suis pas sûr qu'on puisse aller jusque-là (rires) ! Mais de l'empathie, oui, bien sûr, je préfère ce mot-là à "compassion", qui a une connotation catholique qui me gène. C'est une partie de mon travail lorsque j'écris : faire en sorte que s'établisse une empathie avec le lecteur.
V : Et l'humour, quelle est sa fonction ? Susciter l'empathie, ou faire baisser la pression de temps à autre?
PD : Les deux, en fait. L'humour, c'est quelque chose de très sensible, de très délicat. S'il y a humour, si lecteur s'en rend compte, c'est qu'il est déjà acquis à la cause ! En plus, effectivement, cela permet d'alléger l'atmosphère quand elle est très tendue.
V : Est-ce que l'humour peut être dangereux dans un roman noir?
PD : Oui, bien sûr. C'est pour cela que je disais que c'est quelque chose de délicat et de sensible. On n'est pas là pour élucider une énigme, expliquer une enquête par des moyens scientifiques : en tout cas, ça n'est pas ça que je veux faire. Si tout un coup, au beau milieu d'une atmosphère noire, tendue, l'humour tombe à plat, ça gâche...
V : Est-ce que vous pensez, comme beaucoup de vos confrères, que le genre noir est une des meilleures façons de décrire le monde ?
PD : Si je ne le pensais pas, je travaillerais dans un autre domaine. Cela vient aussi de mon expérience de lecteur. Je lis beaucoup de romans américains avec des personnages fracassés par la vie, qui ont subi des épreuves. C'est ce qui m'intéresse en tant que lecteur, même si c'est parfois pesant. Je n'ai pas envie qu'on me parle de l'existence d'un yuppy qui a des problèmes pour se payer du caviar tous les midis. Ce que je lis, ce sont des histoires de gens qui ont des difficultés à survivre...
V : Quel est l'auteur qui vous a fait vous dire "C'est cela que je veux faire"?
PD : Larry Brown, comme je disais un peu plus tôt. Et puis quelqu'un comme Chris Offut, qui a écrit pas mal de nouvelles parues à la Noire, mais qui ne sont plus disponibles, je crois. On parlait également de Jim Harrison, mais en remontant plus loin, Faulkner et le premier de tous, Hemingway. La collection "Terres d'Amérique" d'Albin Michel a publié pas mal de novelistes américains de grand talent... Si on parle du polar, Chandler bien sûr. Les pères fondateurs en quelque sorte.
V : Vous croyez à un roman noir européen ?
PD : Oui bien sûr. Mettre en scène les gens avec leur quotidien compliqué, ça n'est pas réservé aux paysans du Montana. Il y a encore de quoi faire ! Mais quand je rencontre des confrères, on ne parle pas vraiment de ça. Si ça existe, c'est dans l’œil du lecteur.
V : Les auteurs du Royaume-Uni et d'Irlande parlent volontiers des événements politiques, avec un certain recul.
PD : Il n'y a rien qui se démode plus que l'actualité. Réagir à chaud, ça n'est pas une bonne chose. On m'a demandé de le faire, par exemple, suite aux attentats de Bruxelles, et j'ai beaucoup hésité avant d'accepter. J'ai écrit un texte qui me mettait en scène moi, mon vécu, mon ressenti, surtout pas une analyse. Dans le même esprit, je n'écris pas d'histoires directement politiques, je ne veux pas délivrer de messages dans mes romans.
V : Vos projets ?
PD : Je viens de terminer un nouveau roman qui devrait paraître à la Série noire. Il se déroule dans la même région, avec une partie des personnages de Si les dieux nous abandonnent, et un certain nombre de points qui sont restés plus ou moins en suspens y seront résolus; aussi j'aimerais bien qu'on n'attende pas trop longtemps! Mais la Série noire a déjà un programme complet pour l'année à venir. Ça va s'appeler Le poids perdu de la souffrance...
Patrick Delperdange n'est pas un styliste ! Trop de livres écrits sans doute, car l'écriture fait défaut. Il raconte des histoires, mais la littérature de qualité c'est autre chose !!! C'est le problème du polar de façon globale. Seules quelques perles sortes du lot.
RépondreSupprimerJe ne sais pas qui vous êtes, sévère anonyme, mais je trouve votre commentaire particulièrement injustifié, s'agissant de cet auteur-là. Quant aux généralisations sur "la littérature de qualité"... et "le polar en général"..., je les trouve particulièrement exaspérantes.
RépondreSupprimer