5 juillet 2020

Nicolas Jaillet, Mauvaise graine : la surprise du chef

Nicolas Jaillet n'en rate pas une. Dans son dernier roman, Ravissantes (Bragelonne 2017) il faisait un clin d’œil appuyé, assorti d'un pied de nez insolent, aux "feelgood / chick-lit books". Après La Maison, un roman très noir, c'était déjà une sacrée pirouette. Avec Mauvaise graine, il nous joue à nouveau un tour à sa façon - entre contorsionniste et comédien - et envoie joyeusement balader les limites et les codes des genres. Le problème des farces, c'est qu'il faut qu'elles tiennent la route sur la longueur. A savoir, ici, 340 pages. Pari gagné, Mauvaise graine est une réussite.

Julie est institutrice, célibataire, elle vit dans une charmante petite maison. Parfois, elle s'ennuie. Parfois aussi, elle picole un peu trop pendant les soirées qu'elle passe avec ses amis. Ils sont gentils, ses amis : ils n'ont qu'une envie, lui trouver un copain, l'aider à oublier la mort de son compagnon deux ans auparavant, et la perte de l'enfant qu'elle portait. Le soir d'avant, elle a tellement picolé  que le matin venu, elle s'est réveillée non pas dans sa maison, mais... dans sa salle de classe. Nausées, vertiges, maux de tête : Julie le jure, c'est la dernière cuite... Elle se souvient à peine de la soirée. Les événements lui reviennent petit à petit. Ses amis lui ont réservé une surprise : inviter un célibataire. L'enfer est pavé de bonnes intentions. La rencontre ne s'est pas très bien passée. Julie a fait la preuve de son excellent coup de fourchette en lui en plantant un dans la main, histoire de le calmer, le Kevin. Car en plus, l'inconnu s'appelait Kevin.
Les matins qui suivent se ressemblent, et pourtant, cette fois, Julie ne boit plus. Les nausées, les vertiges, les maux de tête : pour une femme en âge de procréer, le tableau est évocateur. Sauf si on n'a personne dans sa vie, sauf si on n'a couché avec personne depuis des mois et des mois. Et c'est exactement le cas de Julie. Oui, Julie est enceinte... La gynécologue qu'elle va voir pour confirmer le test de grossesse a une étrange réaction : elle lui confirme sa grossesse, et l'invite avec insistance à y mettre un terme. Pour Julie, la situation est à proprement parler insensée : l'immaculée conception, on ne la lui fait pas, Julie est du genre rationnel.. Alors que reste-t-il ? Un viol, un enlèvement, un empoisonnement ? L'aurait-on droguée avant d'abuser d'elle ? Mais qui ?  Julie va se lancer dans une enquête. Et elle n'a aucune idée de ce qui l'attend, d'autant plus qu'elle ne tarde pas à s'apercevoir que sa grossesse s'accompagne de certains super-pouvoirs...

Photo PXHere - DR
Si, à première vue, Mauvaise graine ressemble à la lecture d'été idéale, celle qui vous fait passer un bon moment tout en ne laissant pas trop de traces, prenez garde... Nicolas Jaillet a plus d'un tour dans son sac, et la deuxième partie du roman va lui donner l'occasion d'user et d'abuser de son imagination débordante et de son ineffable ruse. Il étonne par sa faculté virtuose à se mettre dans la peau des femmes, et aussi par sa capacité à faire appel à l'humour le plus absurde tout en instillant chez son lecteur une étrange inquiétude... Car bien sûr, la situation abracadabrantesque dont il fait le cœur de son roman n'est pas juste un défi absurde et surréaliste. Ce sujet-là est aussi pour lui et pour son lecteur l'occasion de s'interroger sur des questions aussi fondamentales que la maternité, la féminité et la virilité, l'amour, les rapports entre les hommes et les femmes. Et s'il nous arrive, à la lecture de Mauvaise graine,  de songer avec effroi à Rosemary's Baby, eh bien après tout, on aurait pu tomber plus mal... 

Nicolas Jaillet, Mauvaise graine, La Manufacture de livres

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