22 juin 2021

Jakub Zulczyk, Éblouis par la nuit : dans la peau d'un dealer polonais

Décidément, le roman noir n'a pas fini de nous en apprendre : vue de loin, la Pologne a tout l'air d'un pays puritain, homophobe, traditionaliste en diable. Grâce à (ou à cause de) Jakub Zulczyk, nous voilà un peu plus informés. Même si on se doutait un peu que partout où il y a de la came, il y a du noir...Vendredi 19 décembre, Varsovie, - 10°. Jacek, au volant de son Audi RS4, vient de prendre en charge l'Oncle et son acolyte. Dans la voiture, l'ambiance musicale est signée Bach, les Variations Goldberg. Et le téléphone de Jacek n'arrête pas de sonner : des clients dans le besoin, sans doute. Car contrairement aux apparences, Jacek n'est pas chauffeur. D'ailleurs, une fois arrivés à destination, l'Oncle lui demande de les accompagner à l'appartement du dernier étage. Il a de l'argent à récupérer, et son débiteur va vite comprendre, convaincu par quelques coups de pied bien placés, qu'il n'est pas utile de résister. Trop tard, il aura mérité une bonne leçon... 


Drôle de relation que celle qu'entretient Jacek avec l'Oncle : ce dernier appelle, Jacek arrive et le conduit là où il doit se rendre. Et pourtant, on sent bien qu'entre ces deux-là, il n'y a pas vraiment de relation de subordination, plutôt une sorte d'association. Jacek fait son boulot de dealer, l'Oncle mène sa vie de pourvoyeur et distribue les mauvais points. Jacek est un drôle de type : froid, élégant, distant, sûr de lui, cynique. L'homme se sait indispensable, il se veut fiable et discret, comme tout bon professionnel. Il vit seul, mais autour de lui, à bonne distance, gravitent des personnages aussi décalés qu'inconscients. Jeunesse dorée, artistes, stars de la télé : tout ce petit monde a besoin de Jacek, il fait partie des incontournables de la jet set varsovienne. La seule personne qui ressemble un tant soit peu à une amie, c'est Pazina : "Pazina est la personne qui avale mes secrets, qui sait quand parler et quand se taire, qui décroche son téléphone à chaque fois que j'appelle, qui est capable d'arriver à quatre heures du matin dans un lieu où elle ne devrait pas venir pour y récupérer un paquet, pour l'emporter chez elle, le cacher et n'en parler à personne." L'amie parfaite, en quelque sorte. En tout cas pour Jacek. 

Varsovie la nuit - Bosyantek, CC BY-SA 3.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0>, via Wikimedia Commons

Seulement voilà : derrière cette apparence lisse et fermée se cache un homme qui fait de terrifiants cauchemars, et dont les violents malaises ne doivent rien à la drogue. Drôle de personnage...  Jakub Zulczyk a choisi d'écrire à la première personne : c'est donc Jacek lui-même qui nous parle tout au long du roman. Une décision particulièrement efficace, car Zulczyk écrit dans un style qui reflète parfaitement la personnalité de son personnage principal : il ne nous épargne rien de ses sensations, de ses angoisses, de ses souvenirs déchirés qu'il nous livre par lambeaux, avec lesquels il faudra se débrouiller. Pas de psychologie bon marché, pas de description d'enfance difficile ou de traumatismes irréversibles. Le doute, l'incertitude, les interrogations, les vertiges qui assaillent Jacek alors même qu'il fait son possible pour les faire taire nous assaillent à notre tour, et nous devrons faire avec. Cette écriture détonnante, heurtée, convulsive, tantôt lyrique tantôt violente fait parfaitement corps avec le personnage, et ses pérégrinations nous font découvrir Varsovie sous un jour sombre, une ville en proie à tous les pièges de la modernité et à une vie souterraine terrifiante. Jacek l'invincible, un jour, va rencontrer plus fort que lui, plus fort que le diable en personne... Réussira-t-il à réaliser son seul projet : partir en Argentine, s'installer dans un palace et, enfin, dormir... ?

Jakub Zulczyk, Éblouis par la nuit, traduit par Kamil Barbarski, Rivages / Noir

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