Julie fait défiler dans sa tête les noms des villes qu’elles viennent de traverser toutes les deux. La dernière en date, Swan River, elle s’en rappelle à cause de … Marcel Proust. Swan River se trouve au Canada, plus précisément dans le Manitoba. Julie est épuisée, il faut s’arrêter si elle ne veut pas se retrouver dans le fossé… En plus elle n’a presque plus d’essence.
Faire le plein, se nourrir un peu : à la station service, au beau milieu de nulle part, il y a aussi un snack, ça tombe bien. Un moment de répit pour les deux fuyardes sera le bienvenu : ces deux-là viennent de loin, de France. Que font-elles là, au cœur du Canada, juste avant l’hiver ? Seules au monde. Big Pharma aux trousses… Car ces deux filles-là ne sont pas tout à fait ordinaires. La petite Léa a des pouvoirs surhumains, une voix capable de faire fuir les plus intrépides, et une puissance mentale franchement inquiétante. Big Pharma ne peut pas laisser dans la nature ces deux super-filles, tous les moyens sont bons pour les arrêter dans leur fuite et, surtout, pour récupérer la petite… Big Pharma est partout, y compris, hélas, dans ce snack paumé au milieu des forêts de sapin. Big Pharma ne plaisante pas : ses émissaires sont redoutables. Sous l’apparence de Marnie la serveuse, Big Pharma. Sous les vêtements du routier accoudé au bar, Big Pharma. Ils ont des armes étranges, comme celles qu’on utilise pour endormir à distance les animaux sauvages. Les « vrais » habitants du snack gisent, endormis, dans la cuisine.
On a l’impression que le roman va mal tourner, que Julie et Léa vont, d’emblée, tomber entre les griffes des méchants. Ce serait oublier que nous avons affaire à des super-héroïnes ! La petite Léa et son cri qui tue vont faire basculer la situation. Il faut repartir, fuir à nouveau. Trouver un lieu où se poser, souffler, redevenir des êtres humains, pour un moment au moins. Ce lieu-là, ce sera une ferme en pleine nature, et bientôt noyée sous la neige, un lieu où vit Dan, l’homme qui a dépanné la voiture embourbée de Julie, mais où se rassemble aussi toute une tribu de femmes et d’hommes aussi singuliers qu’attachants. Là, il y a de la place pour deux héroïnes épuisées, de la chaleur humaine. Et, enfin, la possibilité pour Julie d’oublier un peu son statut de fugitive pour retrouver son humanité, sa sensibilité et sa sensualité. Pas pour longtemps, on s'en doute…
Nicolas Jaillet s’adonne à sa spécialité, celle qui fait le charme de ses romans : une capacité aussi illimitée que libératrice à franchir les barrières des genres et à passer allègrement du registre de la peur, de l’urgence et du suspense à celui de l’humour le plus débridé et de la tendresse, sans oublier un don certain et pas si fréquent pour exprimer son empathie avec les femmes et les filles. Fatal Baby ne nous laisse pas un instant de répit, la course folle de Julie et Léa qui vont parcourir le monde par les moyens de transport les plus inattendus est à la fois une source de plaisir de lecture et une aventure humaine tantôt excitante, tantôt inquiétante. Car par les temps qui courent, au-delà des débats stériles et des complotismes de tout poil, Big Pharma n’est-il pas en train de prendre le pouvoir ?
Nicolas Jaillet, Fatal Baby, La Manufacture de livres
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