16 janvier 2025

Séverine Chevalier, "Théorie de la disparition" : l’histoire de la femme invisible

 

Démarrer l’année avec Séverine Chevalier, c’est un peu un luxe… Chacun de ses romans est une nouvelle exploration, qui va chercher en nous ce qui est bien enfoui, noir, gris ou blanc. Avec Théorie de la disparition, la lecture est encore une fois l’occasion de retrouver des souvenirs, des sentiments, des situations plus ou moins familières. Le personnage principal, qui est également la narratrice, s’appelle Mylène. Et elle écrit à la première personne.

Qui est Mylène ? Justement, toute la question est là. Mylène est l’épouse de Mallaury. Tout de suite, pour identifier Mylène, c’est par Mallaury qu’on va passer. L’homme est écrivain, il lui arrive de remporter des prix, d’écrire des séries qui rapportent, et aussi d’être invité à des salons littéraires et à des résidences d'écrivain aux quatre coins du pays. Dans ces cas-là, Mylène est l’intendante. C’est elle qui emporte toujours un fer à repasser, pour que ses chemises bleues à lui soient toujours impeccables.

Qui est Mylène ? Dès la première page, Mylène est devant un écran d’ordinateur : elle vient d’ouvrir un document qui s’appelle »brouillon », avec un « b » minuscule. Stop là ! C’est Mallaury l’écrivain, pas Mylène. Que s’est-il passé pour que l’intendante nourrisse « l’idée nouvelle, sûrement absurde, de tenter d’écrire tout ce qui (me) vient » ? que se passe-t-il ? interroge la romancière avec ces quelques mots qui servent d’ouverture au livre – celui que nous sommes en train de lire. Mylène est toujours là, près de Mallaury. Celui-là même qui lui interdit de prononcer le mot « âme ». Celui-là même qui trouve que Simenon, c’est surfait. Du coup, avec le mot « âme », Simenon devient le secret de Mylène. D’ailleurs c’est un extrait de La Chambre bleue qui sert d’exergue au livre. Une âme et Georges Simenon : finalement, Mylène n’est pas si mal armée que cela…

Séverine Chevalier n’est pas du genre à nous raconter une histoire simple, comme ça, linéairement. Dans ce roman-là, elle a choisi de la raconter comme quand on réfléchit. On commence à penser, à se concentrer sur une idée, et puis surgissent d’on ne sait où des réminiscences, des itinéraires parallèles, des pas de côté qui s’en viennent jeter une lumière inattendue sur ce qu’on croyait bien connaître. Des images d’enfance, des histoires de famille cruelles, voire violentes, des racines affleurantes dans lesquelles on se prend les pieds au fil de notre promenade mentale. Des mots précis et précieux, comme une volonté de retrouver les traces, les signes. Les lèvres d’un homme, la robe rouge, les chaussures rouges qui signalent un tournant décisif. 

Comment a-t-il commencé, ce processus de disparition ? Et quand ? Peut-il s’interrompre, et à quel prix ? L’écriture, celle qu’on voit naître soudain sous les doigts de Mylène, fera-t-elle le miracle ? Encore une fois, dans ce roman court mais qui donne l’impression que l’autrice a franchi un obstacle et qu’elle va oser encore davantage, Séverine Chevalier sait nous bouleverser, nous surprendre et nous ensorceler par une prose où chaque mot est important, où chaque phrase trouve son aboutissement dans le texte et chez le lecteur. Les histoires de Mylène deviennent les nôtres, par le miracle de l'écriture. Si Mylène a disparu, Séverine Chevalier occupe, elle, une place de choix dans notre bibliothèque intime...

Séverine Chevalier, Théorie de la disparition, La Manufacture de livres


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