Voilà la 17e enquête (en français) du Commissaire Brunetti.Venise toujours, et plus que jamais Guido Brunetti est confronté à l'âpreté de la vie contemporaine. Cette fois, la xénophobie envers les Roms, la corruption de l'Eglise et les sectes sont dans le collimateur de la Dame de la Lagune. Guido Brunetti vient de perdre sa mère, et le père Antonin Scallon, un ancien camarade du frère de Guido, qui officie lors de la cérémonie, lui demande un service: il aimerait bien en savoir plus sur un certain Leonardo Mutti, qu'il soupçonne d'être un escroc à la foi. On le sait, Brunetti n'est pas franchement bigot, il serait même purement anticlérical. Mais il lui est difficile de refuser, vu les circonstances. Il se lance donc sur les traces de cet étrange gourou, sans oublier au passage d'essayer d'en apprendre davantage sur le père Scallon. Mais un drame va bientôt le freiner dans son élan inquisiteur : il découvre, noyé dans la lagune, le corps d'une petite fille blonde aux yeux clairs, dont l'image le hantera tout au long du livre. Qu'est-il arrivé à cette fillette qui, malgré sa blondeur, est bel et bien une petite Rom ? Brunetti et son inséparable Vianello vont plonger dans l'univers brutal des campements, de la misère physique et morale, de la détresse d'une enfance massacrée.
Donna Leon prend son temps pour installer son histoire : la mort de la petite intervient après 100 bonnes pages. Pendant ce temps-là, on a tout le loisir de se retrouver en famille avec Brunetti, sa femme Paola et leurs deux enfants. Paola est toujours aussi passionnée et intransigeante (c'est cela qui fait son charme), elle aime toujours autant la littérature anglaise (on se demande où elle va chercher tout ça !!). La vie de famille est toujours aussi chaleureuse, la cuisine toujours aussi appétissante... et Brunetti continue à lire les classiques avant de s'endormir. Et il doute... Il a de plus en plus de mal à composer avec l'hypocrisie ambiante, le contexte politique éprouvant, les inégalités et les injustices.
Est-ce un effet de mon imagination ou bien Donna Leon aurait-elle voulu faire mentir Michel del Castillo qui, il n'y a pas bien longtemps, publiait un texte intitulé "Donna Leon, la madone des bobos" qui, sous des dehors bienveillants, brocardait le "politiquement correct" à l'américaine qu'il jugeait omniprésent dans les enquêtes vénitiennes de Brunetti ? Outre le fait que j'éprouve toujours un certain malaise à lire ce qu'un écrivain pense d'un autre écrivain, ce dernier roman m'a donné l'impression que Guido Brunetti, s'il reste bien élevé et cultivé, avait senti passer le vent du doute. Impression particulièrement sensible lorsqu'il discute avec Vianello, qui a traditionnellement la voix du redoutable "bon sens populaire". Il est question des Roms, ou des Gitans, comme on disait autrefois, et Vianello avoue sans honte que, s'il n'a rien contre ces gens-là, il n'a rien pour non plus. Et là, Brunetti réagit de façon surprenante, se contentant de conseiller à son ami d'exprimer autrement son sentiment... Quelques romans plus tôt, il aurait probablement bondi de sa chaise et exprimé sa colère. Un peu moins de manichéisme donc dans ce roman, un peu plus de trouble, des positions moins tranchées, et du coup une plus grande crédibilité et un impact plus fort des situations. Ici, comme Guido le dit à Paola, pas de fin à la "whodunit", pas question de réunir les protagonistes dans une maison bourgeoise pour dévoiler sans coup férir le nom du coupable. Brunetti fait le meilleur choix possible, et ce n'est certes pas dans le meilleur des mondes.
Donna Leon - La petite fille de ses rêves - Traduit de l'américain par William Olivier Desmond
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