24 avril 2011

La trilogie Fabio Montale - Jean-Claude Izzo

Marseille perd le nord !

La cité phocéenne fait la une des faits divers depuis quelques mois. Les spécialistes de la criminalité s'étonnent de cette situation et pourtant Jean-Claude Izzo appuyait là où ça fait mal il y a déjà plus de 20 ans.

Quel dommage qu'il ne soit plus là pour nous raconter sa cité avec son talent et sa perspicacité! Dans ses livres, des polars vigoureux, politiques, nostalgiques, c’est Marseille et la Méditerranée qui se taillent la part du lion. Attention, pas le Marseille de Pagnol : on n’y entendra pas beaucoup de cigales... Jean-Claude Izzo s’en est allé en janvier 2000, quelques mois après la publication de son dernier roman, Le Soleil des mourants.

Le Marseille d’Izzo, c’est celui d’aujourd’hui, ouvert sur la mer et qui parle avec tous les accents du sud de l’Europe et du nord de l’Afrique. C’est celui des rappers, de IAM et du Massilia Sound System, où le Front National fait des dégâts. Mais c’est aussi celui des calanques, lieu où le héros de la trilogie la plus connue de Jean-Claude Izzo, l’ancien flic Fabio Montale, s’est installé dans son cabanon, auprès de Fonfon et Honorine, deux vieux Marseillais formidables, sortes de parents adoptifs toujours prêts à aimer, à accueillir et à réconforter. Au bord de la mer bien sûr, près de la barque de pêcheur.

Total Kheops
Dans ce livre, Fabio Montale est encore flic dans les quartiers nord de Marseille... pas pour longtemps. Le retour (bref !) d’un ancien de la "bande" du temps où il était adolescent, et de l’autre côté de la barrière, va réveiller les loups qui dorment et le plonger dans un tumulte infernal de vengeance et de souvenirs qui font mal, un enfer où même les innocents trinquent, comme Leïla, cette jeune fille d’immigrés étudiante à Aix qui va trouver une mort abominable et improbable, dont notre héros se sentira douloureusement coupable. Le dernier chapitre s’intitule "Où il est préférable d’être en vie en enfer que mort au paradis". En regardant Montale s’éloigner sur sa barque avec sa compagne, le lecteur n’en est pas si sûr. Jusqu’aux dernières lignes : "Marseille se découvrait ainsi. Par la mer. Comme dut l’apercevoir le Phocéen, un matin, il y a bien des siècles. Avec le même émerveillement. Port of Massilia. Je lui connais des amants heureux, aurait pu écrire un Homère marseillais, évoquant Gyptis et Protis (...) La ville pouvait s’embraser. Blanche d’abord, puis ocre et rose. Une ville selon nos coeurs."

Solea
"La vie puait la mort". On ne saurait dire mieux. Montale n’est plus flic. On le retrouve dans le bar d’Hassan, un bar où se brassent tous les milieux, où le pastis se boit entre amis : "Celui qui venait boire son pastis, on pouvait en être sûr, il ne votait pas Front National". On y écoute Léo Ferré, chez Hassan. C’est le calme avant la tempête. Car dans Solea, Jean-Claude Izzo n’y va pas de main morte : c’est carrément la Mafia qui mène le jeu. Avec une journaliste qui en sait beaucoup trop et qui ne se cachera jamais assez loin, une disquette qui porte malheur... et l’irruption d’Internet au pays du polar, puisque notre héros ne se gêne pas pour publier sur le web les informations explosives détenues par Babette la journaliste. Dans Solea, il y a des coups, du whisky, du sang, de la peur. Mais à la fin : "Le bateau filait vers le large. Ça allait, maintenant. Le whisky me dégoulinait sur le menton, dans mon cou. Je ne sentais plus rien de moi. Ni dans mon corps, ni dans ma tête. J’en avais fini avec la douleur. Toutes les douleurs. Et mes peurs. La peur."

Chourmo
Chourmo démarre sur un meurtre par erreur, celui d’un jeune homme de bonne famille qui se trouve là où il ne fallait pas, en compagnie de son amie "beur" Naïma. Mais ce jeune homme, c’est le fils d’une cousine de Fabio Montale. Respectable cousine, qui ressemble à Claudia Cardinale, sent le Chanel n°5, roule en Saab et possède un magasin de vêtements à Gap. Alors bien sûr, Montale va enquêter. Et tomber sur un beau panier de crabes en pleine pourriture... L’ennemi, dans Chourmo, c’est le Front National et ses militants à l’air très "normal", tellement normal que pour un peu, on les épouserait... Montale cherche, et trouve. Désillusion, dégoût... à la fin : "J’enfilai ma vieille casquette de pêcheur et je descendis vers mon bateau. Mon ami fidèle.

Je vis mon ombre dans l’eau. L’ombre d’un être usé. Je sortis à la rame, pour ne pas faire de bruit (...) Je me mis alors à chialer. Putain, c’était vachement bon."

AMBIANCE

Chez Jean-Claude Izzo, on lit (Joseph Conrad, Saint-John Perse, toujours la mer), on boit (du vin, du pastis, du café ou du whisky Lagavulin), on mange (des farcis, de l’aïoli, des rougets grillés, de la cuisine italienne). Et surtout on écoute de la musique.

A préparer près de votre platine CD avant d’ouvrir les livres de Jean-Claude Izzo

Total Khéops

Paco de Lucia, Entre dos aguas - Santa Lucia, chanson italienne - Ray Charles, What’d say, I got a woman - Miles Davis, Rouge - Thelonious Monk - Calvin Russel Rockin’ the republicans, Baby I love you - De la musique arabe (un solo d’oud) - BB King - IAM - Massilia Sound System - Lightnin’ Hopkins, Last night blues - Bob Marley, Stir it up - Ruben Blades - Paolo Conte - Khaled - Michel Petrucciani, Estate - Astor Piazzola et Jerry Mulligan, Buenos Aires, twenty years after - Léo Ferré - Buddy Guy avec Jeff Beck, Eric Clapton et Mark Knopfler, He’s got the blues - The Doors. The End - Dizzy Gillespie, Manteca.

Solea

Léo Ferré - Mongo Santamaria, Mambo terrifico - John Coltrane, Out of this world - Ray Barretto, Benedicion -Tito Puente - Arturo Sandoval - Juan Luis Guerra - Irakere - Pinetop Perkins, Blues after hours - Lightnin’Hopkins, Darling, do you remember me ? - John Coltrane et Duke Ellington, In a Sentimental mood, Angelica - Abdullah Ibrahim, Echoes from Africa - Maruzzella, chanson italienne - Nat King Cole, The Lonesome Road - Gian Maria Testa, Extra-Muros

Chourmo

Bob Dylan, Girl from the North Country - MC Solaar, Prose combat - John Coltrane - Miles Davis - Bob Marley, So much trouble in the world - Bob Marley, Slave Driver - Los Chunguitos, Apasionadamente - Art Pepper, More for Less - Léo Ferré, Ô Marseille - Sonny Rollins, Without a Song - BB King, Rock My Baby - Lightnin’ Hopkins, Your own fault, baby - Renato Carosone, Chella lla - Edmundo Riveiro, Garuffa - Carlos Gardel, Volver - ZZ Top, Long distance boogie, Thunderbird

BIBLIOGRAPHIE

Total Kheops, Solea et Chourmo sont disponibles en Série Noire (Gallimard).

Ils ont également été réédités en un seul volume chez Folio policier

Les marins perdus (Flammarion), roman inspiré d’un fait divers, raconte l’histoire de trois marins qui survivent à bord de l’Aldébaran, en espérant la reprise de leur cargo par un nouvel armateur.

Le Soleil des mourants (Flammarion - J’ai Lu), où Izzo raconte avec émotion et sobriété la vie et l’errance d’un SDF au passé douloureux, d’un marginal malgré lui, d’un de ceux que la vie laisse au bord de la route, comme on dit. La vie oui, mais quelle vie ?

Guide "Autrement" Marseille, dirigé par Jean-Claude Izzo. Une somme d’informations pour mieux aborder la ville, en pénétrer les secrets... et en tomber amoureux.

Vivre fatigue, six nouvelles dans la collection Librio

Loin de tous regards, poèmes de Jean-Claude Izzo illustrés par Jacques Fernandez, éditions du Ricochet, 1998.

Jean-Claude Izzo a aussi écrit des textes, notamment pour le chanteur Gian Maria Testa, son ami du Piémont.

A visiter, le site que son fils Sébastien lui a consacré : http://www.jeanclaude-izzo.com

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